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#50ansMoris: ces orchestres perdus…

10 février 2018, 22:30

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#50ansMoris: ces orchestres perdus…

«Quatre Mauriciens font sensation en Zambie.» Voici le titre d’un article paru à la page 2 de l’express, ce samedi 10 février 1968. Ces «jeunes talents» ont en effet remporté un concours d’orchestres à la télévision zambienne. Il faut dire qu’en ce temps-là, les orchestres occupaient une place importante sur la scène culturelle locale. Cinquante ans après, le craze des live bands s’est quelque peu estompé, Maurice ayant découvert les DJ et les discos mobiles…

La famille Veeramundar, à qui appartient le fameux Orchestre Veeramundar, se souvient de cette glorieuse époque. Nous avons rencontré Vishnu Veeramundar, le neveu de feu Inga Veeramundar, fondateur de l’orchestre. Sa création remonte à 1935 et est liée au restaurant familial, qui existe toujours à Rose-Hill. Maurice ne compte alors que l’orchestre de la police. «Les policiers venaient souvent prendre un verre après les heures de travail. À l’époque, on qualifiait cet endroit de taverne. Mon oncle, en écoutant les policiers parler de musique, s’est découvert une véritable passion», raconte Vishnu Veeramundar.

Visite du groupe Satanik de Claudio Veeraragoo à Mahébourg en 1980.

La radio, un luxe

À 16 ans, Inga Veeramundar commence son apprentissage par le violon et ensuite l’harmonium. Très vite, il engage des amoureux de musique comme lui. Le Veeramundar Band est né. «À l’époque, personne n’avait de cassettes ou de CD. Posséder une radio était un luxe», souligne Vishnu Veeramundar. Comment faire donc pour trouver les chansons «dans l’air du temps» qui plairont au public mauricien ?

Inga Veeramundar avait la solution. «C’était un visionnaire. Il allait derrière les salles de cinéma où étaient projetés des films en hindoustani. C’est ainsi qu’il écoutait les mélodies et les réécrivait en termes de notes de musique. Il avait tout appris de la police», poursuit son neveu.

Fancy-fair au collège Royal de Curepipe en 1982.

Le succès est au rendez-vous. Très vite, le Veeramundar Band devient une référence, un must dans les mariages, anniversaires et réceptions. Vishnu Veeramundar l’intègre en 1964. «Nous étions très sollicités. Nous étions retenus lors des mariages hindous, tamouls et musulmans. C’était un autre univers, une autre époque», dit-il avec nostalgie.

À l’apogée de sa renommée, il était courant pour le Veeramundar Band d’assurer l’animation dans quatre mariages un même dimanche. En 1966, il fallait compter à peu près Rs 80 pour un mariage. Les musiciens et chanteurs, eux, se retrouvaient avec Rs 3, Rs 5 ou encore Rs 10 pour chacune de leurs prestations.

Chanter en hindoustani

Ces années glorieuses, Claudio Veeraragoo les a connues aussi. Le chanteur de Bhai Aboo a débuté sa carrière dans un orchestre qu’il a lui-même créé. Mais avant ça, l’artiste, qui vivait dans un «faubourg pauvre» de Port-Louis, aux côtés des «zilwa» exilés de Chagos, a appris à chanter en hindoustani. «Je ne comprenais pas les paroles, mais je les écoutais en boucle jusqu’à pouvoir les chanter. J’ai chanté Mukesh, des classiques comme Mera Joota Hain Japani dans des orchestres orientaux.»

En 1966, Claudio Veeraragoo crée l’orchestre Claudio et son Ensemble. Il se produit même à la Mauritius Broadcasting Corporation dans une émission qui passe les vendredis soir l’année suivante pour laquelle il touche une somme de Rs 50. «À l’époque, l’argent ne nous intéressait pas. Nous étions intéressés à construire une nation. Nous le faisions par patriotisme, bien qu’il fût difficile de gagner de l’argent», lâche-t-il.

Instruments modernes

En 1969, de nouveaux instruments arrivent sur le marché. La tendance est donnée : l’orgue électrique crée des vagues en Europe. Les Mauriciens en veulent aussi. Un autre orchestre renommé en ce temps-là, le Typhoon Band, en fait l’acquisition. Claudio Veeraragoo s’y joint et y reste trois ans. En 1970-71, il monte un nouvel orchestre – Le Satanik Group. «Le nom nous a été soufflé par le public car partout où nous nous produisions, l’assistance était endiablée.»

Il ajoute que les années 70 et 80, les live bands connaissent un boom exceptionnel. Il se rappelle d’ailleurs ce fancy-fair extraordinaire donné à Vacoas. «Il y avait au moins 100 000 personnes. C’était extraordinaire! La communication entre l’artiste sur scène et le public, c’est quelque chose d’exceptionnel. On ne peut remplacer cette connexion.»

Autre artiste qui a côtoyé de près les orchestres: Cyril Ramdoo. «L’influence des groupes anglais était bien présente dans les années 60. Nous avions formé un groupe – Devil Guitars – et avions eu la chance de jouer au HMS Mauritius pour les Anglais. Cela nous a permis d’utiliser des instruments modernes. Nous avons fait un tabac», se remémore le chanteur de Froder maryaz.

Le groupe se produit dans des bals, des mariages, des réceptions et enchaîne des morceaux de soul music ou encore de James Brown. «On vivait notre musique avec le cœur, ce n’était pas une question d’argent.»

Paiement de Rs 50 à Claudio Veeraragoo en 1967 pour une émission télé à la MBC.

Cyril Ramdoo passe alors une audition pour entrer dans l’orchestre de feu Gérard Cimiotti. Il y reste 15 ans et chante ses plus grands tubes. «On avait un public qui nous suivait partout. Et nous, on jouait pour tout le monde.» Par la suite, l’artiste se produit dans les hôtels pendant 34 ans et ce, tout en exerçant son métier d’enseignant.

Le déclin

À partir de quand les live bands ont-ils perdu de leur éclat ? Pour Vishnu Veeramundar, les années 85-90 ont amené les Disc Jockey (DJ). Un phénomène qui a marqué le début de la fin des orchestres. D’où le besoin de diversifier l’affaire familiale. «Il a fallu tout moderniser. La sonorisation, les équipements… Cela a demandé un investissement énorme, de plusieurs millions de roupies», explique Mevis, le fils de Vishnu, qui a aujourd’hui pris la direction de l’entreprise.

«Malheureusement, les orchestres sont appelés à disparaître. Le déclin a commencé depuis plusieurs années. Un orchestre, cela coûte cher maintenant. Le client ne veut pas payer des sommes énormes, il choisit des alternatives moins coûteuses. Et puis, il a fallu diversifier selon la demande. Nous avons créé une équipe de samba brésilienne, par exemple», dit ce diplômé en ingénierie électrique de l’université de Limoges, qui a quitté son emploi dans une compagnie privée pour porter secours à l’orchestre familial.

Celui-ci s’appelle d’ailleurs le Mevis Veeramundar Band (MVB) aujourd’hui. Le fils de Vishnu Veeramundar ajoute que ce n’est pas un travail facile de tenir un orchestre. «C’est une réalité malheureusement. Nous finissons tard, il faut ramasser tous les équipements et aller déposer les musiciens, chanteurs et danseurs chez eux. Il se peut qu’ils rentrent à la maison à 2 heures du matin. Le lendemain, il y a un autre mariage, et ensuite une réception… Les jours de semaine, il faut faire des répétitions. C’est un métier contraignant, il faut vraiment être passionné sinon ce sera voué à l’échec», souligne Mevis Veeramundar.

Selon lui, l’investissement dans les orchestres actuellement ne rapporte pas grandchose en termes de profitabilité. Mais, comme c’est avant tout une passion familiale, il déclare avoir l’intention de continuer. «Mo pa pou kilé…»

Qu’en est-il de la jeune génération ? Le directeur de MVB ne mâche pas ses mots. «On ne peut forcer un jeune à faire de la musique, li bizin né ar sa sinon li pa pou posib.» Car, dit-il, à la demande des parents, il a pris sous son aile de jeunes apprentis. «On aura beau leur montrer à jouer des instruments mais dès qu’ils deviennent adultes, si ce n’est pas inné chez eux, ils laisseront tout tomber. La drogue synthé- tique fait des ravages, j’ai vu des talents, des artistes avec qui j’ai travaillé, qui ont tout perdu. C’est très triste…»

Le karaoké et le synthétiseur

Claudio Veeraragoo fait le même constat. Il se souvient du début des années 90, de l’arrivée de la technologie à Maurice. Exit les cassettes, l’ère des CD commence. «Les discos mobiles apparaissent dans les discothèques et les orchestres sont éliminés.»

Même les émissions de télé ne veulent pas se compliquer la tâche. Ils optent pour le karaoké et choisissent la «facilité». Les années 2000 marquent le boom des studios. L’artiste se souvient de ces personnes qui y enregistraient des morceaux, mais la qualité n’était souvent pas au rendez-vous.

«La dégringolade a commencé. Les ventes ont baissé, les artistes ne veulent plus de conseils. Il y a une désorganisation. Quelqu’un que je connais depuis des années et que j’ai vu récemment m’a demandé – le public est-il sourd maintenant ? Les gens ne savent plus écouter ?» ajoute Claudio Veeraragoo.

Il est rejoint dans ses propos par Cyril Ramdoo, qui trouve que la musique a quelque peu perdu sa touche humaine. «Tout est électrique. Tout est synthé- tique. On joue at random, tout est fait à l’avance. Le musicien n’a plus besoin de connaître la musique. On programme tout le play-back et c’est fait. Avant, on prenait le temps d’écouter la chanson, on ressentait les paroles. À présent, tous les textes sont sur iPad. Il n’y a pas d’âme.»

De préciser que le synthétiseur a tué les live bands dans les années 90. Ceux qui ont pu survivre ont préféré se tourner vers les hôtels alors que le grand public s’est tourné vers les DJ. «J’ai l’impression que la musique ne nourrit plus l’âme du Mauricien. Et puis, en général, les musiciens sont mal considérés. Vous avez déjà vu un musicien mauricien rouler en BMW ou en Mercedes ?»

Pour Claudio Veeraragoo, il faudrait que les orchestres fassent un travail méticuleux et des recherches pour savoir ce que souhaite le public mauricien. «Avant, nous étions des crowd pullers. Nous savions quels morceaux chanter, nous savions ce que le public voulait. Il faudrait réfléchir ensemble et trouver ces nouveaux créneaux dont veulent les Mauriciens. Une fois qu’on pourra le déterminer, on pourra relancer les live bands à Maurice…»

Questions à Karl Brasse, musician: «Il n’existe presque plus d’orchestres…»

Il a commencé sa carrière musicale en 1958 avec un banjo. Lui, c’est Karl Brasse, un musicien hors pair, un habitué de la scène et des orchestres. Âgé aujourd’hui de 77 ans, il revient sur son parcours et brosse un tableau de cette part souvent méconnue de la scène culturelle locale.

La une de «l’express» du samedi 10 février 1968.

Vous avez été musicien dans des orchestres à vos débuts. Racontez-nous…

J’ai commencé en 1958. J’ai rejoint le Typhoon Band et j’y suis resté pendant deux ans. En 1960, j’ai monté un groupe qui s’appelait Karl Brasse et son trio. Nous jouions au Golden. Et puis, nous avons été approchés pour jouer au Vatel à Curepipe. Nous y étions tous les week-ends.

Nous avons joué dans le premier hôtel pour touristes de Maurice – le Park Hotel, à Curepipe. Les dimanches, nous jouions au Chaland et ensuite, il y a eu plusieurs autres hôtels… Récemment, j’ai formé un groupe avec un saxophoniste, entre autres.

Nous jouons lors des spectacles, des soirées dansantes ou encore des réceptions…

Cette époque est désormais révolue . Comment les orchestres ont-ils perdu de leur éclat ?

Malheureusement, il n’existe presque plus d’orchestres. L’orgue électrique regroupe presque tous les instruments. Il suffisait d’avoir un chanteur et un danseur et on appelait cela un orchestre alors qu’avant, il y avait le saxophone, la clarinette… C’était complètement différent. Des gens que je vois me rappellent que j’ai joué dans leur mariage ; ça fait plaisir, même si je ne m’en souviens pas toujours.

Depuis que les instruments électroniques sont arrivés sur le marché dans les années 85-90, les orchestres ont commencé à disparaître. Cela coûte cher et les gens recherchent la facilité.

Quel regard portez-vous sur l’avenir des orchestres ?

Je pense qu’il y a beaucoup de gens qui aiment toujours les orchestres. Mais combien d'entre eux ont les moyens de payer ? S’ils peuvent payer, ils survivront. Moi, bien sûr, je préfère les orchestres. Ils sont complets. C’est un tout.