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Mathieu Claveyrolas: «La caste se transforme en lobby lié à des stratégies électoralistes»

2 septembre 2017, 18:45

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Mathieu Claveyrolas: «La caste se transforme en lobby lié à des stratégies électoralistes»

Avec un nouveau président à la tête de la Mauritius Sanatan Dharma Temples Federation (MSDTF), l’impact des associations socioculturelles sur la politique revient sur le tapis. La religion et les castes constituent également des enjeux dans le débat. Mathieu Claveyrolas, chercheur français qui a étudié ce phénomène à Maurice, analyse la situation.

Quel est le poids des associations socioculturelles dans une société comme Maurice ? 
Ces associations ont un statut et un rôle ambigus. Leur appellation même prête à confusion puisqu’elles sont des institutions religieuses plus que socioculturelles. La MSDTF fédère, par exemple, la plupart des temples hindous. À ce titre, l’association leur verse des fonds, souvent mineurs, permettant, par exemple, de payer le salaire du prêtre. En contrepartie, elle peut influencer l’hindouisme local en promouvant une architecture, un courant dévotionnel ou en excluant quelque divinité ou autre rituel. C’est ainsi que la MSDTF, mais aussi ses équivalents chez les tamouls et chez les télégous, a peu à peu encadré le passage d’un hindouisme populaire vers un hindouisme plus savant. On remarque que pareille évolution renvoie à l’évolution socio-économique et politique de la communauté.  

Quel est l’impact de ces organisations sur la politique mauricienne ?
Comme souvent à Maurice, derrière la dimension religieuse pointe la logique communaliste. La MSDTF prétend défendre les intérêts de la communauté hindoue. Et même si elle ne représente que très imparfaitement les opinions et modes de dévotion que l’on observe sur le terrain, elle reste l’interlocuteur privilégié entre la communauté et le gouvernement, passant sous silence la diversité de la communauté hindoue. La logique communaliste électoraliste fait qu’il est rare qu’un parti politique ne soit pas représenté aux festivités religieuses organisées par les associations socioculturelles. On peut assimiler les associations à des lobbies qui agissent au niveau gouvernemental en prétendant peser sur les élections.

Quel est le rapport entre le socioculturel et la religion ?
Il me semble que pour les termes socioculturel ou religion, on parle d’abord d’identités qui sont défendues ou revendiquées. D’un côté, on peut présenter un programme de danses traditionnelles indiennes tel qu’on en voit dans les temples hindous à Maurice sous sa dimension socioculturelle ou religieuse selon son point de vue et ce qu’on souhaite mettre en avant. D’un autre côté, on sait parfaitement qu’un tel spectacle est d’abord proposé pour sa dimension religieuse. À Maurice, il est clair que ce qu’on appelle socioculturel renvoie directement au champ religieux.

Est-ce possible de dissocier religion et politique ?
Dans l’absolu, que les deux champs se recoupent parfois n’empêche pas qu’ils soient essentiellement dissociés. Ensuite, la religion cristallise très souvent des aspirations identitaires qui, à leur tour, envahissent le champ politique. C’est sans doute ce qui se passe à Maurice avec des identités communautaires d’abord alignées sur l’appartenance religieuse. Enfin, il faut regarder ce qui se passe localement – et non au seul niveau des élites et des institutions. Le dévot qui se rend au temple ou suit une prière le fait quasi toujours pour des motifs d’abord religieux, bien loin des considérations politiques. Prenez même un cas comme le pèlerinage à Grand-Bassin pour le Maha Shivaratree : tout le monde souligne la politisation de la fête. Mais on oublie qu’à côté des discours des politiciens, des centaines de milliers de pèlerins aux opinions très diverses vivent ici une expérience d’abord religieuse. Et ne se gênent pas pour critiquer les tentatives de manipulations politiques. 

Le nouveau président de la MSDTF a affirmé que ni les castes ni l’appartenance politique ne seraient mises en avant durant son mandat. Cependant, la réalité est tout autre. Pourquoi ne parvient-on pas à dissiper cette réticence à parler du système castéiste ouvertement ?
On peut penser que le système des castes pose trois problèmes à la société mauricienne. D’un côté, c’est perçu comme injuste et arriéré. Ce qui incite à nier ou minimiser sa présence. D’autre part, la caste se transforme en lobby lié à des stratégies électoralistes qui cherchent à attirer le vote en bloc d’une caste en présentant un candidat qui y appartient. Enfin, certains voient dans le fait de souligner la réalité des castes un moyen de diviser la communauté hindoue. En 2010 déjà, Dulthumun avait justifié ainsi une action aussi provocante et agressive que le fait de brûler en public l’édition de l’express qui titrait justement sur les castes… 

Dans votre article scientifique sur les castes, publié en août 2017, vous argumentez que les castes ne sont pas explicitement formulées dans les relations sociales et que le tabou qui les entoure illustre la persistance du système. Pourquoi cela perdure-t-il ?
On peut s’interroger sur l’ampleur du tabou. Car, au fond, chacun sait que le mariage préférentiel reste celui à l’intérieur de la caste, pour ne donner qu’un seul exemple. Il est simplement mal vu de le dire tout haut. On présente trop souvent le système des castes en Inde comme arriéré et incapable d’adaptation. La société hindoue mauricienne se perçoit du coup comme vivant un système de castes assoupli et modernisé. Ce qui est en partie vrai. En Inde aussi, les castes ont résisté et se sont adaptées à l’urbanisation, aux classes sociales, aux nouvelles stratégies électorales. Le système est structurant mais capable de s’adapter et donc de perdurer. On entend également que le système de caste n’existe plus à Maurice… à part pour les mariages. Ce qui est précisément le meilleur signe qu’il persiste. 

Que pensez-vous des groupuscules qui font pression au nom de la sauvegarde de leur identité et patrimoine culturels ?
Si l’on excepte ceux qui recourent à la violence, chacun a le droit de revendiquer l’identité qu’il veut. Chacun a également le droit de faire évoluer son identité, souvent parallèlement à une évolution socio- économique. Le problème est que l’identité est trop souvent défendue comme quelque chose d’éternel, d’immuable. Ce qui est faux. Défendre son patrimoine doit, à mon sens, passer par une reconnaissance de l’histoire et de ses évolutions. 

Les castes existent également dans d’autres communautés. Est-ce un système forcément négatif ou peut-on y trouver une facette positive ?
Toutes les communautés sont, plus ou moins, hiérarchisées. C’est le cas à Maurice comme ailleurs. Ici, aucune communauté n’est homogène et toutes maintiennent leur hiérarchie interne. Mais le système de castes est spécifique à la communauté hindoue car il repose sur des critères de pureté et de pollution rituelles propres à l’hindouisme. À l’origine, suivant sa place dans la hiérarchie, chaque caste a plus ou moins accès au savoir religieux, et est plus ou moins cantonnée aux professions dites polluantes (blanchisseur, barbier, cordonnier, etc.). À côté de la dimension de ségrégation qui est inhérente au système, on pourrait citer l’échange de services entre castes et l’entraide intra-caste comme des facettes positives du système, mais elles ne sont jamais citées à Maurice, sans doute parce qu’elles sont peu mobilisées.

Bio Express

<p>Mathieu Claveyrolas est un anthropologue français, chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et membre du Centre d&rsquo;études de l&rsquo;Inde et de l&rsquo;Asie du Sud (EHESS) à Paris. Il est spécialisé dans l&rsquo;étude de l&rsquo;hindouisme, d&rsquo;abord en Inde (à Bénarès) puis à Maurice, où les questions que pose un hindouisme hors de l&rsquo;Inde l&rsquo;ont particulièrement intéressé. Il vient de publier <em>&laquo;Quand l&rsquo;hindouisme est créole. Plantation et indianité à l&rsquo;île Maurice&raquo;</em> (une édition de l&rsquo;EHESS) ainsi qu&rsquo;une réédition d&rsquo;un article scientifique intitulé<em> &laquo;The land of the Vaish? Caste Structure and Ideology in Mauritius&raquo;. &nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;</em></p>