Publicité

#50ansMoris: Violence conjugale, de la norme à l’habitude

20 février 2018, 22:15

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

#50ansMoris: Violence conjugale, de la norme à l’habitude

Ce n’est qu’en 1997 qu’une loi a été introduite contre la violence domestique. Avant la Protection from Domestic Violence Act, le fait qu’un mari batte sa femme n’était pas vraiment perçu comme une agression, explique Lindsey Collen, porte-parole de Muvman Liberasyon Fam (MLF).

D’ailleurs, lorsqu’Indira Sidaya, ancienne ministre de l’Égalité du genre, a introduit, en 1997, le projet de loi, des voix ministérielles se sont élevées contre elle. «Des ministres ont fait valoir qu’une loi comme celle-ci porterait atteinte et fragiliserait le tissu social», a expliqué Alan Ganoo, député de l’Assemblée nationale, lors des débats parlementaires sur l’amendement de cette loi, en juin 2016. 

Le nombre de cas explose

De 2000 à 2016, le nombre de femmes battues a doublé, passant de 1 235 à 2 077, et ce sont seulement les cas dénoncés. Si certains affirment que c’est parce que davantage de cas sont rapportés, ceux qui sont sur le terrain ne sont pas du même avis… En 50 ans, a-t-on évolué, ou la violence domestique a-t-elle gagné du terrain ?

«À l’époque de l’Indépendance, le fait qu’un mari batte sa femme n’était pas considéré comme une agression. Bien sûr, il y avait toujours une partie des gens qui pensait que ce n’était pas bien, mais c’était presque normal, voire accepté», soutient Lindsey Collen. En effet, il y a 50 ans, les familles élargies étaient la norme. Et dans beaucoup de cas, les belfi étaient battues par leurs époux, mais aussi par leurs beaux-parents.

«Elles ne rapportaient pas les cas et il était aussi difficile de s’interposer»

La porte-parole de MLF se souvient qu’il était difficile d’aider ces femmes. «Elles ne rapportaient pas les cas et il était aussi difficile de s’interposer. Même si un autre membre de la famille était au courant», explique-t-elle. En sus de cela, la violence domestique n’était pas considérée comme une agression.

C’est en 1977 que le MLF demande que la violence domestique soit considérée en tant que telle. «Nous avions eu un meeting dans le jardin de la Compagnie avec beaucoup d’autres associations de femmes. Le but était de faire l’ébauche d’un manifeste pour faire valoir nos demandes. L’une d’elles était que la violence conjugale soit considérée comme une agression», relate Lindsey Collen.

Maurice épinglé en 1992

En même temps, une quinzaine d’associations de femmes forment un front commun qui s’appelle Solidarité Fam. Aidées de l’aile féminine du Parti travailliste, les femmes font pression pour que leur manifeste soit pris en considération par les autorités.

Au niveau international également, la pression augmente pour que cesse la discrimination envers la femme. En 1984, Maurice signe la Convention on the Elimination of All forms of Discrimination against Women (CEDAW). Huit ans plus tard, soit en 1992, le comité de la CEDAW épingle Maurice dans un rapport. Elle somme les autorités de mettre en place les conditions qui ont été imposées quand le pays a ratifié la convention.

En 1995, pendant la conférence des Nations unies, à Beijing, les États membres sont poussés à prendre des actions juridiques pour protéger les victimes de violences conjugales. C’est alors que Maurice commence à préparer la Protection from Domestic Violence Act, qui sera présentée en 1997.

Tendance à la baisse entre les années 70 et mi-80

Quel changement la loi a-t-elle apporté ? Ce n’est que dans les années 2000 que le nombre de cas de violences domestiques commence à être recensé. Néanmoins, les chiffres montrent une hausse constante depuis l’an 2000. Cependant, fait ressortir Lindsey Collen, la loi n’a eu aucune influence sur les chiffres, même avant. 

D’ailleurs, elle affirme que la tendance était plutôt à la baisse concernant la violence conjugale entre les années 70 et mi-80. Et ce, puisque les femmes ont commencé à travailler dans la zone franche. «Mais aussi, il y avait des maisons de l’ex-Central Housing Authority, où les femmes pouvaient se réfugier. On les appelait les ‘lakaz vev’, mais elles étaient ouvertes aux femmes qui étaient seules et qui avaient dû quitter le toit familial», indique la porte-parole de MLF.

Augmentation constante

La mise en place du cadre juridique, en 1997, n’a pas, non plus, arrangé les choses. En effet, les chiffres ne cessent d’augmenter. Cependant, Loga Virahsawmy, fondatrice de Gender Links, réfute la théorie selon laquelle c’est la prise de conscience qui fait que les femmes sont plus susceptibles de rapporter les cas.

À l’ONG SOS Femmes, il y a au moins une ou deux admissions par jour. «C’est exactement l’émancipation de la femme qui pourrait avoir causé cette recrudescence. Les hommes arrivent mal à assimiler que les femmes soient indépendantes», soutient-elle.

Dépendance financière

Lindsey Collen est, elle, d’avis que l’inactivité économique chez les femmes les rend dépendantes. «Dans les années 70, lors de la mise sur pied de la zone franche, le nombre de femmes qui sont allées travailler a plafonné, mais maintenant le nombre de femmes ayant un emploi baisse. Elles deviennent dépendantes», souligne-t-elle.

Le cadre juridique n’est pas, non plus, adapté, affirme Loga Virahsawmy. «Il y a la loi et la mise en pratique de la loi. La semaine dernière, nous avons vu un mari qui avait l’intention detuer son épouse recouvrer la liberté après quatre mois de détention», s’insurge-t-elle. Et d’ajouter que cela n’a aucune force de dissuasion. Elle déplore qu’il n’y ait qu’une partie de la société qui rapporte les cas de violences conjugales. «Nous, nous savons que le problème est plus grave. Dans les hautes sphères de la société, beaucoup de femmes sont victimes de violence, mais elles sont encore moins susceptibles de les rapporter», regrette Loga Virahsawmy.


Et les hommes ?

Si les femmes sont plus à même d’être victimes de violence conjugale, le nombre d’hommes battus est aussi en hausse. En 2000, seuls 37 hommes battus étaient recensés. En 2016, 207 hommes ont rapporté des cas de violence conjugale à leur encontre. Le chiffre a atteint les sommets en 2008 avec 287 hommes victimes.

Toutefois, Darmen Appadoo, président de SOS Papas, est sûr qu’il y a plus d’hommes qui sont battus, mais qui ne dénoncent pas. «Moi-même je connais un homme qui a été battu par sa femme pendant dix ans et n’a rien dit», affirme-t-il. Il déplore que les campagnes de sensibilisation ne soient pas assez axées sur les hommes. «Si on les informait sur leurs droits, les hommes battus rapporteraient les cas d’abus dont ils sont victimes.»


Les grands cas

1993 : M. D. Babooram met le feu aux vêtements de son épouse

Le 10 mars 1993, M. D. Babooram met le feu aux vêtements de son épouse, Beejantee Madhoo. C’est à la suite d’une dispute que celui qui a été condamné à 5 ans de prison aurait commis cet acte. «Papa linn bril mwa», devait avouer l’épouse, qui était enceinte, à son père.

1994 : Étranglée et jetée à la mer

Le 14 mai de cette année, Soorace Seetohol étrangle son épouse et transporte son corps sur sa motocyclette pour la jeter à la mer. Le laboureur était connu pour son caractère violent envers son épouse. Il a fait appel du jugement et a plaidé la légitime défense.

2005 : Yashodas Veeranah tue sa femme et l’enterre au cimetière St-Martin

Le 5 août 2005, Yashodas Veeranah coince la tête de son épouse entre ses jambes. Quand il réalise qu’elle a rendu l’âme, il décide de l’enterrer au cimetière St-Martin, aidé d’un ami.

9 janvier 2014 : Il découpe son épouse au grinder

Ashish Takoordyal soupçonnait sa femme d’avoir un amant. Ce serait la raison pour laquelle il l’a étranglée et l’a découpée au grinder avant de se débarrasser de son corps dans la nature le 9 janvier 2014. Son épouse avait un Protection Order.

2017 : Enceinte, elle est battue et abandonnée dans un champ de canne

Il avait initialement voulu l’immoler. Mais Kevin Joygobhin aurait changé d’avis et a laissé son épouse, Urvushi, pour morte après l’avoir violemment battue. C’est un passant qui a conduit cette dernière, qui était enceinte, à l’hôpital. Il s’avère que son époux avait pour habitude de la violenter. Après quatre mois de détention, il a recouvré la liberté le 14 février 2018.

Arianne Navarre-Marie: «Il faut une éducation dès la petite enfance»

Arianne Navarre-Marie, ancienne ministre de la Femme, du bien-être de la famille et du développement de l’enfant.
Arianne Navarre-Marie, ancienne ministre de la Femme, du bien-être de la famille et du développement de l’enfant.

Avant la loi de 1997, comment les victimes de violence conjugale étaient-elles protégées ?
Avant la loi, il n’y avait simplement pas de protection. C’est pourquoi il a fallu la passer. D’ailleurs, cela n’a pas été facile de la faire promulguer ; des ministres et parlementaires en doutaient. Le MMM a mis tout son poids sur le projet de loi. Une première en ce qui concerne la protection de la femme.

Elle a été amendée trois fois. Pourquoi est-il important de la repenser ?
Pour mieux protéger les victimes. La loi ne peut pas être statique. Il faut voir et revoir son application dans la pratique. Par exemple, en 2000, on a mis sur pied une Task Force et on a pu déceler des lacunes. Il y avait des difficultés sur la mise en pratique des Protection Orders. Toutes les ministres qui ont occupé le poste ont fait de leur mieux pour améliorer la loi. Mais celle-ci, en elle-même, ne suffit pas. il faut changer les mentalités des gens.

«Une femme policière qui méprisait une autre femme qui avait été violentée»

Justement, outre la loi, comment peut-on mieux protéger les victimes ?
Il faut une éducation dès la petite enfance, sensibiliser la population très jeune. Pour une société zéro tolérance, il faut aussi que cela soit une cause nationale, parce qu’il y a des efforts faits au niveau des ministres et des organisations non gouvernementales (ONG). Mais ceux-ci sont dispersés.

D’un autre côté, s’il y a de la bonne volonté d’une part, il n’y a pas beaucoup de moyens mis à la disposition des ONG. Celles-ci veulent faire le travail mais ne le peuvent pas, faute de moyens. Il faut que tout le monde se sente concerné. Il faut aussi des efforts spécifiques du côté de la police.

En plusieurs occasions, nous avons demandé qu’une policière soit présente dans chaque poste, mais malheureusement ce n’est pas toujours le cas. Et s’il y en a, elle se range très souvent du côté des policiers. Je l’ai vu de mes propres yeux. Une femme policière qui méprisait une autre femme qui avait été violentée. Je pense que la formation des policiers est primordiale. Il faut absolument une tolérance zéro.

Légalement, que reste-il à faire ?
La priorité est de criminaliser le viol au sein du couple. C’est impensable que le viol conjugal soit toléré. Il faut qu’il soit inscrit comme un délit.

La une de «l’express» du 20 février 1968

Le procès intenté contre Gaëtan Duval tient bonne place en une de «l’express» du 20 février 1968. Les avantages touristiques et économiques d’une tenue de plage nationale sont également énumérés.