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Nishan Degnarain: «Maurice ne reçoit qu’une fraction de la valeur du thon»

12 juillet 2017, 12:19

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Nishan Degnarain: «Maurice ne reçoit qu’une fraction de la valeur du thon»

Nishan Degnarain est un Mauricien dont le travail a été reconnu par l’Organisation des Nations unies (ONU). Il a joué un rôle clé dans les négociations relatives à la déclaration sur la «traçabilité des thons en 2020», négociée à l’ONU pour prévenir la surpêche et la pêche illégale. Économiste de profession, il a publié cette année un livre écrit avec le Dr Gregory Stone, «Soul of the Sea».

Vous venez de coécrire un livre, «Soul of the Sea in the age of the algorithm». De quoi parle cet ouvrage ?
La technologie change la face du monde rapidement. Que ce soit les téléphones, les réseaux sociaux ou les moteurs de recherche, ou encore le développement de la voiture autopilotée ou les avancées rapides en génétique, les 30 prochaines années vont être les plus transformatives de l’histoire. Ce qui est reconnu par le Forum économique mondial comme la quatrième révolution industrielle. Cette révolution va transformer les économies et les sociétés autour du monde incluant notre environnement et nos océans. Ce qui est crucial c’est autant la technologie développée que le leadership pour maitriser ces technologies. Soul of the Sea a connu un intérêt significatif de la part de Harrison Ford et de Leonardo DiCaprio et le prince Albert II de Monaco était présent au lancement du livre à New York.

Comment vous êtesvous décidé pour le titre du livre ?
Les technologies reflétées dans le cadre de la quatrième révolution industrielle transformeront nos océans. C’est pourquoi nous sommes dans l’âge de l’algorithme où les données et les technologies peuvent transformer nos océans. Cependant, en même temps, nous avons besoin de suffisamment de valeur éthique pour diriger nos océans afin de nous assurer que la génération suivante d’industries pour nos océans soit durable avec l’environnement et promeuve aussi l’égalité et non pas l’exclusion d’utilisateurs plus traditionnels.

Outre ce nouveau livre, effectuez-vous un autre travail avec l’ONU ?
J’ai été invité pour présider l’initiative pour les océans lors du Forum économique mondial, ce qui a permis de négocier une importante déclaration relative à l’arrêt de la pêche illégale. Cela a été annoncé à l’ONU en juin pendant la plus grande réunion sur les océans en 40 ans. Cette déclaration, la «Tuna Traceability Declaration», vise à mettre fin à la pêche illégale des thons. À ce jour, plus de 50 des plus grands vendeurs se sont engagés à répertorier les navires, l’heure et la location de la prise avec exactitude. Ce projet a aussi reçu l’aide d’une vingtaine d’îles en voie de développement et d’organisations non gouvernementales (ONG). Je suis très fier d’avoir réussi cette négociation.

Qu’est-ce qui vous a poussé à travailler sur la pêche illégale du thon ?
La pêche illégale résume parfaitement les difficultés auxquelles font face les gouvernements des petites îles en développement comme Maurice. Montrer que le changement est possible est le premier pas vers la transformation pour gouverner les océans. Le thon est vital pour l’écosystème de cinq des huit espèces, qui sont sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et d’autres qui ont enregistré un déclin de près de 90 % de leur population. Économiquement, le thon est l’une des espèces les plus monétairement prolifiques. Une valeur ajoutée s’élevant à plus de Rs 1 200 milliards. Cependant plusieurs pays, Maurice inclus, n’en touchent qu’une infime partie.

Le thon est l’un des poissons les plus pêchés légalement et illégalement. Cela a dû être difficile de négocier la déclaration ?
Les populations de thon ont chuté de plus de 90 % sur les 40 dernières années. Et 65 % du thon se trouve dans l’océan Pacifique et 20 % dans l’océan Indien. Cette déclaration est un travail d’équipe. Les vendeurs ont reconnu que si nous voulons continuer à jouir du thon, il nous faut des solutions à long terme. Sinon, le thon risque de disparaître des océans. Cet accord a été conduit par les secteurs de la vente, en partenariat avec les îles en voie de développement. Surtout que ces dernières reçoivent rarement tous les bénéfices de l’exploitation du thon.

Le Dr Gregory Stone et Nishan Degnarain, coauteurs du livre «Soul of the Sea»,
en session de dédicaces.

Que pensez-vous de l’action de Maurice pour protéger la mer ? Est-ce suffisant ?
Maurice a une occasion réelle d’être le leader dans le secteur océanique mondial, particulièrement en prenant quelques actions avant-gardistes comme la création d’un ministère dont le travail serait uniquement de gérer les ressources océaniques. Cependant, le pays doit entreprendre beaucoup plus d’actions au niveau du leadership. Par exemple, Maurice n’est toujours pas signataire de la traçabilité du thon, déclaration que d’autres petits États insulaires ont signée.

Comment Maurice va-t-elle bénéficier de cet accord ? La pêche illégale est un problème pour le pays. Faut-il revoir nos méthodes pour arrêter la pêche illégale ?
Nombres d’îles en voie de développement, comme Maurice, ne reçoivent qu’une fraction des bénéfices de la valeur du thon. Pour chaque kilogramme de thon vendu à Rs 300 en Europe, Maurice n’en reçoit que Rs 10. La traçabilité du thon va permettre à Maurice de suivre le thon pris dans ses eaux et de revoir les contrats avec les pêcheurs étrangers, qui reçoivent de la valeur ajoutée pour avoir pêché dans les eaux mauriciennes. Et de la même manière, le thon qui n’est pas suivi ne peut pas se retrouver sur les marchés officiels.

Il y a beaucoup de discussions autour de l’aquaculture, votre opinion sur le sujet ?
Globalement, l’aquaculture a été la source de croissance la plus rapide d’apport de protéines depuis 2014. Aujourd’hui, plus de poissons sont produits de l’aquaculture qu’à travers la pêche traditionnelle. Les avancées rapides de la technologie signifient qu’elle est la seule industrie à se développer rapidement. Chose que nous mettons en évidence dans Soul of the Sea.

Pensez-vous que Maurice devrait mettre autant d’accent sur l’importance de l’aquaculture ?
L’aquaculture doit être soigneusement réalisée. Elle devrait être mise en place en tenant compte de l’expertise scientifique internationale. On doit s’assurer qu’elle est intégrée à d’autres activités côtières comme le tourisme et éviter les risques de santé, qui est un effet secondaire de l’aquaculture excessive. Il y a des leçons que Maurice peut tirer de la façon de développer une aquaculture durable en se basant sur des exemples en Écosse, en Norvège et au Canada. La frontière suivante est l’aquaculture en eau profonde, loin du littoral, qui utilise de nouvelles technologies pouvant produire de nouveaux emplois de haute technologie pour une nouvelle génération et assurer la durabilité de l’environnement.

Quel sont vos objectifs dans un avenir proche ?
Nous travaillons avec les Nations unies sur la transformation de la gouvernance mondiale des océans. À travers le Forum économique mondial, nous avons un nouveau bureau à San Francisco qui exploite les dernières technologies de Silicon Valley pour radicalement transformer les technologies de nos océans. Nous espérons nous développer radicalement.