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Vivre avec un enfant handicapé: Jennifer, son fils, sa bataille

18 février 2018, 18:50

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Vivre avec un enfant handicapé: Jennifer, son fils, sa bataille

Jennifer s’était imaginée une vie autre lorsqu’elle a eu son premier enfant. Or, il y a quatre ans, Yoni fait une fièvre convulsive qui lui endommage le cerveau, le plongeant dans un état quasi végétatif. Sa mère veut travailler, mais ne peut le faire car il refuse de s’alimenter en son absence. Leurs allocations sociales fondent, donc, comme neige au soleil.

La petite maison beige occupée par cette jeune femme de 29 ans fait partie des nouvelles maisons de la NHDC, à Camp-Ithier, Flacq. Jennifer, qui est originaire de Pointe-aux- Sables, vit là depuis un an avec Yoni, aujourd’hui âgé de dix ans. Il n’y a pas un grain de poussière sur les meubles. Pas un jouet ne traîne dans ce petit logement où vivent pourtant trois enfants en bas âge et dont deux sont vraisemblablement chahuteurs.

Il est clair que Jennifer fait tout pour garder propres ses intérieurs et qu’elle refuse d’être une assistée. Elle baisse les yeux, gênée, et ne répond pas lorsqu’on lui demande quels sont ses besoins. Elle se contente de dire, d’une voix blanche, qu’élever «enn fami ar sa tigit résours-la bien difisil».

Yoni, son fils aîné, était en parfaite santé jusqu’à ses quatre ans. Il ne donnait pas l’impression d’avoir souffert de la rupture entre ses parents un an plus tôt. D’ailleurs, une photo de lui au mur du temps où il allait bien l’en atteste. Il avait les joues rondes comme les enfants de son âge et des yeux brillants. Aujourd’hui, Yoni est méconnaissable. D’une maigreur extrême, comme ces enfants du Biafra frappés par la famine dans les années 70, il est cloué à un fauteuil roulant inclinable. Il respire bruyamment et écume souvent aux commissures des lèvres. Les trois quarts du temps, il somnole. Une sieste parfois brusquement interrompue par les cris de son demi-frère de quatre ans et le babillage de sa demi-soeur de deux ans et dont le père est parti vivre à Rodrigues.

Le malheur s’abat sur Jennifer il y a six ans. La maîtresse d’école de Yoni l’appelle en lui disant que son fils est fiévreux et a des spasmes. Elle s’empresse d’aller le récupérer et là, on lui apprend que Yoni a fait une chute et que sa tête a heurté le sol. Elle l’emmène de toute urgence à l’hôpital Jeetoo, où il est pris de convulsions. On l’admet à l’Intensive Care Unit (ICU) où il reste trois jours et en ressort comme un légume. Il ne reconnaît même plus sa mère.

Pour le calmer, on lui a administré du diazepam, ainsi que du valproate, prescrit généralement aux épileptiques. Mais aucune explication n’est donnée à Jennifer sur l’état de santé de son fils. Elle sait seulement qu’elle doit l’emmener à l’hôpital tous les mois. Elle s’y plie. «Sé ler so dokter inn pran rétret ki linn dir mwa mo bizin gat Yoni bien parski li pa pou rémarsé ek li pa pou rékozé.»

RS 1 500 pour les courses

Depuis, l’enfant est cloué au lit et n’arrive plus à avaler d’aliments solides. Il ne peut boire au biberon qu’un liquide nutritionnel que l’on donne aux personnes souffrant de dénutrition, de même qu’un lait particulier. Même ses purées doivent être très liquides.

Les démarches de Jennifer auprès du ministère de la Sécurité sociale ont abouti au versement d’une allocation de Rs 5 450 pour Yoni, d’une autre de Rs 2 500 pour elle en tant que soignante et Rs 900 pour chacun des deux enfants. Ce qui fait juste quand on sait qu’elle doit s’acquitter du loyer mensuel cumulatif de Rs 2 212 pendant les premiers cinq ans, de Rs 500 pour l’électricité, de Rs 200 pour l’eau, acheter le liquide nutritionnel de Yoni, qui coûte Rs 86 la petite bouteille et qu’il est censé boire trois fois par jour, un lait particulier dont la boîte est à Rs 300 et il lui en faut deux.

«Sé ler so dokter inn pran rétret ki linn dir mwa mo bizin gat Yoni bien parski li pa pou rémarsé ek li pa pou rékozé.»

Le secours d’urgence de Caritas lui offre une troisième boîte de lait. Sans compter des couches pour bébés d’une marque particulière à Rs 600 le paquet. Elle doit en prendre au moins deux paquets. «Lézot kous fer li gagn rouzer. Éna trwa an, mo ti fer aplikasion pou gagn kous avek National Solidarity Fund. Pa finn tann zot ditou. Ler fer linvanter, zot dir zot népli trouv mo nom dan zot dosié.»

Ce n’est que la semaine dernière que Jennifer a pu bénéficier d’une ambulance pour emmener Yoni à sa consultation mensuelle à l’hôpital de Flacq. Avant, elle devait le faire en taxi et payait Rs 700. C’est, d’ailleurs, auprès du pédiatre de l’hôpital de Flacq qu’elle a finalement pu savoir de quoi son fils souffre, à savoir de «sévère démyélinisation», qui est la destruction de la gaine myéline qui entoure et protège les fibres nerveuses du cerveau. Une destruction qui provoque des troubles moteurs. Il s’agit d’une maladie débilitante à 100 %, écrit ce pédiatre, qui recommande que l’on donne à Yoni des «supplementary calories» sous forme de liquide nutritionnel.

Bien que Jennifer ait pu obtenir cette maison de la NHDC dans le cadre du projet OLEA de la Rogers Foundation, qui a payé pour elle le dépôt de Rs 45 000 et qui a aussi meublé ses intérieurs, Jennifer a dû emprunter auprès du Fonds logement de Caritas pour payer les frais de notaire, qui se sont montés à Rs 15 400, somme qu’elle rembourse à raison de Rs 1 000 par mois à ce mouvement de l’église.

Un mois en ICU

Jennifer s’étonne que le ministère du Logement la contraigne à verser annuellement un peu plus de Rs 1 500 pour la location bail alors que cette taxe est calculée sur la base salariale. «Mo pa travay. Mo nek viv lor alokasion sosial.» Ce n’est pas faute d’avoir essayé de trouver un emploi à mitemps. «Mo finn déza sey al rod enn travay ziska midi. Monn kit Yoni ar mo kouzinn. Li pa manzé, li pa bwar, li atan kan mo vini. Li abitié zis ar mwa.»

En faisant les comptes, on réalise qu’une fois toutes ces choses payées, il ne reste à Jennifer qu’un peu plus de Rs 1 500 pour s’occuper de ses autres enfants et faire les courses du mois. Ce qui n’est rien du tout. Elle a demandé au ministère de la Sécurité sociale de prendre en charge l’achat du liquide nutritionnel dont Yoni a besoin. Mais le fonctionnaire à qui elle a parlé a fait valoir que le ministère verse déjà une allocation pour son fils et qu’elle n’a qu’à puiser dedans.

Elle a également reçu une fin de non-recevoir par rapport à un don de fauteuil roulant. «Pou sez roulant, sékirité sosial finn roul mwa ziska monper légliz Ste Ursule inn bizin donn Yoni enn fotey roulan ek enn matla spésial ki brans ar couran ek ki bouzé pou li pa dévelop escarres. Fek gagn sa, lé 3 novam 2017 zis pou laniverser Yoni», explique Jennifer.

Le mois précédent, son fils aîné est resté un mois à l’ICU de l’hôpital de Flacq en raison d’une petite complication de santé et sa mère n’a pas été en mesure d’honorer le paiement de son loyer. Sa facture a donc doublé. De peur de se faire mettre à la porte, elle a dû emprunter de l’argent à sa voisine pour payer le loyer et «zis pou pa perdi. Mo pou rann li tigit-tigit. Enn lot madam ki res isi avoy inpé manzé pou mwa mé pa kapav tou kout.»

La Rogers Foundation a financé une consultation médicale de suivi pour Yoni dans une clinique privée, mais Jennifer n’a pu sortir son dossier de l’hôpital Dr Jeetoo. La raison invoquée n’est pas celle habituelle de l’absence de collaboration entre les hôpitaux publics et les cliniques privées. C’est tout bêtement «ki zot inn perdi so dosié

Bien qu’elle se débatte pour s’en sortir, Jennifer a l’impression d’être dans un bateau qui prend l’eau malgré le fait qu’elle ne cesse d’écoper. Du bout des lèvres, elle finit par dire que si une entreprise ou des particuliers pouvaient lui offrir le liquide nutritionnel, le lait et les couches bébé pour Yoni, «sa ti pou ed mwa boukou…»