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Air Mauritius: «Il y a un manque d’écoute au niveau de la direction», dit Shezaan Laulloo

15 octobre 2017, 00:40

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Air Mauritius: «Il y a un manque d’écoute au niveau de la direction», dit Shezaan Laulloo

Après les récents événements qui ont secoué Air Mauritius (MK), Shezaan Laulloo nous parle d’insécurité, de la relation inexistante entre la direction et les pilotes, de la pression, entre autres.

Des pilotes sont licenciés lorsqu’ils prennent des «sick leaves». Avez-vous le sentiment qu’il est dangereux d’exercer le métier de pilote aujourd’hui ?

Il y a un sentiment d’insécurité parmi les pilotes depuis l’éclatement de cette affaire. Certains expriment leur inquiétude et craignent la réaction de la compagnie lorsqu’ils disent qu’ils sont malades.

Quelle analyse faites-vous de ce bras de fer entre la direction de MK et les pilotes ?

C’est un peu comme une bombe à retardement. Il y a des pilotes malades, ce qui est normal. Mais il y a un manque de pilotes pour les remplacer. La direction et les opérations sollicitent les pilotes durant leurs jours de repos pour pallier le manque d’effectifs. Les pilotes en repos ne sont pas tenus à effectuer un vol. Ils ne sont pas obligés de rendre service. Mais, jusqu’à maintenant, ils le faisaient parce qu’ils ont une conscience professionnelle. Si le vol est grounded, les pilotes acceptent de le faire pour la compagnie.

Depuis quelque temps, la compagnie a commencé à enlever les acquis des pilotes et autres bénéfices. Et en parallèle, la compagnie force les recrues à signer des contrats inférieurs aux contrats normaux, contre l’accord signé du collective agreement. Quand on leur dit qu’ils doivent accorder les mêmes conditions à tout le monde, ils ne nous écoutent pas. Cela a commencé à dégénérer. Il y a eu un ras-le-bol général.

Quelle a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase ?

C’était la pression que subissaient nos jeunes pilotes qui sont forcés de signer des contrats inférieurs au contrat normal. Il y a un risque que ces contrats soient étendus au reste du personnel. Tout cela a été fait de manière unilatérale, sans discussion. Il n’y a pas eu de dialogue entre les ressources humaines et les représentants syndicaux.

Cette crise aurait-elle pu être évitée ?

C’est une évidence. Si on nous avait écoutés quand on avait tiré la sonnette d’alarme, on n’en serait pas là. Il y a un manque d’écoute au niveau de la direction. Les relations industrielles sont inexistantes. Il n’y a pas de respect mutuel entre employés et employeur.

Il a été rapporté que cette «grève déguisée» a été concertée par les pilotes. Vous qui êtes pilote, qu’est-ce que cela vous fait qu’on accuse vos collègues de ne pas avoir de conscience professionnelle ?

Cela m’attriste un peu qu’on essaie de coller ça sur le dos des pilotes, qui ont été très professionnels dans leur travail et qui comprennent les exigences du métier. Pour moi, c’est une tentative de ternir leur image. Ce n’est pas une «grève déguisée». La compagnie a eu pas mal de temps pour recruter. Sauf que les conditions de travail ne sont pas très attrayantes. La compagnie a du mal à renflouer les effectifs. Il n’y a pas de pilote de réserve pour remplacer un pilote qui tombe malade. Ils comptent sur les pilotes qui sont au repos.

Les syndicats des pilotes ont demandé à rencontrer la direction, en vain. Depuis la crise, la direction est ouverte aux négociations. Comment accueillez- vous cette demarche ?

On ne voit que des communiqués. Les seules deux négociations étaient celles que les représentants syndicaux ont eues samedi et dimanche avec la direction. Elles étaient informelles et n’ont pas abouti. On nous parle d’un comité des sages, qui semble avoir été assemblé à la va-vite. On nomme des gens qui ne savent même pas qu’ils en font partie. La vraie volonté de régler le problème n’est pas ferme. On ne connaît pas le mandat, le calendrier et l’autorité du comité. En tant que représentant syndical, mon rôle premier est de m’assurer que la communauté des pilotes opère dans un environnement serein.

À ce stade, il n’y a pas d’indication forte que ce comité soit mandaté et qu’il ait l’autorité de changer quoi que ce soit. Ce sont des effets d’annonce. Il a été mis en place pour apaiser la situation. Il y a un manque d’écoute, de considération pour les doléances. C’est un malaise général dans la compagnie.

Que faire pour améliorer les relations entre les deux parties ?

Depuis deux ans, il y a eu une cassure entre la direction et les pilotes. On est arrivé à un point de non-retour. Il faut un changement radical au niveau des ressources humaines et un changement d’approche dans la manière dont ils traitent les griefs des employés.

Le pilote Gébert a présenté des excuses afin d’être réintégré. Vous attendiez-vous à cela ?

Non. Je ne vois pas pourquoi il devait présenter ses excuses. Depuis que cette crise a éclaté, je n’ai pas eu de communication directe avec lui. Je doute même de l’existence de la lettre. Je ne l’ai pas vue et je n’en connais pas la teneur.

Cette «grève déguisée» a coûté Rs 120 millions à MK. Le Premier ministre avance, lui, Rs 242 millions. A-t-elle coûté autant ?

Je questionne le montant. On avait 1 500 passagers bloqués. Si quatre vols représentent un revenu ou un manque à gagner de Rs 242 millions, avec le nombre de vols par an, on serait dans le Guiness Book of Records en termes de profits. Il faut arrêter de balancer des chiffres sans nous montrer d’où ils viennent. Il faut être transparent.

Un rapport indépendant est attendu concernant le Memorandum of Understanding (MoU), qui a expiré en 2015. Est-ce un soulagement ?

Ce n’est pas un soulagement. Le MoU aurait dû être renégocié en 2015. À chaque fois, il y a quelque chose qui retarde l’exercice. Les relations industrielles entre les ressources humaines et nous n’existent pas. Je n’ai plus confiance dans leur processus. On ne voit que des delaying tactics. Dans l’esprit des pilotes, chaque retard est intentionnel.

Je ne vois pas en quoi un rapport indépendant d’une entreprise qui n’est même pas spécialisée en aviation peut changer le processus de négociation. Les conditions de travail des pilotes dans le monde sont du domaine public. Nos salaires sont inférieurs de 40 % comparés à la moyenne internationale. On questionne leur bonne foi. Il y a une telle gêne. C’est pour cela que les négociations sont difficiles. C’est une dégradation totale des relations entre employés et employeurs causée par une mauvaise gestion des ressources humaines. Tout ce qu’on veut, ce sont des relations saines. Que la compagnie nous respecte. On est un partenaire clé de cette industrie. On comprend les enjeux en cours.

Beaucoup de vos collègues ont préféré travailler pour des compagnies étrangères. Cela ne vous a jamais tenté ?

Dans le milieu, MK est connue comme l’International Training Airline parce que les conditions salariales sont tellement inférieures que, la plupart du temps, les pilotes qui travaillent ici n’ont pas les qualifications requises pour trouver un job ailleurs. MK les forme et aussitôt qu’ils ont les qualifications, ils partent. La compagnie est constamment en train de recruter. Elle n’arrive pas à retenir les pilotes.

Pourtant, le salaire des compagnies étrangères est trois à quatre fois supérieur que chez MK, à moins que les pilotes obtiennent Rs 400 000 ou Rs 600 000.

Je pense que c’est une tentative de nous faire passer pour des enfants gâtés. Si je quitte MK, je peux faire le double. J’ai beaucoup d’affection pour la compagnie. Ma carrière de pilote a commencé ici.