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Françoise Labelle: «On a tout fait pour que l’on ne connaisse pas l’histoire des Chagos»

20 juillet 2017, 01:30

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Françoise Labelle: «On a tout fait pour que l’on ne connaisse pas l’histoire des Chagos»

De quand date ce témoignage de Lisette Talate, disparue en 2012 ?
Je l’ai rencontrée entre décembre 2008 et janvier 2009, ça remonte. C’était dans le cadre d’un travail académique pour une licence en psychologie à l’université de Maurice. Pour la dissertation, j’avais choisi de travailler sur l’identité sociale des Chagossiens. J’ai rencontré des Chagossiens de divers groupes d’âge, dont Lisette Talate. Je l’ai vue à plusieurs reprises. En l’écoutant, je me suis dit : «Il faut que les gens entendent cette histoire.» Je sais que beaucoup de Mauriciens, même en 2017, ne connaissent pas la souffrance des Chagossiens.

Cela fait huit ans que vous avez recueilli le témoignage de Lisette Talate. Pourquoi le publiez-vous maintenant ?
C’est le facteur temps. J’ai fini le diplôme en psychologie en 2009.

Vous l’avez obtenu ?
Oui et j’ai eu de bons résultats pour la dissertation. La superviseure me disait qu’il y a là tous les ingrédients pour écrire dans des journaux spécialisés. Mais dans la vie, on ne fait pas toujours ce que l’on veut. Je n’en ai pas eu le temps. En 2010, il y a eu la campagne électorale, j’étais députée. En 2012, j’occupais des fonctions assez importantes au sein du Parlement panafricain. Je n’avais pas le temps. Mais j’ai gardé ce témoignage précieusement parce que je me disais que tôt ou tard, je raconterais l’histoire de Lisette. J’ai prêté ma plume à sa voix. Je n’ai pas la prétention d’être historienne ou même une auteure. Ce n’est pas ça. J’ai tout simplement prêté ma plume à Lisette.

Comment expliquez-vous que près de 50 ans après la déportation, il y ait encore des Mauriciens qui ne soient pas au courant ?
On a tout fait pour que l’on ne connaisse pas cette histoire. Vous savez, sur un plan personnel, je l’ai fait aussi par esprit de repentance. Quand j’étais adolescente, que j’entendais dire que des Chagossiens faisaient la grève avec leurs pancartes «Rann nou Diego», vous savez ce que je disais ? «Si zot anvi rétourn dan zot zil, bé rétourné.» Imbécile que j’étais. Je ne savais pas qu’ils avaient été mis à la porte de chez eux. Je ne le savais pas.

Quelqu’un m’a demandé : «Eh, vrémem séki to pé rakonté la ?» Cela a été dit sans méchanceté, la personne cherchait vraiment à s’informer. Comment concevoir que vous soyez venu à Maurice pour un traitement et qu’après on vous dise que ce n’est pas possible de rentrer chez vous, parski zil inn vandé ? Cette partie de l’histoire, beaucoup de Mauriciens ne la connaissent pas jusqu’à aujourd’hui. L’histoire de Lisette ne doit pas se perdre.

Dans ce témoignage à la première personne, vous avez creusé le volet de la souffrance ?
J’ai écrit ce qu’elle m’a raconté. Ses deux déportations – de Diego à Peros, de Peros à Maurice. Comment elle a vécu son arrivée ici, la mort de ses deux enfants, dont l’un pour elle est mort de «lasagrin». Elle faisait aussi partie de la délégation qui a visité l’archipel en 2006. C’est tout simplement une personne modeste qui vous parle d’une tranche de sa vie.

Pourquoi est-ce que parmi les grandes figures chagossiennes, vous avez choisi Lisette Talate ?
Au moment de ma dissertation, Charlesia Alexis était déjà partie pour l’Angleterre. Ma dissertation aurait été plus complète si j’avais eu les moyens d’aller interroger les Chagossiens en Angleterre. Mais je n’avais pas les ressources pour faire cela.

Il y a un volet politique à ce récit, quand Lisette Talate évoque Paul Bérenger et Sylvio Michel. C’est voulu ?
Je n’ai fait que dire ce qu’elle m’a raconté. D’après Lisette, la lutte des Chagossiens a commencé à la rue Moka (NdlR, au bureau du MMM). Je ne le savais pas. Elle raconte comment «Ti Moignac» (NdlR, sobriquet de Gérard Nina, ancien maire du MMM) l’a emmenée voir Paul Bérenger. Comment il lui a dit qu’il ferait des démarches pour qu’elle touche une pension. Et comment c’est Paul Bérenger qui a encouragé des Chagossiens à se joindre aux frères Michel. Comment c’est Elie Michel qui a donné le nom d’Ilois Trust Fund.

Je n’ai pas la prétention d’être une historienne. Je ne raconte que ce qu’elle m’a dit.