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«Pas de cinématographie nationale en développement sans une bonne école de cinéma, une revue critique et un bon festival»

17 octobre 2017, 02:05

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«Pas de cinématographie nationale en développement sans une bonne école de cinéma, une revue critique et un bon festival»

Olivier Barlet, directeur des publications d’Africultures et Afriscope, et membre du Syndicat français de la critique de cinéma, était à Maurice dans le cadre du Festival international du court-métrage, Île Courts, où il a animé un atelier sur la critique de cinéma. Il nous parle du rôle de celle-ci et nous donne son avis sur notre cinéma.

Vous avez un long CV, étant traducteur, auteur, membre du Syndicat français de la critique de cinéma, directeur des publications d’Africultures et Afriscope. Que représente la critique de cinéma pour vous ?

Il n’y a pas d’école de critique, cela vient à un moment de sa vie où l’on a envie de s’exprimer sur les créations que l’on voit. La critique, c’est prendre sa plume et se dire qu’on peut éventuellement intéresser un public de lecteurs sur ce qu’on pense des films. Dans mon cas, c’est venu avec ma passion pour le cinéma et la découverte de l’Afrique.

J’ai commencé à faire des critiques de cinéma et assez rapidement, j’ai écrit un livre sur les cinémas d’Afrique. J’ai passé quatre ans à écrire sur le livre Les cinémas d’Afrique noire : les regards en question. Et ces regards sont ceux que porte l’Afrique sur le monde. C’est ce jeu de regards qui me travaille et qui fait référence à là d’où je viens, soit la société française, travaillée par son interculturalité. La colonisation française a toujours été assimilationniste, cela reste présent dans le rapport à l’immigré et à la partie africaine de la société, qui est très importante en France. Mais elle est complètement mise de côté, aussi bien dans le récit national historique que dans la réalité d’aujourd’hui.

Donc, la défense de la diversité, je l’ai vécue à travers l’aventure Africultures. Les cultures africaines sont plurielles. Je ne dis jamais le cinéma africain, mais les cinémas africains et je ne dis jamais l’Afrique, comme un pays, mais comme une série de pays. L’enjeu était de sortir de cette notion d’une Afrique mythique ancestrale qui ne bouge pas, traditionnelle, qui n’aurait pas d’histoire, comme dirait l’ancien président Sarkozy. Et de retourner à une vision active, contemporaine, qui n’était jamais attribuée aux cultures africaines.

La critique, c’est donc donner une autre vision des choses ?

La critique, ce n’est pas de dire que c’est bon ou mauvais, c’est d’aller chercher et de proposer des éclairages d’actualité sur les expressions culturelles. Une critique cherche à comprendre et accompagner. Elle dépasse le cadre du cinéma et arrive à la limite de la politique. Nous ne sommes pas des avocats d’une cause, on n’a pas de plaidoyer, on exprime quelque chose qui nous est propre, mais qui n’est pas la parole d’une institution.

«L’art qui ne trouble pas, c’est de la distraction. Par contre, tout art qui cherche à parler du monde, de la société, est déstabilisant

La critique ne dicte pas donc aux lecteurs ce qu’ils doivent penser ?

Le mot critique vient du mot «krisis» et ne correspond pas à donner un verdict, mais à saisir la crise dans le film, c’est-à-dire ce qui nous dérange. L’art qui ne trouble pas, c’est de la distraction. Par contre, tout art qui cherche à parler du monde, de la société, est déstabilisant. Il cherche à nous toucher et c’est ce qui va nous intéresser.

On va essayer de l’explorer pour accompagner le spectateur dans son appréhension d’une oeuvre. Quand on a de l’art abstrait, on est face à un univers dont on n’a pas les codes. Au cinéma, c’est un peu comme cela. Quand le cinéma sort des normes, on est déstabilisé. Cet accompagnement de réflexion est important. J’aide le lecteur à développer sa propre pensée critique.

«Je crois que la critique est fondamentale. Le public a besoin d’approfondissement, d’éclaircissement

Pensez-vous qu’en 2017, les médias peuvent faire fi de la critique ?

Il y a la tendance de décomposition de la qualité des médias partout dans le monde. Cela tient à cette superficialité ambiante créée par les réseaux sociaux, qui fait qu’on fait de belles phrases, mais pas d’analyses. Cette tendance est un appauvrissement. Il y a de plus en plus de médias, même en France, qui n’ont plus de critique. Ils ont de la promotion, de l’accompagnement, mais n’ont pas besoin d’une plume.

À côté de cela, on a un monde qui est de plus en plus complexe. On vit cette complexité en mode angoisse. Je crois que la critique est fondamentale. Le public a besoin d’approfondissement, d’éclaircissement. Les rédacteurs en chef qui ne comprennent pas cela se condamnent à ne pas répondre aux besoins de leur public. Je crois qu’il est très important d’accompagner intellectuellement les gens pour les mener à l’éclaircissement.

Vous êtes à Maurice dans le cadre du Festival international de courts-métrages, Île Courts. Quel est votre regard sur le cinéma mauricien ?

J’ai vu des films mauriciens avant de venir. Un certain nombre de longs-métrages mauriciens étaient aux festivals. Ils ne sont pas nombreux. Aujourd’hui, il y en a cinq. J’en ai vu quatre car le 5e est un film un peu plus populaire. Ils m’ont tous passionné.

La Cathédrale est un peu difficile d’accès, un peu expérimental, mais c’est une tentative d’écriture littéraire. Les enfants de Troumaron, Bénarès ou Lonbraz kann sont des films qui m’ont donné envie d’en savoir plus sur votre société. Et quand on m’a demandé si je pouvais venir à Maurice, j’ai tout de suite dit oui car j’avais ces références en tête. Ce ne sont pas les palmiers et les plages qui m’ont attiré.

Qu’est-ce qui vous a passionné dans ces films ?

D’abord, le fort sentiment de blocage d’une société qui ne sait pas comment résoudre ses problèmes. On voit dans Les enfants de Troumaron cette population un peu brisée. Dans Bénarès, on voit des gens qui traversent le pays à la recherche de leur avenir, mais il ne se passe rien. Dans Lonbraz Kann, on a aussi ces personnages- là. Ils sont porteurs d’interrogations très actuelles.

Ce qui m’a aussi interpellé, c’est la situation interculturelle, une question fondamentale dans la société. Je travaille sur ce sujet depuis longtemps. Ici, l’interculturalité est une histoire très différente, mais complexe et très riche. Il y a ici un gros brassage culturel qui est, en même temps, très difficile. Donc, où sont les éléments qui permettent d’avancer ? De ce que j’ai lu, c’est dans l’expression artistique que vivent des imaginaires et des façons de vivre ensemble, qui sont des éléments d’avenir et de changement.

Pensez-vous donc que le changement puisse venir de la culture ?

Dans le monde d’aujourd’hui, et pas seulement à Maurice, je pense que c’est là que vit un nouvel imaginaire. Parce qu’on n’a plus de système politique moderne. On a cru à un moment au communisme, mais nous avons vu que cela ne fonctionne pas. On n’a pas de modèle alternatif par rapport à ce capitalisme qui nous enferme dans la consommation et dans l’individualisme.

Face à ce manque d’alternative globale, cela se forge au quotidien. Nous réalisons, avec les gens qui nous sont proches, des alternatives par rapport à l’existant. On vit les valeurs qu’on a envie de vivre. Je crois beaucoup aux gens qui font des projets, qui font que la société citoyenne est vivante.

Maurice compte instaurer une industrie cinématographique. Quel regard jetez-vous sur cette industrie ?

Quand un pays a cinq longs-métrages, il n’y a pas d’industrie du cinéma. Les jeunes essaient de faire des choses, mais sont peu accompagnés. Il n’y a pas une politique culturelle forte pour les soutenir. La télévision n’est pas impliquée, il n’y a pas de cinéma mauricien. On pourrait dire qu’il y a une tendance où certains essaient d’exprimer ce qu’ils ont dans les tripes. Mais ils le font comme les écrivains dans la littérature, un peu isolé.

Il y a quelques pays où il y a une cinématographie nationale qui se développe, tels que le Maroc, la Tunisie, l’Afrique du Sud. Mais vous n’avez pas une cinématographie nationale en développement si vous n’avez pas une bonne école de cinéma, une revue critique et un bon festival qui soit un lieu d’échanges et d’émulations. Il faut aussi la structure de l’industrie cinématographique, c’est-à-dire les producteurs, etc.