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Jocelyn Chan Low: «Soodhun a dépassé toutes les bornes de la bêtise»

22 juillet 2017, 20:26

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Jocelyn Chan Low: «Soodhun a dépassé toutes les bornes de la bêtise»

Cette semaine, Showkutally Soodhun a fait la déclaration incendiaire suivante : «Si mo bodyguard ti donn mwa so revolver, mo ti pou touy Xavier Duval dan Parlman. Mo touy li. Apré, samem ki apel djihad.» La violence politique est donc toujours inhérente ?

D’abord, la politique, c’est avant tout une lutte sans concession et très âpre pour le pouvoir ainsi que pour les avantages et privilèges associés. À Maurice, certains n’hésitent pas à dénigrer, diaboliser leurs adversaires ou/ et à faire appel aux instincts primaires, communalistes ou castéistes pour engranger des points. De ce fait, une forme de violence, même verbale, est sous-jacente. Toutefois, il est vrai que les partis politiques ont plus ou moins délaissé l’usage de gros bras qui étaient à la base de plusieurs incidents meurtriers dans les années 60 et 70.

Il y a toujours certains groupes dits socioculturels qui gravitent autour de certains politiciens et qui n’hésitent pas à utiliser des strong arm tactics de temps à autre. Ces groupes, où l’on trouve souvent des voyous, ont leur propre agenda. Généralement, je constate que le climat s’est beaucoup apaisé ces derniers temps. Le personnel politique a reconnu que l’électeur mauricien aspire à vivre en paix. Le problème de law and order est déjà préoccupant et personne ne souhaite ajouter à cela la violence politique.

Le cas Soodhun et, surtout, sa menace interpellent. Sommes-nous sur une poudrière ?

Le cas de Monsieur Soodhun semble être relativement isolé. Il nous a tellement habitués à des déclarations fracassantes à l’emporte-pièce – à l’instar du fameux discours de servilité assumé vis-à-vis de sir Anerood Jugnauth – que pour beaucoup d’observateurs, il était presque devenu un personnage type des Guignols de l’info. Cela dit, dans la présente situation, Monsieur Soodhun a dépassé toutes les bornes de la bêtise. Toute menace de mort, même indirecte, constitue un délit sous le Code pénal.

D’ailleurs, les lois sur la sédition et l’incitation à la haine raciale sont très sévères à Maurice. Car elles ont été préparées minutieusement par les autorités coloniales britanniques dans le sillage des bagarres raciales de 1965 à Trois-Boutiques et dans le sud du pays. Le gouverneur britannique avait alors bien compris que dans une société comme Maurice, un dérapage verbal peut entraîner une déflagration et des violences interethniques dont nul ne pouvait connaître l’issue. Il est du devoir de la police d’arrêter les contrevenants et de les traduire devant la justice le plus rapidement possible.

Il est vrai que Xavier-Luc Duval (XLD) n’est pas sir Gaëtan Duval (SDG). Sinon… je préfère ne pas imaginer comment cela aurait dégénéré… On a eu un bref aperçu à Curepipe quand SGD avait été arrêté. À Maurice, nous sommes toujours au stade de la représentation ethnique symbolique concernant les leaders politiques. Et on mesure alors la gravité de tels propos. Je dois dire qu’il y a quand même quelque chose d’intrigant dans toute cette affaire.

Au départ, il semblerait qu’il y ait ce fameux communiqué usurpateur du ministre du Logement et des terres sur un problème diplomatique majeur, notamment nos relations avec l’Arabie saoudite et le Qatar. Maintenant, Monsieur Soodhun semble ne pas avoir apprécié les critiques contre l’Arabie saoudite, un pays étranger. D’où ses dérapages. Le citoyen et contribuable mauricien peut légitimement se poser cette question : pour qui roule son vice-Premier ministre ? Le Premier ministre, s’il ne veut pas donner l’image d’un faiblard indigne de diriger un pays aussi complexe que le nôtre, se doit d’agir fermement et rapidement. Sinon, il le paiera très très cher aux prochaines élections.

Parlez-nous des cas similaires dans l’histoire de Maurice où des élus faisaient des «appels au meurtre».

Personnellement, je ne m’en souviens pas. Sous les autorités britanniques, un tel écart de langage aurait amené à la prison sans ménagement. Néanmoins, dans les années 60 et 70, il y a eu des allégations de complot d’assassinat au moment où tous les partis politiques avaient leurs gros bras. Mais des menaces de mort et un langage aussi outrancier que cela, c’est du jamais vu.

Assistons-nous à un remake de 1968 avec une bagarre raciale en perspective ?

Je ne crois pas ! Quoiqu’il semble qu’il y ait effectivement des pyromanes à l’oeuvre. On connaît l’affaire des fausses affiches, des fakes soi-disant du Parti mauricien social-démocrate (PMSD) que le Premier ministre par intérim, Ivan Collendavelloo, avait immédiatement fait enlever. Il y a une enquête policière en cours et il faudrait bien que les coupables soient retracés.

Maintenant, revenons à la fameuse déclaration de Soodhun. Est-ce parce que le PMSD de XLD est en train de faire une véritable percée dans une section de l’électorat ? Il ne faut pas oublier qu’en 1967, SGD avait remporté les élections à Plaine-Verte. Et si l’on croit les rapports des Britanniques, cela avait contribué indirectement aux bagarres raciales de 1968. Les Mauriciens ne sont pas dupes. Toutefois, c’est au Premier ministre et à son service de renseignement de monitor ces agissements very, very closely et de mettre frein aux activités des pyromanes.

Depuis mardi, cette menace fait le buzz sur les réseaux sociaux. Ces technologies aggravent-elles le danger ou permettent-elles plus de distance du public ?

J’ai eu l’occasion de travailler sur des sources confidentielles, notamment celles des services de renseignement britanniques relatifs au déclenchement des émeutes à caractère ethnique de 1911 à 1968. De même, j’ai été témoin des émeutes de 1999. Je peux donc vous affirmer que les rumeurs sont des plus dangereuses et meurtrières. Il faut que les informations – les vraies informations – circulent. Oublions pour le moment la Mauritius Broadcasting Corporation, qui a la particularité d’être toujours en retard sur un événement pour des raisons évidentes.

À l’opposé, les radios privées et la presse écrite font leur travail. C’est sûr qu’avec Facebook, Twitter, etc., ainsi que les fake profiles, il peut y avoir des dérapages. En même temps, en référence à tout ce que j’ai pu consulter sur les médias sociaux, les Mauriciens de toutes communautés ont condamné sans réserve cet excès de langage et cette allusion au djihad, à un moment où les télévisions satellitaires nous font comprendre ce à quoi un tel raisonnement a amené à Londres, à Nice, en Inde ou ailleurs dans le monde.

En termes de sédition, où commence l’appel à la haine et où finit-il ?

Je ne suis pas légiste. Mais ce que je retiens de mes lectures des documents de 1965, c’est que la sédition concernait surtout l’écrit auparavant. Le gouverneur d’alors avait insisté sur le fait qu’au même titre que l’écrit, le verbal était tout aussi punissable. À titre d’exemple, selon le rapport des services de renseignement, la déclaration d’un orateur au meeting du Hindu Congress à Mahébourg avait mis le feu aux poudres avec des conséquences meurtrières, dont plusieurs morts et l’arrivée de troupes britanniques d’Aden, pour sécuriser la population.

Dans une société multiethnique, une parole ou une attaque contre un symbole identitaire peut déclencher une véritable épidémie sociale en termes de réactions et de contre-réactions. Quand j’étais à la tête du Centre culturel mauricien, on travaillait sur une pédagogie de l’interculturel. Et cela passe par une élimination, une autocensure de tout ce qui peut blesser ou offenser l’autre.

Que pensez-vous du leadership de Pravind Jugnauth qui, souvent, ne prend pas position ?

Au temps où sir Anerood Jugnauth était Premier ministre, on disait que le gouvernement était un monstre à plusieurs têtes ; qu’il n’avait pas de majorité et que n’étant pas le leader du MSM, cela entraînait une cacophonie au sommet de l’État. Pravind Jugnauth n’a pas d’excuse. Il doit put his foot down. Cette affaire du communiqué sur le Qatar était déjà un camouflet pour son autorité en tant que chef du gouvernement. Il a dû être la risée du monde diplomatique. Mais là, il est obligé de réagir parce qu’il est quand même le ministre de l’Intérieur, à moins que je ne me trompe…

Et le personnage de Soodhun et sa violence… Comment le décrivez-vous ?

Soodhun est Soodhun, c’est-à-dire un impulsif qui semble être genuine, même dans ses excès. Je crois qu’il aurait beaucoup à gagner à méditer sur ces deux proverbes malgaches : «À ne pas surveiller ses paroles, on trouve le malheur» et «ne taquine pas le serpent dans son trou».