Publicité

Percy Yip Tong: «maintenant, les frères Joseph auront la chance d’être encadrés par la Francophonie»

1 août 2017, 00:15

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Percy Yip Tong: «maintenant, les frères Joseph auront la chance d’être encadrés par la Francophonie»

Percy Yip Tong, expert culturel de la francophonie, ne mâche pas ses mots sur le manque de soutien à l’équipe de Samuel et Mathieu Joseph. Cela ne les a pas empêchés de décrocher la médaille d’or aux Jeux de la Francophonie dans la soirée du jeudi 27 juillet. Percy Yip Tong, joint au téléphone en Côte d’Ivoire, a répondu à nos questions.

Vous affirmez avoir choisi les frères Joseph pour les Jeux de la Francophonie. Ils sont dans la danse et vous dans la musique. Précisez votre rôle au sein de ce jury. 

Cela se passe à deux niveaux. J’étais président du jury pour la catégorie  musique  pendant la compétition. Nous étions cinq, tous provenant du monde de la musique. J’étais honoré parce que parmi eux il y avait José Da Silva, directeur de Sony Music Africa, qui a lancé Cesaria Evora. 

En amont, chaque gouvernement lance un appel à candidatures pour les Jeux de la Francophonie. C’est là où le bât blesse parce que la communication ne passe pas vraiment à Maurice. Il y a plein d’artistes qui ne sont pas au courant. Pour éviter, comme dans le passé, que les pays n’envoient le colleur d’affiches ou le cousin du ministre, il y a deux experts régionaux qui choisissent les artistes. Ils vont dans les pays et font la sélection pour la finale. 

Depuis dix ans, je suis expert culturel de la francophonie pour l’océan Indien et l’Afrique de l’Est. À ce titre, je participe à la sélection des artistes pour toutes les disciplines. Pour la musique, c’est Mannyok de Rodrigues qui a été retenu. Et pour la danse, c’est les frères Joseph. On peut dire que c’est parce que je suis Mauricien, mais nous formons un binôme d’experts avec une photographe de Madagascar, Arivola Rakotoarimasy.

Qu’est-ce qui vous a interpellé chez les frères Joseph ? 

Il n’y avait pas qu’eux aux présélections. Il y avait aussi Stephen Bongarçon. Le règlement n’empêche pas un médaillé d’or de reprendre part à la compétition, même si c’est un peu ridicule.

Le numéro «Di Sel», exécuté jeudi à la finale des Jeux de la Francophonie en Côte d’Ivoire, a permis aux frères Joseph de décrocher une médaille d’or.

Pourquoi Stephen Bongarçon s’est présenté à nouveau après ses deux participations aux Jeux et une médaille d’or ? 

Les pays doivent présenter au minimum trois groupes.

Qui était le troisième groupe ? 

Je ne sais plus. En mon âme et conscience, les frères Joseph étaient les meilleurs, ce qui n’était pas au goût de tous. Les frères Joseph ont gagné la médaille d’or à Beyrouth en dansant avec Stephen Bongarçon et ils ont participé aux Jeux à nouveau à Nice en 2013. Ils ont l’avantage de savoir comment cela se passe. Ensuite, ils ont travaillé sur les salines.

«Dès le départ, j’étais convaincu qu’ils avaient de grandes chances de remporter une médaille. Leur numéro a une poésie, une sensualité.»

Vous avez participé à cette création ? 

Le mérite revient vraiment aux frères Joseph. Je suis un directeur artistique qui les a encadrés. Je les ai amenés aux salines, ils ont fait des recherches sur comment travaillent les femmes qui grattent le sel. Avant la finale, j’ai donné des conseils. Mais la création, c’est eux. Ils ont aussi répété chez moi. 

Dès le départ, j’étais convaincu qu’ils avaient de grandes chances de remporter une médaille. Leur numéro a une poésie, une sensualité. En plus, ils ont joué avec des musiciens de Lespri Ravann et de Mauravann en live. Maintenant, les frères Joseph auront la chance d’être encadrés par la Francophonie.

En sus de la médaille, ils obtiennent autre chose de la Francophonie ? 

On verra comment les encourager, par exemple s’ils ont besoin de billets d’avion, de formations… Les experts vont se réunir et tous les médaillés d’or seront suivis par la Francophonie.

Et la part de l’État mauricien ? 

C’est ce qui est gênant. Comme la Francophonie c’est une organisation d’État, Maurice était obligé de payer les billets d’avion des artistes, comme pour les sportifs. Mais dans la préparation, c’est là qu’il y a eu des difficultés. Par exemple pour avoir une salle de danse où répéter.

Emmanuel Desroches à la guitare accompagnant «Di Sel», le numéro qui a valu la médaille d’or à l’équipe de Samuel et Mathieu Joseph.

C’est pour cela qu’ils sont allés chez vous ? 

Ils ont eu le théâtre Serge Constantin sur la fin. J’ai contacté l’Institut français de Maurice qui a prêté sa salle quand elle était inoccupée. Le reste, c’était chez moi ou à la plage publique. Il n’y a rien pour la danse contemporaine au niveau du ministère des Arts et de la culture. 

C’est un miracle qu’en trois participations aux Jeux, Maurice ait gagné deux fois la médaille d’or en danse contemporaine. Les frères Joseph, Stephen Bongarçon, Jean Renat Anamah ont beaucoup de mérite d’exister. C’est des self-made men. L’exploit, c’est de gagner l’or sans l’aide de l’État. Combien de temps on va continuer ainsi ? La seule médaille d’or de Maurice à ces Jeux, toutes disciplines confondues, c’est en danse. La question, c’est qu’est-ce que le ministère va faire quand les frères Joseph vont rentrer à Maurice ? Est-ce que ce sera comme pour Jane Constance ? Le ministère avait refusé de lui payer son billet d’avion, mais quand elle a gagné, on a déroulé le tapis rouge. 

Si cela avait été en sport, pour un nouveau Milazar ou Buckland, qu’est-ce qu’on aurait fait ? On verra comment on va les recevoir.

Jean-Renat Anamah: «La danse contemporaine a du mal à s’installer»

Jean-Renat Anamah

Pour Jean-Renat Anamah, cette nouvelle médaille d’or aux Jeux de la Francophonie vient confirmer la qualité de la danse mauricienne. Il se dit très content pour ces jeunes qui ont fait une partie de leur apprentissage dans son école.

Le danseur et chorégraphe, qui dit connaître le niveau des autres concurrents, notamment ceux de Madagascar, de Côte d’Ivoire et de La Réunion, affirme : «Ce sont les mêmes qui tournent dans des festivals, alors que les frères Joseph ne font pas toutes ces sorties.» Ce qui n’empêche pas nos compatriotes d’avoir «une évolution technique, une belle écriture chorégraphique, de l’audace» dans un numéro qui met en avant le mauricianisme. 

Écriture chorégraphique ? Jean-Renat Anamah explique qu’il s’agit de «danser pour dire quelque chose». Donner un point de vue sur la société, sur le monde. Ce qui est le cas avec Di Sel, le numéro présenté par les frères Joseph en Côte d’Ivoire. Un numéro qui parle des salines, un métier et une infrastructure en voie de disparition. 

Jean-Renat Anamah espère que cette médaille d’or va interpeller les danseurs et professeurs chez qui la danse contemporaine a du mal à s’installer. «Ils ne la comprennent pas. Ils sont de la vieille école. Beaucoup de professeurs ont appris sur le tas. Ils n’ont pas eu l’occasion de voyager, de voir ce qui se pratique ailleurs.»

Stephen Bongarçon : «Kan pou pran danser kont ?»

Stephen Bongarçon

C’est la seconde fois que Maurice ramène la médaille d’or en danse aux Jeux de la Francophonie. Stephen Bongarçon, responsable de l’équipe qui avait gagné la première fois en 2009, se demande : «Kan pou ariv ler pou pran nou kont ? Combien de fois encore faudrat- il que les danseurs fassent leurs preuves pour être entendus ?» 

Il estime que ce n’est pas qu’aux Jeux de la Francophonie qu’il faut envoyer des artistes. «Les sportifs vont aux Jeux d’Afrique et d’autres tournois. Danser bizin koné pa zis kan éna enn fet kiltirel ki zot pou kapav dansé. » Il s’insurge contre le fait que «quand ces danseurs vont rentrer à Maurice, pou fer enn ta tapaz, apré pou bliyé zot». 

Stephen Bongarçon confie que des contacts à l’étranger s’interrogent. «Ils disent : “Quoi, Maurice a des danseurs de cette qualité, mais ils n’ont pas de festival de danse chez eux ?”» 

Même si Samuel et Mathieu Joseph ne sont plus chez lui, Stephen Bongarçon les appelle toujours ses «deux élèves». «Ils pratiquent une technique de danse contemporaine que j’ai développée, le sagam. Mathieu est venu chez moi vers l’âge de huit ans.» Il se dit très fier d’eux. «C’est le fruit des coups de bâtons, d’un travail assidu pour ces frères qui viennent de la Cité Mangalkhan». 

Quand Stephen Bongarçon est monté sur la plus haute marche du podium en 2009, les frères Joseph faisaient partie de l’équipe gagnante. Ils ont participé aux Jeux à nouveau en 2013, à Nice. Pour le danseur et chorégraphe, il est primordial après une telle victoire de «rester humble», de continuer à travailler. Sa prime de Rs 100 000 de l’État a été un petit coup de pouce, «mé la ousi manké» pour monter son école de danse.

Guillaume Jauffret : «Les frères Joseph méritent vraiment cette victoire»

Guillaume Jauffret

Guillaume Jauffret, directeur artistique du festival Porlwi by Light, est danseur et chorégraphe. Il côtoie les frères Joseph régulièrement. Le 12 mars, ils ont participé au spectacle conçu par Move for Art (dont Guillaume Jauffret est l’un des responsables). 

Au Champ-de-Mars, ils ont présenté un teaser de Di Sel. Pour les 49 ans de l’Indépendance, les frères Joseph ont dansé dans l’eau, en bleu de travail, avec brosses et paniers. Peaufinant un travail entamé depuis quelque temps déjà. «Ce sont des artistes qui enrichissent la création. Avec eux, les choses deviennent encore plus belles que ce que l’on avait imaginé», affirme Guillaume Jauffret. 

Move for Art et les frères Joseph étaient sur scène pour la récente inauguration du nouveau terminal de l’aéroport de Plaisance. «Nous avions invité des danseurs de Paris. Nous avons vu que les frères Joseph ont le même niveau qu’eux. Ils sont vraiment exceptionnels.» 

En décembre 2016, pour Porlwi by Light, ces danseurs faisaient partie du spectacle vivant devant la façade du théâtre de Port-Louis. «Ce sont des artistes qui méritent vraiment cette victoire», s’enthousiasme Guillaume Jauffret. Ils ont le «professionnalisme. Ce sont de grands techniciens. Ils ont une architecture du corps et reflètent l’élan de créativité que l’on voit à Maurice». 

Le directeur artistique se dit aussi «admiratif de leur courage parce que la danse à Maurice, ce n’est pas facile». Il estime que les spectacles d’hôtels devraient favoriser la création. «Le séga, c’est bien. Mais il faut aussi le revisiter, l’amener vers une dimension artistique.»

Du temps où les frères Joseph dansaient avec Stephen Bongarçon (à g.) l’un de leurs mentors, dans «Crinière au vent», en 2012.