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Vidya Charan: «Il faut revoir la loi du travail pour encourager les femmes à concevoir»

12 juillet 2017, 12:43

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Vidya Charan: «Il faut revoir la loi du travail pour encourager les femmes à concevoir»

Planification familiale : c’est le thème de la Journée mondiale de la population. La parole à Vidya Charan, la directrice de la Mauritius Family Planning Welfare Association (MFPWA).

L’an dernier, la MFPWA s’est lancée dans une campagne pour encourager la fécondité. Cette campagne progresse-t-elle ?
Oui, la campagne de la MFPWA tient toujours bon et nous avons une approche très ciblée. Nous continuons à organiser des ateliers de travail avec différents groupes de personnes, des jeunes et des couples. Croyez-moi, c’est un travail de longue haleine. Vous n’en verrez pas les fruits du jour au lendemain car cela va prendre du temps pour inciter les gens à réfléchir dans le sens voulu, surtout que nous vivons dans une société où tout est monétisé. Il faut corriger cette perception que nous sommes en train d’encourager les familles aisées à avoir plus d’enfants. Ce que la MFPWA souligne, c’est qu’il y a un déséquilibre au sein de notre société où la fertilité a connu une baisse. Elle est à 1.3 alors qu’elle aurait dû être à 2.1. Il faut donc encourager les gens qui peuvent avoir plus d’enfants à en avoir. Par contre, les gens qui vivent dans la pauvreté et qui n’ont pas de maison, c’est difficile pour eux d’accueillir un nouveau-né. Donc, c’est préférable qu’ils continuent à avoir recours au contrôle de la naissance.

Quelles sont les mesures préconisées pour encourager les familles qui le peuvent à avoir des enfants ?
La MFPWA a soumis plusieurs propositions lors des dernières consultations pré-budgétaires. Il faut revoir la loi du travail pour encourager les femmes à concevoir et, pour cela, encourager les emplois à mitemps, prolonger le congé de maternité et penser aussi en termes de congé de paternité. Il faudrait avoir des crèches tout près des sites du travail, offrir des facilités d’emprunt aux couples pour la construction de maisons, leur offrir des rabais sur les produits pour nourrissons, en particulier le lait, les aliments et les couches. Il faudrait favoriser la création d’emplois pour les jeunes, réviser et réduire les impôts sur les salaires des employés.

Comment faites-vous pour repérer les familles potentiellement capables de procréer ?
Généralement, on est présent sur le terrain, au sein de la communauté, sur les sites de travail. Cette année, on a mis beaucoup d’accent sur les secteurs où il y a une forte présence d’hommes comme la police, les agriculteurs, les sapeurs-pompiers etc. On essaye de toucher les femmes qui y travaillent également.

Quelle est votre approche et est-ce facile de les convaincre ?
On a plusieurs méthodes pour les atteindre. On le fait à travers des séminaires, des réunions, des causeries, des campagnes de sensibilisation ou bien de petites discussions en groupe. On fait passer le message à travers les médias. Vous savez, changer l’attitude des gens du jour au lendemain, ce n’est pas facile. Comme je l’ai déjà dit, c’est un travail de longue haleine. Il faut construire sur ce qui existe déjà pour que les générations qui vont prendre en main le destin du pays sachent comment construire leur famille et quelles décisions prendre.

Pourquoi les familles qui le peuvent ne veulent plus avoir d’enfants alors que chez les plus défavorisées, le nombre de naissances augmente ?
Il y a plusieurs facteurs qui influencent une personne et l’incitent à avoir un enfant. D’après les données, on a repensé l’âge du mariage car les garçons se marient après 30 ans et les filles à partir de 25 ans. On est en train de donner plus d’importance à la carrière, au confort matériel et après vient la constitution de la famille. Parmi certains couples, il y a aussi un problème d’infertilité secondaire. Certains jeunes attendent d’avoir un boulot à leur goût avant de fonder leur famille et parfois, cela prend du temps. Mais il y a une certaine vérité incontournable : le coût de la vie est cher et certains couples veulent avoir plus d’enfants mais leur situation financière ne le leur permet pas. Certaines familles n’ont même pas une maison adéquate pour accueillir un enfant. De l’autre côté, on voit que certaines femmes de condition très modeste ont une fertilité très élevée et cette situation est due à l’ignorance, aux circonstances de la vie, à un niveau d’éducation qui ne leur donne pas la possibilité d’aspirer à un emploi convenable.

Est-ce que les conditions professionnelles des femmes à Maurice est un facteur défavorable ?
On a vu que les professionnelles ont tendance à avoir moins d’enfants. Il faut aussi comprendre la surcharge de travail pour la femme qui cumule rôle reproductif et rôle productif. De plus, certaines femmes sont aussi très actives au niveau de la société. Il y a beaucoup de responsabilités que les femmes doivent accomplir au niveau de la maison et du travail. C’est dans cette perspective que dans le contexte de la Journée internationale de la femme, on a demandé au ministre de la Fonction publique de revoir les conditions de travail des femmes.

Qu’est-ce qui peut encourager les femmes qui travaillent à avoir plus d’enfants ?
On doit demander au ministre du Travail de prendre en considération les données actuelles et les enjeux démographiques et d’apporter sa contribution active à un redressement de la situation. Il faut offrir des conditions de travail qui revaloriseront la femme. Un salaire décent avec des conditions de travail qui lui permettront d’avoir une meilleure santé sexuelle et reproductive aidera définitivement la femme qui travaille à avoir plus d’enfants.

Est-ce que cela prendra beaucoup de temps pour réduire l’écart entre le taux de fécondité et la population vieillissante ?
Cela prendra un peu de temps avant de changer le comportement des personnes car aujourd’hui, on a tendance à évaluer tout en termes d’argent. Nous avons un État providence solide et on n’arrive même pas à penser à ce qui nous arrivera demain. Le vieillissement de la population n’est autre que la récolte du dividende démographique car on a la sante et l’éducation gratuites, des services sociaux et une pension de vieillesse universelle. Pour l’instant, on ressent quelques séquelles seulement mais dans un avenir pas si lointain, on réalisera que ces avantages ne sont plus soutenables et on se tournera vers la famille. La population vieillissante continuera son parcours car en 2050, plus de 30 % de la population aura déjà atteint 60 ans. Ce qu’il faut, c’est préparer la jeunesse pour qu’elle relève ce défi.

Que faites-vous par rapport aux familles pauvres avec beaucoup d’enfants ?
On continue à soutenir ces familles. On leur conseille d’utiliser un moyen de contraception. Il y a certaines femmes à qui on va proposer une méthode contraceptive sur le long terme. On va référer d’autres à différents ministères et vers les petites et moyennes entreprises. On conseille à ces personnes de contrôler leur santé sexuelle et reproductive et surtout leur fertilité. À Rodrigues, il y a beaucoup de mères célibataires et on essaie de leur faire apprendre à maîtriser une activité génératrice de revenus. Mais croyez-moi, les cas difficiles que vous voyez n’ont pas les mêmes problèmes de fond car les réalités sont très diversifiées. Mais à toutes ces femmes ayant une fertilité très élevée, on propose un moyen de contraception. On fait le suivi médical de leurs enfants et on encourage ces femmes à garder une certaine hygiène de vie et à envoyer leurs enfants à l’école.