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#50ansMoris: À quand un hymne national en kréol ?

17 février 2018, 23:00

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#50ansMoris: À quand un hymne national en kréol ?

Le 17 février 1968, l’express publiait pour la première fois les paroles de notre hymne national. En une, figuraient les paroles en anglais que l’on connaît tous. Le texte est signé Jean-Georges Prosper et la musique est de Philippe Gentil. Cinquante ans plus tard, la question mérite d’être posée : quand aura-t-on droit à un hymne national en kréol morisien ? Car jusqu’à présent, cette initiative n’a été lancée qu’une fois, soit en 1983, sans aboutir. Pourquoi ? Le pays est-il prêt pour un hymne national en kréol morisien ? Nous faisons le point.

Flash-back : février 1983. Le premier ministre de la Culture, Rama Poonoosamy, aujourd’hui directeur de l’agence Immedia, se rend au Conseil des ministres avec le programme du 15e anniversaire de l’Indépendance. Tout le programme y est présenté, y compris le texte de l’hymne national en kréol. Car les célébrations dans cette nuit du 11-12 mars promettent d’être grandioses. Pour la première fois, les Mauriciens auront l’occasion de chanter dans leur langue maternelle. Le Conseil des ministres approuve tout le programme, y compris l’hymne en kréol.

Toutefois, des obstacles se dessinent à l’horizon. Un autre ministre à l’époque, soit celui de l’Information, occupé par Harish Boodhoo, prend position. «Nous sommes alors au début du mois de mars. Le Premier ministre, Anerood Jugnauth, n’est pas au pays. C’est Paul Bérenger qui assure l’intérim», explique Rama Poonoosamy. Une correspondance est envoyée à la Mauritius Broadcasting Corporation (MBC) par le ministère de l’Information pour l’arrêt de la diffusion de l’hymne national. Une contre missive est ensuite envoyée à son tour par le Premier ministre par intérim demandant qu’on continue à le jouer sur les ondes de la MBC.

D’ailleurs, dans les archives de l’express, un article paru le 11 mars en fait mention. Lors d’un point de presse à Belle-Terre, la veille, le leader du Parti socialiste mauricien, Harish Boodhoo, «crie à l’ingérence» à la MBC. «Parlant de la diffusion de l’hymne national en créole à la radio, M. Boodhoo a fait mention de précédents dangereux. Il a ajouté que la langue officielle de ce pays est, d’après la Constitution, toujours l’anglais et que ni le cabinet ni le Parlement n’a donné son aval pour faire du créole la langue nationale», peut-on lire dans ledit article.

«Anerood Jugnauth rentre au pays entre-temps. Le matin du 11 mars, il me signale que la version de l’hymne national en kréol ne fait aucune mention de Dieu. Je lui réponds : ‘S’il n’y figure pas, cela veut-il dire que Dieu n’existe pas ?’ Anerood Jugnauth m’a demandé de jouer l’hymne national en kréol mais de ne pas le lister sur le programme officiel. Je lui ai répondu : ‘Je ne le ferai pas car cela veut dire que le moment n’est pas encore arrivé’», avance Rama Poonoosamy. D’ajouter que malgré tout, le texte en kréol avait séduit beaucoup de Mauriciens.

Le directeur de l’Agence Immedia souligne par ailleurs que Philippe Ohsan, président du jury qui a choisi la musique de Philippe Gentil et le texte de Jean-Georges Prosper, en 1968, avait enregistré l’hymne national en kréol avec son orchestre Pro Musica en 1983. Cette même version, «que Philippe Ohsan adorait», a été diffusée par la MBC et a, par la suite, été arrêtée par le ministère de l’Information. «Je suis toujours convaincu que l’hymne national d’un pays doit être dans la langue nationale de ce pays. C’est d’ailleurs le cas partout dans le monde. Il est important d’aller au-delà des complexes et des préjugés d’un autre âge pour assumer entièrement notre humanité, notre mauricianité et notre langue nationale, le kréol morisien», fait valoir Rama Poonoosamy.

«Pas encore une nation»

Le pays est-il prêt pour un hymne national en kréol morisien ? Nous avons posé la question à Dev Virahsawmy, linguiste, écrivain et politicien. «Il faut situer le contexte global. L’île Maurice a obtenu l’Indépendance en 1968. Mais 50 ans après, nous ne sommes pas encore devenus une nation. Une nation, c’est un peuple qui a une histoire, des valeurs et des projets de société en commun. Nous ne sommes pas une Little India ou une petite France. Nous sommes une nation d’immigrants. Il n’existait aucun peuple autochtone à Maurice. Le pays a été peuplé par des vagues d’immigrants. Nous sommes, ce que les historiens et les philosophes appellent, une île créole», fait-il valoir. Il avance que c’est justement cela que les Mauriciens refusent d’accepter – le fait qu’ils vivent dans une île créole.

Dev Virahsawmy poursuit que la signification du terme «créole» est méconnue alors qu’il s’agit d’un terme polysémique. «Ma préoccupation dans le cadre du 50e anniversaire de l’Indépendance de Maurice est la suivante : comment faire comprendre aux Mauriciens que nous avons une histoire commune ? Nous sommes tous des Créoles, des Hindo-créoles, des Euro-créoles, des Chinois-créoles… Nous avons une langue mauricienne avec sa propre structure et sa grammaire. C’est une merveille. Malheureusement, les Mauriciens ne veulent pas le savoir. Beaucoup sont encore attachés à leurs langues ancestrales.»

Pourtant, dit-il, la langue anglaise est une langue créole aussi. Le linguiste fait valoir que la structure grammaticale est quasiment identique à notre kréol morisien. Il indique que la pédagogie et l’enseignement devraient également se faire dans notre langue maternelle. D’ailleurs, cette méthode, il l’a utilisée avec des enfants recalés et des prisonniers. Et elle aurait porté ses fruits.

Selon Dev Virahsawmy, il faut voir les choses en face et ne pas s’attacher aux illusions. «Le gouvernement fait croire que 90 % des Mauriciens savent lire et écrire. Alors que seuls 30 % de la population peut comprendre et possède les techniques pour l’écriture et la lecture. Si les Mauriciens savaient lire et écrire comme le prétendent les autorités, il aurait fallu alors enlever les symboles pour les élections. Si c’est fait, c’est tout le système électoral qui s’effondre.»

Pour lui, une minorité de la population a déjà compris que l’hymne national en kréol morisien est une chose naturelle. «Je ne vois pas de volonté politique. Il faut d’abord amender la loi. L’anglais est la langue officielle. Pourra-t-on un jour faire du kréol morisien la langue nationale ? Deviendronsnous un jour une nation ?»

Sollicité, le ministre des Arts et de la culture, Pradeep Roopun, fait comprendre que cette question n’a pas été discutée. «Avant de lancer le débat, il faudrait savoir où on va et ce qu’on recherche exactement. Veut-on remplacer l’hymne national en anglais par un hymne national en kréol ? Veut-on deux hymnes nationaux ? À quel moment utilisera-t-on l’hymne national en kréol ? Comment choisir ? Lequel primera ? Autant de paramètres à prendre en considération», fait-il ressortir.

Arnaud Carpooran: «La langue maternelle parle au coeur des Mauriciens»

Arnaud Carpooran, doyen de la faculté des Sciences sociales et humaines à l’université de Maurice.

Le pays est-il prêt pour un hymne national en morisien ?
Cinquante ans après l’Indépendance, je pense que c’est logique. La question ne devrait même pas être posée. Il faudrait avoir un hymne national dans la langue des Mauriciens, quitte à avoir deux hymnes nationaux.

Quels sont obstacles qui pourraient freiner un hymne national en kréol morisien ?
Il faut poser cette question aux autorités. Je ne sais pas s’il y aura des obstacles, je ne suis pas certains qu’il y en aura. Je ne dis pas qu’il faudrait imposer un hymne national en kréol morisien. Mais il faudrait poser la question au gouvernement.

Pourquoi est-ce important que notre hymne national soit dans notre langue maternelle ?
Le kréol morisien est la langue des Mauriciens. Nos enfants sont éduqués dans des langues étrangères. Je ne pense pas qu’il s’agit là de conditions propices. La langue maternelle parle au coeur des Mauriciens. Les valeurs qu’on enseigne : l’appartenance à sa patrie, l’unité nationale…Tout ça devrait être fait dans la langue maternelle.