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Cassam Uteem: «La voix des plus pauvres est absente»

17 octobre 2017, 12:36

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Cassam Uteem: «La voix des plus pauvres est absente»

L’année 2017 marque le 25e anniversaire de la reconnaissance par l’Organisation des Nations unies de la Journée mondiale du refus de la misère. Cette journée trouve son origine dans un rassemblement, le 17 octobre 1987, de 100 000 personnes sur le Parvis des libertés et des droits de l’Homme à Paris, à l’endroit même où fut signée la Déclaration universelle des droits de l’Homme, en 1948.

Ces personnes se rassemblaient pour répondre à l’appel de Joseph Wrésinski, fondateur d’ATD Quart monde, dont nous célébrons le 100e anniversaire cette année. Il avait connu la grande pauvreté, la faim, le froid, le manque lancinant, mais aussi le mépris et la condescendance dans laquelle on est obligé de vivre quand on depend de la générosité des autres.

Le mouvement ATD Quart monde, qu’il fonde en 1957, avec des familles en grande pauvreté de la région parisienne, n’est pas une association d’aide aux pauvres. C’est un mouvement où les pauvres peuvent se rassembler, affirmer et renforcer leur courage, se battre pour la reconnaissance de leur dignité, pour leur droit à pouvoir exister, à être hommes parmi les hommes, un mouvement où les hommes de tous milieux et de toutes origines peuvent se rassembler, se rencontrer et apprendre ensemble comment refuser la misère.

Durant les 30 années qui ont suivi, des familles en situation de grande pauvreté à travers le monde entier se sont reconnues dans cette démarche, rejointes par de nombreux citoyens dans leur quête de justice et de paix.

Le 17 octobre 1987 marque ainsi un tournant dans l’histoire de la lutte contre la pauvreté, un tournant dans l’histoire de l’humanité et de son aspiration à «un monde où les êtres humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère », comme le proclame la Déclaration des droits de l’Homme.

Cette Journée mondiale du refus de la misère n’est pas un appel de plus à la générosité. Elle marque des ruptures importantes par rapport à notre manière de penser la solidarité, elle est un appel à une transformation profonde de nos sociétés.

La première rupture à laquelle nous entraîne cette journée est contenue dans le texte gravé sur le Parvis du Trocadéro : «Là où des hommes sont condamnés à vivre dans la misère, les Droits de l’Homme sont violés. S’unir pour les faire respecter est un devoir sacré.» Il y a là l’affirmation que la misère est une violation des droits humains. Et que toute politique de lutte contre la pauvreté doit donc être une politique d’accès aux droits fondamentauxpour tous.

La seconde rupture est également gravée dans le marbre du Trocadéro : «Le 17 octobre 1987, des défenseurs des droits de l’Homme et du citoyen de tous pays se sont rassemblés sur ce Parvis...»

«Libérés de la terreur»

Par cette journée, les familles en situation de pauvreté présentes se sont affirmées comme défenseurs des droits de l’Homme.

Si les plus défavorisés ne sont plus ni les coupables ni même seulement les victimes de la misère, s’ils sont les premiers défenseurs des droits de l’Homme, alors il ne s’agit plus seulement de les secourir, encore moins de les contrôler ou de les éduquer, mais de comprendre leurs combats et de les rejoindre dans leurs efforts. Leur participation, leur intelligence et leur parole sont désormais indispensables.

Depuis 30 ans d’existence, cette journée, célébrée aujourd’hui dans plus de 100 pays, aura grandement contribué à situer de plus en plus la lutte contre la pauvreté en termes d’accès aux droits de l’Homme, comme le soulignent les principes directeurs des Nations unies sur l’extrême pauvreté et les droits de l’Homme.

Depuis 30 ans d’existence, cette journée aura grandement contribué à un changement de perspective très important pour la communauté internationale, donc pour l’ensemble de nos pays, qui ont réalisé qu’il ne s’agissait pas uniquement de diminuer la pauvreté, mais de promouvoir un développement économique, social et environnemental, qui se fixe une exigence absolue, celle de n’abandonner personne, de ne laisser personne en arrière, comme l’affirment les objectifs de développement durable adoptés en 2015.

Pour que nos sociétés soient réellement durables, elles nécessitent une société civile vivante et forte. Et même dans les pays où cette société civile est vivante et forte, la voix des plus pauvres en est singulièrement absente.

Depuis 30 ans d’existence, la Journée mondiale du refus de la misère contribue peu à peu à l’émergence de ce partenaire jusqu’ici absent, et sans lequel la justice, la paix et la fraternité resteront inaccessibles pour tous. C’est un chemin d’avenir, bien loin de l’assistance, un chemin d’avenir sur lequel chacun de nous est appelé à s’engager.

(Photo d’illustration) Selon l’auteur, la misère est une violation des droits humains.