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Sucre : comment le rendre plus compétitif ?

6 septembre 2017, 23:30

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Sucre : comment le rendre plus compétitif ?

En octobre 2017, les quotas sucriers européens seront abolis. Le sucre mauricien sera ainsi livré à une concurrence accrue, vu la libéralisation du marché mondial. Face au grain de sel, quels sont les problèmes auxquels fait face notre produit ? Comment peut-il se démarquer? Le point.

D’ici un mois, la compétition internationale nous cassera du sucre sur le dos. En effet, le 30 septembre, les régimes sucriers européens tireront à leur fin. Cela implique une libéralisation du marché qui logera à la même enseigne les producteurs de sucre de canne locaux et internationaux ainsi que ceux spécialisés en sucre de betterave.

«Bien que le marché européen ait permis une plus grande visibilité des prix pendant que les livraisons des producteurs de betteraves étaient contrôlées, la situation changera à partir d’octobre. Sans aucune contrainte, ils vont inonder le marché sucrier, ce qui provoque déjà une baisse importante des prix», déclare Devesh Dukhira, Chief Executive Officer (CEO) du Syndicat des sucres.

Selon lui, la plupart des producteurs de sucre dans le monde subissent des pertes alors que la consommation globale augmente d’environ trois millions de tonnes par an. Il précise que la baisse du cours mondial sucrier est de l’ordre d’US$ 150 la tonne depuis le début de 2017.

«Cela implique qu’en 2016, le prix se situait autour de Rs 15 000 la tonne de sucre. Et pour cette année, l’estimation est de Rs 13 000 par tonne», explique Dineshsing Goburdhun, General Manager de la Mauritius Cooperative Agricultural Federation (MCAF).

Économies d’échelle à forte production

Outre la baisse du prix à l’international, la production locale est loin d’être tout sucre, tout miel, précisent Salil Roy, président de la Planters Reform Association, et Rafick Chatharoo, président de la Multipurpose Cooperative Society, respectivement, le problème réside à la base de la production cannière.

«Notre production locale tourne autour de 400 000 tonnes de sucre annuellement. Parfois, nous pouvons en produire 370 000 tonnes. Sur le marché, nous sommes en compétition directe avec des gros producteurs comme le Brésil et l’Inde», indique Salil Roy. Ces pays constituent des économies d’échelle à forte production (voir texte plus loin) et à des coûts inférieurs. À cela se rajoute un sérieux concurrent : le sucre de betterave. Produit en Europe et dans d’autres pays du monde, ce produit entraîne des coûts de production inférieurs en comparaison avec ceux du sucre de canne, plus de facilités pour sa culture et la main-d’oeuvre. À l’inverse, pour la production sucrière locale, Rafick Chatharoo évoque aussi bien des frais élevés en termes d’ouvriers, d’intrants et produits de désherbage.

Face à ces problèmes, les agriculteurs se sont orientés vers les sous-produits comme la bagasse, la mélasse et la vinasse (utilisée pour faire du fertilisant). Néanmoins, les prix pratiqués ne sont pas suffisamment élevés, critiquent les responsables d’organisations regroupant les planteurs. Parallèlement, l’abandon des terres cannières par les agriculteurs mauriciens entrave la production sucrière.

Comment sortir le sucre mauricien de la mélasse ? Pour les responsables des associations de planteurs, il faut optimiser la production cannière à la base. Ils évoquent notamment des subventions pour soutenir les planteurs dans cette filière. Ce qui contribuera à faire baisser les coûts de production et à encourager les planteurs qui abandonneront moins les champs, avancent-ils.

Au dire de Vincent Labat, Managing Director de Médine Ltd, il faut cultiver la canne à plus fort rendement par hectare et richesse en sucre. Il s’aligne également en faveur de l’utilisation d’une main-d’oeuvre multidisciplinaire pour la mécanisation et le déploiement de GPS sur des machines agricoles pour plus de précision.

Et puisque le sucre de betterave constitue un rival de taille à la version cannière, peut-on considérer sa culture localement ? La production betteravière serait difficilement réalisable à Maurice, soutiennent nos interlocuteurs. Cela est dû au fait que le climat n’est pas adapté à sa culture.

Nouvelles ouvertures pour le sucre raffiné

Une autre stratégie est de miser sur les atouts de notre produit, en particulier sa qualité. «Il y a une traçabilité. C’est un excellent produit qui est en plus livré dans les délais prescrits», ajoute Salil Roy. Le ciblage d’autres marchés est également nécessaire. D’où le fait que le Syndicat des sucres s’y attelle actuellement en prévision de l’abolition des accords européens.

«Avec un accroissement de la concurrence, le Syndicat des sucres est appelé à être encore plus agressif. Nous sommes en train de renforcer nos ressources commerciales dont le recrutement d’un cadre en Europe pour se rapprocher davantage des clients. Cela nous permettra aussi d’être plus réactifs aux opportunités qui se présentent, tout en préservant nos parts du marché», souligne Devesh Dukhira.

Pour lui, le gouvernement apporte son soutien en négociant de nouveaux accords commerciaux pour un accès préférentiel avec des pays représentant des opportunités intéressantes, en l’occurrence l’Inde et la Chine. Dans la même veine, le Syndicat des sucres planche sur de nouvelles ouvertures pour le sucre raffiné dans les îles de l’océan Indien et en Afrique. Pour Vincent Labat, l’exploration des marchés plus porteurs que l’Europe, soit les pays africains, est à privilégier. «Les marchés scandinaves sont aussi à cibler», estime Dineshsing Goburdhun, General Manager de la MCAF.

La diversification est également à promouvoir, indiquent nos interlocuteurs. En effet, le marché des sucres spéciaux est en ébullition, estiment-ils. D’ailleurs, comme le précise Vincent Labat, les sucres spéciaux, raffinés et organiques caractérisent de la valeur ajoutée qu’il faut augmenter.

Maurice produit annuellement 130 000 tonnes de sucres spéciaux réparties en plus d’une dizaine de variétés. D’après le Syndicat des sucres, les ventes, jusque-là focalisées sur l’Europe, sont maintenant commercialisées dans une trentaine de pays du monde dont les États-Unis, le Moyen et l’Extrême-Orient, l’Asie du Sud et l’Afrique. Il s’agit là d’un créneau à développer davantage.

Accords de coopération : Fin au filet de protection

<p>Marchés garantis, prix et quotas préférentiels&hellip; ces filets de protection ne sont plus. Il faut savoir que pendant des décennies, des régimes sucriers étaient plutôt tendres envers notre production locale. Historiquement, le pays avait ratifié les Conventions de Lomé, et plus précisément le Protocole sucre. Cet accord de coopération était appliqué de 1975 à 2000 entre l&rsquo;Union européenne (UE) et les pays d&rsquo;Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP). Le Protocole sucre régissait l&rsquo;importation du sucre par l&rsquo;UE auprès de 18 pays ACP. Sous ce régime commercial, un prix fixe (au-delà de celui en vigueur sur le marché international), un quota précis et une dérogation aux taxes douanières (qui étaient nulles ou minimes) étaient préconisés. Cet accord a expiré le 30 septembre 2009. Par conséquent, le prix du sucre a baissé progressivement. Néanmoins, certains des avantages de ce protocole étaient observés jusqu&rsquo;en 2015 pour la transition. Mais depuis le 1er octobre 2015, il n&rsquo;existe plus de protection pour le sucre mauricien. Et pour en rajouter une couche, dès le 1er octobre 2017, l&rsquo;UE enchaîne avec la suppression des quotas sucriers. Ce qui fait que Maurice aura à se livrer à une féroce compétition avec les producteurs de sucre de canne et de betterave. Avec pour incidence la libéralisation davantage des marchés internationaux.</p>

En chiffres

<p>À l&rsquo;échelle globale, 179 millions de tonnes de sucre seraient produits selon l&rsquo;estimation de l&rsquo;International Sugar Organisation. Cette estimation équivaut à la production pour 2017/2018. La consommation, elle, est estimée à 175 millions de tonnes. D&rsquo;après les données provisoires de Statistics Mauritius, l&rsquo;État mauricien a importé en 2016 environ 6 000 tonnes de sucre blanc au coût de Rs 106 386 084. Les principaux pays d&rsquo;où nous importons le plus de sucre blanc sont respectivement l&rsquo;Inde, la Thaïlande et les Émirats arabes unis. Par ailleurs, 57 208 tonnes de sucre de canne pour raffinage ont été importées du Brésil en 2016 au coût de Rs 629 291 236. Parallèlement, 326 419 601 kilos de sucre blanc ont été exportés en 2016. Ce qui équivaut à Rs 5 230 896 280. Nos plus gros acheteurs sont respectivement l&rsquo;Italie, l&rsquo;Espagne et la Grèce, d&rsquo;après les données de Statistics Mauritius. Durant cette période, Maurice a également réexporté 17 145 700 kilos de sucre blanc de canne pour Rs 263 265 505. Les pays vers lesquels notre produit a été acheminé sont Madagascar, Myanmar (anciennement Birmanie), le Sri Lanka et le Kenya.</p>

Devesh Dukhira : «L’industrie doit faire preuve de flexibilité tout en restant compétitive»

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	<figure class="image" style="display:inline-block"><img alt="" height="330" src="/sites/lexpress/files/images/photo_devesh_dukhira-ceo-desk.jpg" width="620" />
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<p><strong>Comment mieux valoriser le sucre local?</strong></p>

<p>En l&rsquo;absence d&rsquo;une économie d&rsquo;échelle, comme au Brésil avec 40 millions de tonnes, en Inde avec 25 millions de tonnes et en Thaïlande avec 11 millions de tonnes, l&rsquo;industrie sucrière mauricienne avec ses 400 000 tonnes doit faire preuve de flexibilité et d&rsquo;agilité tout en restant compétitive.</p>

<p>Déjà, pendant les dix dernières années, pas mal de réformes ont été effectuées notamment le <em>&laquo;Multi-Annual Adaptation Strategy for the Sugar cane Cluster (MAAS) 2006-2015&raquo; </em>en prévision de la fin du protocole sucre. Elle comprenait, entre autres, la décentralisation des sucreries, une progression vers la valeur ajoutée.</p>

<p>Il est temps d&rsquo;aller plus loin afin d&rsquo;assurer la productivité requise tout au long de la chaîne de production et d&rsquo;approvisionnement. Cela permettra d&rsquo;opérer dans un marché libre. Il faut libérer le secteur de toute charge qui plombe son efficience.</p>

<p><strong>Pourquoi importe-t-on du sucre ?</strong></p>

<p>Avec la baisse de la surface sous culture de canne, nous nous sommes retrouvés avec des capacités industrielles pas complètement utilisées face à une demande soutenue pour nos sucres. Afin d&rsquo;optimiser ces ressources tout en répondant aux besoins du marché, nous avons jugé utile d&rsquo;importer le sucre roux et de le mélanger au sucre local avant le raffinage. Le syndicat importe le sucre roux principalement du Brésil.</p>

<p>Le produit fini est exporté et est également fourni sur le marché local. Pour 2016, la production locale de 386 000 tonnes a été complétée avec environ 115 000 tonnes de sucre roux importé, permettant au syndicat de vendre environ 480 000 tonnes de sucre blanc et de sucres spéciaux à l&rsquo;export et sur le marché local. Les exportations sont destinées à une cinquantaine de pays.</p>

<p><strong>Avez-vous étudié les facettes du marché local ? Quel est votre constat ?</strong></p>

<p>La demande mauricienne en sucre est estimée à environ 35 000 tonnes annuellement. La moitié serait pour alimenter les besoins industriels. Plus de 90 % de la consommation serait le sucre raffiné. Cela dit, tout comme la tendance sur nos principaux marchés d&rsquo;exportation, il y aurait une préférence grandissante pour les sucres spéciaux. Ce sont des sucres naturels qui retiennent la saveur de la canne ainsi que ses valeurs nutritionnelles.</p>

<p><strong>Justement, on promeut la diversification avec les sucres spéciaux. Est-ce la planche de salut pour sauver le sucre mauricien ?</strong></p>

<p>En effet, les sucres spéciaux représentent une proportion importante dans notre gamme de produits. La production annuelle dépasse les 120 000 tonnes, qui sont maintenant acheminées vers une cinquantaine de destinations à travers le monde. Ces sucres sont cependant destinés à des segments niches où les consommateurs sont disposés à payer un prix plus élevé pour un sucre sain. Ces segments attirent cependant d&rsquo;autres producteurs sucriers et la concurrence s&rsquo;amplifie davantage.</p>