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Alan Ganoo: «La marche de vendredi est une preuve que les partis peuvent transcender un leader»

14 août 2017, 21:56

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 Alan Ganoo: «La marche de vendredi est une preuve que les partis peuvent transcender un leader»

Alan Ganoo a organisé une marche contre la hausse du prix de l’essence et du diesel le vendredi 11 août 2017. Le leader du Mouvement patriotique (MP) avait invité les partis politiques et les syndicats du secteur du transport en commun. Dans un entretien, il revient sur cet événement auquel ont assisté les syndicalistes et les partis politiques, mais pas les leaders Paul Bérenger, Xavier-Luc Duval et Navin Ramgoolam.

Quel bilan faites-vous de la marche de vendredi ?

Je suis pleinement satisfait, tenant en considération tous les facteurs. En proposant cette marche pacifique contre l’augmentation du prix des carburants, le MP a voulu rassembler toutes les forces politiques et représentants de la société civile pour protester contre cette hausse que nous considérons injuste et arbitraire. Nous avons donné l’occasion à cette panoplie d’organisations d’exprimer leur ras-le-bol et leur désaccord.

Les partis politiques d’opposition et autres associations étaient bien représentés. Tous les partis politiques présents, incluant le MP, ont, dans un passé récent réuni de grosses foules à leurs rassemblements respectifs. Mais nous ne nous attendions pas à des foules de cette envergure. Nous étions conscients que la marche aurait lieu durant les heures de travail. La marche a été organisée en seulement quatre jours après la hausse du prix des produits pétroliers.

L’unique réunion de concertation entre les éventuels participants a eu lieu un jour avant. En plus, nous avons perdu cette culture de descendre dans la rue.

Les formations politiques sont la conscience politique d’un peuple. Ils sont le fer de lance, l’avant-garde d’une mouvance. Ils expriment le vœu de la population. Mais d’une façon plus importante, le rassemblement a démontré que les partis politiques d’opposition peuvent conjuguer leurs efforts et se mettre d’accord quand la situation l’exige. Et c’est une bonne chose pour la démocratie !

Le fait que vous n’ayez eu le feu vert de la police que la veille de la marche a-t-il gêné l'organisation ?

Evidemment! Ce facteur a contribué à rendre la situation plus difficile. Tant que l’autorisation formelle de la police n’était pas acquise, planait une incertitude qui entravait tout le mouvement d’organisation.

Pourquoi les leaders PTr, MMM et PMSD étaient-ils absents ?

Ce sont les leaders qui ont tranché en faveur la participation de leurs organisations respectives. Leur absence est regrettable. Mais eu égard aux contraintes que je viens d’énumérer, leur présence aurait-elle changé la donne ?

Cette marche est une preuve que l’existence et la performance des partis politiques peuvent transcender la nécessité d’un leader.

C’est la première fois depuis les élections générales de 2014 que tous les partis politiques d’opposition se retrouvent sur le même podium. Le MP se réjouit d’avoir pu réaliser ce coup. Mais le but n’était aucunement une manœuvre politique. Nous avions aussi invité les associations citoyennes et petits opérateurs économiques. Le rassemblement des partis politiques n’était aucunement lie à une stratégie de rapprochement politique ou ne constituait pas un prélude pour quelque alliance électorale.

«Malgré leur identité propre à eux et certaines différences, les partis d’opposition ont démontré une vraie synergie en acculant le gouvernement systématiquement.»

Ce «coup», est-ce en raison de votre longue pratique politique ou du fait que votre parti n'est pas perçu comme une menace pour les autres ?

Ma longue pratique politique, comme vous le dites, est certainement un atout dans la prise des décisions concernant la stratégie et les actions du MP, de mes propositions ou analyses de la situation politique.

Si c’est vrai que mon parti n’est pas perçu comme une menace pour les autres, j’en suis ravi. D’ailleurs, pourquoi un parti politique dont le but est de se mettre au service du peuple et de faire progresser son pays doit être perçu comme une menace pour les autres forces politiques?

Le respect qu’inspire le MP est dû à sa sincérité, son désir ardent de créer un «Nuvo Moris», d’unir les villes et régions rurales sur une même base politique, sa proximité avec le petit peuple, son refus de s’impliquer dans des marchandages politiques à relent communal, son refus d’afficher des ambitions démesurées et sa cohérence sur le plan de la moralisation de la vie politique.

Une plateforme unie de l'opposition, est-ce une utopie ?

Une plateforme unie de l’opposition est réalisable. Le MP appelle de tous ses vœux à une vraie unité de l’opposition depuis de longs mois. Elle s’est façonnée et concrétisée à l’intérieur du Parlement. Malgré leur identité propre à eux et certaines différences, les partis d’opposition ont démontré une vraie synergie en acculant le gouvernement systématiquement. Une opposition fragmentée et divisée est néfaste à la bonne santé de la démocratie.

Une opposition unie sur le long terme et représentant une alternance crédible est une autre paire de manches.

«Je suis aujourd’hui le président de l’unique parti au Parlement qui est géré par une direction collégiale dont la grande majorité sont des jeunes.»

A cause d’un manque de cohésion, l’opposition n’est pas perçue comme une alternance crédible à ce jour. L’île Maurice est dans une situation politique inédite. D’une part, un sentiment de frustration, de rejet anime la population. D’autre part, un gouvernement qui a trahi ses promesses électorales et qui est en chute libre. Plus une opposition faite de partis politiques avec des agendas politiques cachés, divisée par des ego surdimensionnés, ne rêvant que du fauteuil de Premier ministre. Et une population en quête d’une vraie alternance et qui n’est plus disposée à offrir son adhésion à n’importe quel prix.

Une jeunesse désabusée, méprisant la classe politique et qui témoigne des frasques et scandales quotidiens. Elle ne voit en ces politiciens que des affamés du pouvoir, se préoccupant d’amasser leurs richesses et remplir leurs comptes en banque.

La plateforme unie devra être entre le peuple et une mouvance honnête, compétente et patriotique ou elle ne sera pas !

Pensez-vous pouvoir réintégrer le MMM ?

J’ai refusé de me laisser animer par des considérations personnelles pendant ma longue carrière de politicien. Mon comportement à l’intérieur et en dehors de l’hémicycle en fait foi. Je fais une différence entre réintégrer le MMM et travailler avec lui. Je suis aujourd’hui le président de l’unique parti au Parlement qui est géré par une direction collégiale dont la grande majorité sont des jeunes.

Je laisse le soin à cette direction collégiale de décider de l’avenir du MP. L’avenir prend soin de l’avenir. J’ai passé toute ma jeunesse et de longues années au MMM. Mais peu importe dans quel cadre politique je me retrouve, mon ambition sera toujours de militer pour le peuple et soulager mon électorat de ces difficultés quotidiennes. Le léopard ne perd pas ses taches quand il change de forêt.

Abandonner le numéro 14 après 35 ans comme député, est-ce envisageable ?

Bien sûr que non. Entre le n°14 et moi, c’est une histoire d’amour. J’ai dédié toute ma vie à cette circonscription. En 1987, face à l’Alliance blanc-bleu-rouge, excluant Prem Nababsing qui était le candidat au poste de Premier ministre, j’ai été le seul élu du MMM. En 2010, j’ai également été le seul élu parmi les 30 candidats du MMM contre l’Alliance blanc-bleu-rouge dans les régions rurales.

En 2014, la seule circonscription qui a réussi un 3-0 a été le n°14 où j’étais le chef de file. Mes deux colistiers m’ont rejoint trois semaines avant les élections !

Quelques jours de cela, j’ai célébré les 35 ans de ma députation dans cette circonscription. J’ai rassemblé plus de 5 000 de mes sympathisants. 

Que pensez-vous du calcul de la State Trading Corporation (STC) ? Et quid du prélèvement de Rs 4 par litre - une taxe déguisée ?

Cette nouvelle structure de prix proposée par la STC est inacceptable et injuste. Dans un intervalle de cinq mois, le prix des carburants a augmenté en deux occasions. Le communiqué de la STC du 4 août démontre clairement que le prix CIF des deux produits a baissé pendant les derniers mois. Le prix de référence utilisé par la STC pour déterminer les prix a également baissé.

L’augmentation du droit d’accise par Rs 4 sur chaque litre d’essence et de diesel permettra à l’Etat de piller Rs 2,4 milliards par an dans la poche des consommateurs.

Le prélèvement de Rs 4 à travers le Build Mauritius Fund, aboli par le gouvernement lors du Budget, est retourné par la porte de derrière pour hanter et tondre de nouveau les consommateurs.

«Au terme de son mandat, la commission Lam Sham Leen doit se transformer en une commission permanente contre la drogue.»

Chaque année, la STC impose un autre prélèvement libellé «Oil Companies operational expenses and wholesale margin», de l’ordre de Rs 1,93 sur chaque litre d’essence et Rs 1,76 sur chaque litre de diesel. La totalité des revenus collectés par le biais de ce prélèvement revient à environ Rs 1 milliard et Rs 44 millions que la STC donne en cadeau aux compagnies importatrices de produits pétroliers.

L’alliance Lepep est honteusement l’antithèse d’un gouvernement Robin des Bois. Il vole à son peuple pour donner aux riches.

«Quant à Pravind Jugnauth, c’est dans son intérêt de réagir aux allégations de Peroomal Veeren devant la commission d’enquête.»

Que pensez-vous des développements relatifs à la question de la drogue ? La commission Lam Shang Leen pourrait-elle aller jusqu'au bout ?

Nous ne pouvons prétendre tout savoir sur la complexité, les subtilités, les ramifications du trafic de drogue à Maurice. Cependant, les travaux de la commission et les récentes allégations du témoin Veeren nous ont éclairés sur certains aspects de ce fléau. Au terme de son mandat, la commission Lam Sham Leen doit se transformer en une commission permanente contre la drogue. Cette commission doit réunir toutes les enforcement agencies concernées – la Financial Intelligence Unit, le bureau du Directeur des poursuites publiques, la commission anti-corruption, l’Anti-Drug and Smuggling Unit… Elle doit suivre et coordonner le combat contre la drogue. Et s’occuper de tous les aspects du combat dont la sensibilisation, la répression et la réhabilitation.

Qui aurait pensé qu’un trafiquant Mauricien aurait pu accumuler Rs 650 millions en s’adonnant à ce trafic ? Pour casser les reins de la mafia, le MP avait proposé que le gouvernement et la Banque de Maurice remplacent les grosses coupures par une nouvelle famille de billets de banque. Le Premier ministre indien Modi avait tracé la voie. Je demande au Premier ministre de réfléchir à cette proposition.

Quant à Pravind Jugnauth, c’est dans son intérêt de réagir aux allégations de Peroomal Veeren devant la commission d’enquête.

Que pensez-vous de l’action gouvernementale en général et de la performance des ministres en particulier ?

On a rarement vu un gouvernement dilapider son capital de sympathie aussi rapidement. Après avoir trahi ses promesses électorales, miné par une instabilité politique chronique, éclaboussé par des scandales, cas de fraudes, de corruption et de népotisme, ce gouvernement a atteint le plus bas niveau de sa cote de popularité.

Hormis une poignée de ministres, la majorité des membres du Cabinet peinent toujours à maîtriser leurs dossiers pour insuffler le dynamisme nécessaire pour la relance de l’économie.

Notre pays a besoin d’une moralisation de la vie publique et d’un nouveau cadre éthique pour ne pas exploser sous le poids de la décadence morale.