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Philippe Forget: «Inexact de dire que la MCB a été condamnée pour blanchiment d’argent»

15 octobre 2017, 14:51

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Philippe Forget: «Inexact de dire que la MCB a été condamnée pour blanchiment d’argent»

Un jugement a été rendu, vendredi 13 octobre, dans l’affaire MCB-NPF. Il condamne la banque sous les articles 3(2) et 8 de la Financial Intelligence and Anti-Money Laundering Act (FIAMLA), qui évoque la négligence ayant rendu possible une situation de blanchiment d’argent. Vous étiez l’assistant «General Manager» de la MCB à l’époque…

Chacun doit assumer sa part de responsabilité. J’ai assumé la mienne. C’est un souvenir qui est encore extrêmement désagréable. Le plus dur  était sans doute d’être accusé d’avoir «volé» les pensions des citoyens, alors que le National Pension Fund (NPF) a été, pourtant, rapidement et totalement, remboursé ! Le choc et le désarroi des employés étaient très lourds à porter, aussi.

Nous avions évidemment des systèmes de contrôle en place et c’est ce qui a également été reconnu dans le jugement. Cependant, il faut admettre qu’à cette époque-là, le poids de l’habitude avait engendré une banque qui faisait peut-être trop confiance à ses cadres.

«Le plus dur était sans doute d’être accusé d’avoir ‘volé’ les pensions des citoyens.»

En effet, tout système est a priori vulnérable, puisqu’il dépend des hommes à qui il est confié. Quand vous avez un cadre responsable d’un département, en l’occurrence Robert Lesage, qui est dans une mission inavouable et que ceux qui étaient censés lui faire contrepoids s’écrasent par «respect», vous obtenez les prémices de dérapages sérieux.

Un système à 100 % invulnérable n’existe malheureusement pas. Je citerais à titre d’exemple la NASA, qui même avec tous les moyens qu’elle alignait, ne s’est jamais exposée à prétendre que ses fusées étaient fiables à plus de 97,7 %. Il y avait donc toujours un risque. Les systèmes de contrôle de la NASA étaient pourtant engagés à protéger des vies humaines, pas des dépôts fixes, ce qui n’a pas empêché Challenger d’exploser en 1986 et Columbia de prendre feu et d’être détruit, tuant sept astronautes juste avant l’atterrissage. C’est dire !

Mais assumer sa part de responsabilité ne veut pas dire être coupable et je comprends tout à fait pourquoi la MCB fait appel.

Qui est donc coupable ?

Il me semble que c’est très clair. Le jugement de vendredi lui-même est limpide là-dessus. Ce qui a été considéré devant les juges Lam Shang Leen et Devat en Cour suprême à l’époque me semble clair aussi.

Ce qui est troublant dans cette affaire, c’est que l’on n’a jamais expliqué pourquoi l’Independent Commission against Corruption avait accordé l’immunité à Robert Lesage et pourquoi la police ne l’a jamais poursuivi ! Normalement, on accorde l’immunité à quelqu’un pour qu’il dénonce de plus gros poissons. Or, il a fait des accusations en l’air à cet effet et n’a jamais pu soutenir celles-ci avec la moindre évidence.

C’était pourtant facile. Il lui suffisait d’avoir mis un petit courriel aux chefs de qui il dit avoir reçu des ordres : «Mon cher Pipo, tes instructions pour créditer Teeren à la HSBC et à la SBM ont été suivies ce matin. Bien à toi, Bob.» Rien de tout cela. Pas une seule fois.

«Le coupable de la fraude, qui a d’ailleurs reconnu ses actes, n’est pas poursuivi, le bénéficiaire principal non plus et c’est l’établissement chez qui on a volé, c’est-à-dire la victime, qui est poursuivie ?»

Le résultat ? Le coupable de la fraude, qui a d’ailleurs reconnu ses actes, n’est pas poursuivi, le bénéficiaire principal non plus et c’est l’établissement chez qui on a volé, c’est-à-dire la victime, qui est poursuivie ? Comme me le disait mon père, c’est comme si la servante vole les petites cuillères en argent et que ce soit, vous, la victime, qui êtes finalement poursuivie pour «négligence» !

La banque avait des systèmes de contrôle raisonnables et avait déjà pris l’initiative d’engager des consultants pour les améliorer davantage avant que n’éclate l’affaire Robert Lesage. Cependant, cet épisode, traumatisant a eu au moins un effet positif puisqu’il a permis d’accélérer la prise de conscience face aux risques et le resserrement matériel des systèmes de contrôle de la banque, balayant du coup les forces favorables au statu quo et du «mais nous avons toujours fait comme ça !»

«Ce qui est troublant dans cette affaire, c’est que l’on n’a jamais expliqué pourquoi l’ICAC avait accordé l’immunité à Robert Lesage.»

Le résultat est une banque certes plus bureaucratique, ce que les clients n’ont pas toujours aimé à l’époque, mais évidemment moins vulnérable. Personne à la MCB ne s’écrasera, cependant, en remerciements à Robert Lesage.

Le mot de la fin ?

Je crois qu’il est fondamentalement inexact de dire que la MCB a été condamnée pour «blanchiment d’argent». Elle a été accusée de «négligence» ayant permis le crime de blanchiment et condamnée, avant appel, pour cette seule charge. Ce n’est pas du tout pareil ! D’autant que personne n’a été, jusqu’ici, épinglé pour le «crime» de blanchiment dans cette affaire, que je sache…