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#50ansMoris: une nation unie mais à la merci de la politique

8 février 2018, 22:03

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#50ansMoris: une nation unie mais à la merci de la politique

Les Mauriciens ont-ils la fibre patriotique ou bien sont-ils habités par le «démon communal»? En quoi la politique est-elle source de division?

Un encadré à la une de l’express de ce 8 février 1968 : «Le drapeau national – Quadricolore approuvé» (voir texte : la naissance du Quadricolore). Cinquante ans plus tard, la question mérite d’être posée : les Mauriciens se sont-ils unis sous ce drapeau, comme une seule nation ? «Le mauricianisme existe, mais c’est la politique qui divise les Mauriciens.» Ils sont plus d’un à partager cet avis. À l’approche des élections générales, disent ces personnes, la bête communautariste refait surface, pour diviser et morceler le pays en raison du système politique.

Pourtant, le drapeau national est souvent le symbole du rassemblement. Qui ne se souvient pas de la participation de Stephan Buckland à la demi-finale des Jeux Olympiques de Sydney, en l’an 2000 ? «Il n’y avait personne qui disait que c’était l’athlète d’une communauté en particulier. Nous étions tous devant notre poste de télé pour soutenir le représentant d’une nation. Un Mauricien», se souvient Nilen Vencadsamy, avocat et militant des droits de l’homme.

Et il y a aussi l’exemple des Jeux des Îles de l’océan Indien de 2003, à Maurice. Le slogan «Allez Maurice» était sur toutes les lèvres. Des motocyclistes et des automobilistes, arborant fièrement le drapeau mauricien, circulaient un peu partout. Aux stades, tout le monde soutenait les athlètes mauriciens.

«C’est pour cette raison que je dis que c’est juste une perception quand on déclare que les Mauriciens ne sont pas attachés à leur patrie. De plus, il y a l’exemple des malades. On ne regarde pas de quelle communauté est un médecin quand on va se faire soigner. Et on partage bien la culture de nos collègues et de nos voisins», ajoute le militant des droits de l’homme.

D’ailleurs, en dépit de la période difficile de 1968, les Mauriciens ont fait montre de maturité, rappelle Ashok Subron, un des dirigeants de Rezistans ek Alternativ. Nos compatriotes ont su surmonter les bagarres entre communautés cette année-là. «La solidarité mauricienne est une preuve que nous sommes unis. Lors des inondations de 2013, tout le monde s’est mis à aider ses voisins, sans aucune distinction. Nous avons chaque jour des exemples montrant que nous sommes une nation. Nous mangeons des boulettes, du briyani pour l’Eid ou des gâteux de Divali, entre autres», déclare-t-il.

Qu’est-ce qui fait donc que les Mauriciens ont pu surmonter les obstacles communautaristes ? La psychosociologue Paula Lew Fai met ce changement sur le compte de la tolérance des Mauriciens, notamment.

«Il y a eu une grande avancée depuis l’Indépendance. On arrive à mieux accepter les spécificités des autres. On se comprend mieux», constate-t-elle. Malheureusement, à l’approche des élections, le «communalisme» refait surface. Nilen Vencadsamy et Ashok Subron montrent du doigt le système électoral. «Notre Constitution, qui est notre loi suprême, encourage la balkanisation de notre société. Chaque cinq ans, les politiciens jouent sur la sensibilité communautariste pour obtenir des votes lors des élections. C’est pourquoi nous retournons à la case départ», regrette Nilen Vencadsamy.

Et «la bête “communale”, ajoute Ashok Subron, est nourrie par le Best Loser System (BLS)». Le communautarisme, dit-il, est accentué lorsque la lutte pour le pouvoir est en jeu. «Quand il faudra décrocher un contrat ou occuper un poste important, c’est là que nous parlons de communautés. D’où notre lutte pour éliminer le BLS», explique-t-il.

À 32 jours de la commémoration de l’Indépendance, Ashok Subron garde espoir. «Nous sommes une nation aux identités multiples. Cela reste le socle du peuple mauricien, 50 ans après l’Indépendance. C’C’est notre force. Il ne faut pas se laisser diviser.»

La naissance du Quadricolore

Rouge, bleu, jaune et vert. La reine Elisabeth II a approuvé les couleurs du drapeau mauricien, le Quadricolore. Il y a toute une histoire derrière ce pavillon. En ce 8 février 1968, l’express explique le symbolisme des couleurs. Le rouge représente la lutte pour la liberté et l’Indépendance, le bleu rappelle l’océan entourant l’île Maurice, le jaune symbolise «l’éclat nouveau qui confère l’Indépendance de l’île» alors que la «nature agricole de notre économie et les paysages toujours verts de l’île» sont représentés par le vert.

Cependant, sir Satcam Boolell (SSB), ancien leader du Parti travailliste (PTr), qui a commencé sa carrière politique avant l’Indépendance, a une autre explication. Dans son livre, Untold stories, sorti en 1996, SSB affirme qu’en dépit du fait que 44 % de la population (NdlR, ceux ayant voté contre l’Indépendance, en 1967) se soient inclinés devant le verdict de la majorité, il y avait encore beaucoup de méfiance parmi les Mauriciens.

«Les graines de l’amertume ont été semées et il fallait les empêcher de germer.» Pour rassurer cette minorité, écrit-il, et pour enlever toute crainte d’une hégémonie culturelle, l’hymne national, en anglais, est écrite par un poète Afro-Mauricien, Jean-Georges Prosper. Et pour limiter tout antagonisme à l’Indépendance, le leader du Comité d’action musulman (CAM) fait une proposition alors qu’il fallait choisir les couleurs pour le drapeau.

«Abdool Razack Mohamed a trouvé la brillante idée d’avoir un quadricolore comme le drapeau national, représentant les couleurs de quatre partis politiques, plaçant le bleu sous le rouge…» (NdlR, le rouge du PTr, le bleu du Parti mauricien, le jaune de l’Independent Forward Block et le vert du CAM). C’est probablement pour cette raison que pendant longtemps, dans certains milieux, les quatre couleurs ont été associées aux différentes communautés mauriciennes.

Cependant, depuis 2015, le symbolisme du drapeau national est officiel dans la National Flag Act. Il corrobore à peu près à l’explication donnée dans l’express du 8 février 1968. Sauf que, pour le vert, c’est légèrement différent. «Le vert représente l’agriculture de Maurice et sa couleur pendant les 12 mois de l’année», lit-on dans cette loi.

Questions à

Kugan Parapen, de Rezistans ek Alternativ

«Revoir le système electoral et r éfléchir en tant que Mauricien»

Est-ce que le système politique est un obstacle au mauricianisme ?

Notre Constitution nous classifie selon l’ethnie ou la religion. De plus, à la base de notre système électoral, il y a la classification selon le Best Loser System (BLS), qui est un système à l’ancienne.

Vous militez pour son élimination ?

C’est un système qui a été introduit, dans le sillage de l’Indépendance, en raison de certaines appréhensions provoquées par des événements précis. Il fallait rassurer la population. Ce système n’a plus

sa raison d’être après 50 ans d’Indépendance. Les Mauriciens ont eu beaucoup de maturité. Il faut changer cette façon de faire. Le BLS ne doit plus exister.

En amendant la Constitution, l’État ne reconnaîtra- t-il plus l’origine des Mauriciens ?

Pas du tout ! Le Parlement est un endroit avec les représentants du pays et non un groupe ou des groupes de personnes. Il n’a jamais été question que les Mauriciens oublient leurs origines. Il y a une différence entre un bon croyant et un bon citoyen. Ce dernier pense d’abord à son pays tandis qu’un bon croyant est attaché à ses origines Je ne comprends pas pour quelle raison ils devront oublier leurs origins.

Que répondez-vous à ceux qui disent que le BLS apporte un équilibre au Parlement 

Je comprends cet argument. C’est dans certaines circonstances. À une époque, il a apporté un certain équilibre. C’était à la naissance d’une nation. Il fallait rassurer la population peu après l’Indépendance. En 2018, il faut penser aux 50 prochaines années.

Après 50 ans d’Indépendance, est-ce que la nation mauricienne est une réalité ?

Oui et non. Il y en a beaucoup qui sont toujours attachés au pays de leurs ancêtres. Mais la jeune génération pense en termes de mauricianisme. Toutefois, je demeure convaincu qu’il faudra revoir le système électoral et réfléchir en tant que Mauricien.

Shakeel Mohamed, député du Parti travailliste

«Il faut un nouveau système qui encourage la méritocratice…»

Est-ce que le système politique va à l’encontre du mauricianisme ?

Le système encourage le castéisme, le communalisme. Il les regroupe sous le Best Loser System (BLS), en se basant sur l’ethnie. Le Premier ministre (PM) est choisi par les votes de l’électorat d’une seule circonscription. Il aurait dû être élu par un suffrage, avec comme circonscription l’île Maurice. Et les deputes devront être élus par d’autres élections. Le PM ne sera donc pas élu grâce au decoupage électoral, qui est souvent fait sur une base ethnique.

Et l’abolition du BLS ?

Ce système encourage le communalisme, mais il est nécessaire quand toutes les communautés n’ont pas une part égale. Il décourage la discrimination. La solution est d’apporter un changement profond au système électoral et politique. Ce sera un nouveau système qui encourage la méritocratie et non des nominations sur des bases ethniques. Un PM ou un cadre doit être choisi parce qu’il est fédérateur, capable de diriger et de gérer. Il ne devra pas avoir de poste en raison de sa communauté.

Ne faut-il pas commencer par éliminer le BLS ?

Malheureusement, il faut le garder en raison du contexte politique local. C’est un système qui protège les minorités contre la majorité. Les Nations unies l’ont d’ailleurs fait ressortir. Ce système est très important pour que la voix des minorités soit associée à celle de la majorité et devienne la voix d’une nation unie. Aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, ils font des recensements pour veiller à ce que la minorité ne soit pas exclue. S’il faut changer, ce n’est pas seulement le BLS qui devrait être concerné. C’est tout le système et la façon de faire, en general.

Quelques-uns demandent l’amendement de la Constitution Votre avis ?

Pourquoi pick and choose ? Le BLS n’est qu’une partie du système. La solution n’est pas de l’abolir uniquement. Il faut apporter une grande réforme pour que la méritocratie règne. Pour quelle raison faut-il prendre en considération l’origine ethnique d’une personne ou sa caste pour la nommer à un poste ? Si on veut éliminer la discrimination, ni le PM ni le président ne doivent nommer les membres de la Public Service Commission. Il est vrai que le BLS a été utilisé comme un sparadrap pour panser une blessure et que, pendant 50 ans, il a empêché une implosion. Mais si l’on veut un changement, cela doit être total.

L’océan n’est pas un obstacle à l’amour

À quelques jours de la St-Valentin, le geste d’un marin indien fait une brève dans l’express du 8 février 1968. Affecté sur l’I.N.S. Brahmaputra, il revient à Maurice pour épouser une Mauricienne qu’il a rencontrée trois mois plus tôt, quand la frégate indienne avait fait escale à Port-Louis. Pour se marier, il est arrivé à bord de l’I.N.S. Talwar, après avoir eu une permission de l’armée indienne.

La une du jour: Une bombe au cobalt fait l’actualité

«Cancer : une bombe au cobalt aménagée à Candos.» C’est à la une de l’express du jeudi 8 février 1968. Cela n’a rien à voir avec une menace terroriste ou une arme de guerre. Mais plutôt un équipement médical utilisant du cobalt-60 pour traiter le cancer que le ministère de la Santé vient d’acheter pour la somme de Rs 300 000.

Cet appareil, fabriqué par Philips, est considéré comme un équipement ultramoderne pour l’hôpital de Candos, qui aura également une unité spéciale pour le traitement du cancer. Cette salle spécialspécialisée, qui a coûté Rs 125 000, est équipée de 40 lits.