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Pierre Argo: «Le ministère de la Culture n’est qu’un organisateur de célébrations»

26 novembre 2017, 11:23

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Pierre Argo: «Le ministère de la Culture n’est qu’un organisateur de célébrations»

Le photographe et artiste-peintre Pierre Argo a retrouvé la serre natale. Contrairement à son habitude, il ne repartira pas. Il a décidé de se consacrer à la transmission des valeurs à ceux qui voudront bien l’entendre.

En 2016, Pierre Argo met fin à ses pérégrinations. Il avait pris le large en 1981 pour mieux vivre son art. L’année dernière, il a fait le choix de retrouver son pays natal pour de bon. L’artiste-peintre s’installe définitivement à Maurice après 35 années passées à capter les images et les couleurs dans des contrées les unes plus éloignées que les autres. Paris était son point de départ pour divers pèlerinages.

Les fréquents voyages de Pierre Argo étaient sources d’enrichissement, mais l’artiste ressentait aussi de la frustration. «Je ne pouvais entreprendre quelque chose de durable ici. J’étais toujours en partance. À chaque fois, on me demandait quand je partais et bien souvent c’était demain», regrette Pierre Argo.

Aujourd’hui, l’artiste de 76 ans veut prendre son temps pour se consacrer aux jeunes. «Je me rends compte que la transmission n’a pas été assurée.» Et comme pour rattraper le temps perdu, Pierre Argo s’active auprès d’un groupe. «À la demande du management du Caudan Waterfront, une fois par semaine, j’enseigne l’histoire de l’art à des jeunes de la région.»

C’est une démarche qu’il voulait entreprendre depuis longtemps. «J’ai mené une vie entre deux avions. Mais aujourd’hui, je suis ravi de pouvoir m’associer à un projet de partage.» C’est d’autant plus gratifiant que ses jeunes élèves, toujours plus enthousiastes, répondent présents chaque semaine.

Pierre Argo met bientôt le cap sur Rodrigues. «On doit faire quelque chose pour la jeunesse rodriguaise», confie l’artiste. Sur invitation de l’Assemblée régionale, il participera à un projet d’éducation à l’art et la culture.

Toutefois, l’artiste ne s’arrête pas là. Il affiche une détermination à partager son expérience avec des compatriotes. Ainsi, Pierre Argo envisage bientôt d’ouvrir son atelier à Rose-Hill, une fois par semaine pendant deux heures, à de jeunes artistes qui voudront bien y venir. «J’y placerai plusieurs chevalets et ceux qui le veulent bien pourront venir vivre cette expérience de partage entre plasticiens.»

«Nous sommes un peuple mirage»

Et quid de l’apport du ministère de la Culture ? C’est le sujet qui fâche. Pierre Argo s’emporte. Selon lui, «le ministère de la Culture est un lieu de fonctionnariat, ce n’est qu’un organisateur de célébrations». L’artiste estime que «seulement 3 % du budget du ministère va aux artistes». Il s’en désole. «C’est triste à dire, mais toutes les grandes initiatives artistiques se font en dehors du ministère.»

Pourtant, Pierre Argo a lui-même été fonctionnaire dans sa jeunesse. Il était affecté au service cartographique au ministère du Logement et des terres. «C’est sans doute à cette époque que j’ai été attiré par la photographie aérienne», fait remarquer le photographe.

L’homme se souvient comment, à ses débuts, il a été guidé par le «grand technicien allemand» Siegfried Sammer. «Cet homme a enseigné à l’Académie de Venise. Il est venu à Maurice après avoir passé un moment à Madagascar. Siegfried voulait, à sa manière, revivre l’expérience de Gauguin aux îles Marquises», se souvient l’élève Pierre Argo.

Deux fois par semaine, Pierre Argo et ses amis Youssouf Wachill, Serge Selvon, Yves David, William Clarke et Yves Rassou, entre autres, suivaient les conseils du maître. Tantôt à la mairie de Port-Louis, tantôt à celle de Rose-Hill. Ces mairies avaient offert un contrat à Siegfried Sammer. Donc, les pouvoirs publics prenaient des initiatives en faveur de l’art.

«Mais à cette époque, les administratifs étaient des hommes cultivés. Il y avait Somduth Bhuckory et Édouard Maunick à Port-Louis. À Rose-Hill, on traitait avec André Decotter et Serge Constantin», dit Pierre Argo.

Autre sujet qui fâche : la Mauritius Broadcasting Corporation (MBC). Pierre Argo, qui a été un photographe très proche des ségatiers, digère mal le fait que la station de radiotélévision nationale n’ait pas assisté aux obsèques de Marclaine Antoine. «Cet homme était un monument et à la MBC, tout le monde l’ignorait.»

Il s’insurge également contre la manière dont le concept de centres culturels a été mis en oeuvre. «On ne permet pas aux Mauriciens de se retrouver ensemble. On les isole. Mais la culture doit rassembler et non séparer.» L’artiste trouve incongrue la notion de peuple arc-en-ciel : «Donc, nous sommes un peuple mirage : quand le soleil part, on n’existe plus. En plus, avec l’arc-en-ciel, les couleurs ne se mélangent jamais.»

Selon le peintre, les politiciens sont responsables de cette situation. Si nos dirigeants étaient plus cultivés, la situation serait tout autre. «Ils pourront changer les choses le jour où ils comprendront que la culture est une ouverture vers le savoir.» Un ardent souhait d’artiste pour promouvoir l’art !

Pierre Argo a également de multiples projets de photographie, dont des publications intitulées Les beaux villages d’Afrique, Le monde créole ou encore Les épices du monde. L’artiste prépare aussi un événement d’une grande importance pour lui : une rétrospective de son travail de peintre de 1975 à ce jour.

Son parcours

  • Début des années 60 – Fonctionnaire au ministère du Logement et des terres – Cours de peinture et de photographie assurés par Siegfried Sammer
  • Fin des années 60 – Quitte la fonction publique pour vivre de son art
  • 1981 – Émigre en France
  • 1984 – Prix de la Société internationale des beaux-arts au Salon des artistes français
  • 1981– 2016 – Carrière en France – Anime des ateliers dans plusieurs pays d’Afrique – Expose dans les grandes capitales – Collaborateur et directeur artistique de plusieurs magazines internationaux, dont «Géo»
  • 2016 – Retour définitif à Maurice – Se consacre à partager son expérience avec des jeunes.