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Krishen Rangasamy: «Une crise de même ampleur que celle de 2009 est possible»

28 juin 2017, 12:41

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Krishen Rangasamy: «Une crise de même ampleur que celle de 2009 est possible»

Vous étudiez en permanence les tendances de l’économie mondiale. Quels sont les défis auxquels est confrontée l’économie mondiale ?
L’économie mondiale s’améliore après une année 2016 difficile. Malgré cela, la croissance mondiale devrait atteindre 3,5 % ou plus cette année et aussi en 2018. C’est un niveau plus faible que la moyenne de 5 % réalisée pendant les cinq années qui ont précédé la crise financière de 2009.

Le déclin démographique des grandes économies est un des facteurs structurels qui pèsent sur la croissance mondiale. Le Japon, dont l’âge de sa population active chute depuis 1996, est un cas d’école pour les effets dévastateurs de la démographie sur la croissance et l’inflation. La zone euro, dont l’âge de la population active a atteint un pic en 2010, est confrontée au même problème systémique. On s’attend à ce que la Chine y soit également confrontée dans les prochaines années.

Estimez-vous que l’économie mondiale réussira à sortir de cette ornière ?
À mon avis, il sera difficile pour l’économie mondiale de sortir de cet environnement marqué par un faible taux de croissance et l’inflation.

De plus, la transition de l’économie chinoise d’une économie soutenue par un secteur productif hautement performant et tourné vers l’exportation à une économie tournée vers les services est susceptible de créer un ralentissement de la croissance chinoise. Cela devrait induire des effets de contagion sur le reste du monde par le biais des canaux commerciaux et des investissements. Selon les statistiques du FMI, une baisse de 1 % de la croissance chinoise ralentirait la croissance mondiale de 25 points de base.

Quel sera l’impact de la montée du protectionnisme ?
L’impact de la montée du protectionnisme ne doit pas être sous-estimé, tant pour les économies émergentes que les économies développées. Ceux qui caressent l’idée d’ériger des barrières commerciales devraient s’inspirer des livres d’histoire. L’application de la loi Smoot-Hawley (NdlR : une mesure protectionniste) par l’administration américaine en 1930 a induit la pire dépression économique que le monde ait jamais connue. Les injections de liquidité dans le système par les banques centrales, aussi massives soient-elles, ne résoudront en rien ces problèmes. Aussi les gouvernements doivent-ils s’engager à repousser toutes les tentatives d’introduire des mesures protectionnistes. Par ailleurs, il faudra injecter des investissements pour rendre les économies plus dynamiques afin de s’attaquer d’une part à la baisse de croissance mondiale et, d’autre part, au déclin de la population active.

Les injections de liquidités, qui ont permis la relance après la crise financière, continueront-elles de soutenir l’économie mondiale ?
Le recours excessif aux injections de liquidités par les banques centrales mènera à terme à une accumulation de dettes et à une bulle du prix des actifs. Le pire, c’est que les emprunteurs (les États comme les entreprises), contractent des emprunts en dollars américains. Il existe, à ce jour, un total de 10,6 billions de dettes libellées en dollars américains à l’extérieur des États-Unis. Cela représente 19 % du PIB mondial, à l’exclusion de celui des États-Unis. Si le dollar américain continue de s’apprécier, on peut s’attendre à une vague de défauts de paiement, en particulier dans le cas des économies émergentes. Cela pourrait faire boule de neige et entraîner une crise de même ampleur que la crise financière. Ces problèmes pourraient faire dérailler l’économie mondiale mais peuvent être contenus si les gouvernements prennent des mesures correctives dès aujourd’hui.

Pensez-vous que le dollar continuera de s’apprécier ?
Il est difficile de répondre à cette question, vu que l’on ne sait pas ce que l’administration Trump compte vraiment faire. Ce qui pourrait favoriser la hausse du dollar serait l’adoption de mesures protectionnistes qui amélioreraient la balance commerciale des États-Unis. Cela dit, c’est loin d’être notre scénario de base. Si, selon nos prévisions, les flux commerciaux demeurent inchangés et que l’économie mondiale continue de progresser, je peux dire que le dollar pourrait atteindre son pic ou serait sur le point de s’en rapprocher. En effet, le frein à la hausse proviendrait de la Réserve fédérale qui ne dispose pas de marge de manoeuvre pour relever le taux d’intérêt dans un contexte où le taux d’inflation demeure quasiment nul.

Passons à l’économie mauricienne. Maurice arrive difficilement à franchir la barre psychologique d’une croissance de 4 %. Comment expliquez-vous cette situation ?
Je ne crois pas que l’objectif de croissance de 4 % devrait être une obsession pour le gouvernement. Ce dont le pays a réellement besoin c’est une croissance soutenable dans le temps. C’est le rôle du gouvernement de créer les conditions nécessaires pour que le secteur privé investisse. C’est la condition à laquelle le pays sera en mesure d’atteindre ce niveau de croissance raisonnable et aussi de le faire durer.

Le ministre des Finances, Pravind Jugnauth, vient de présenter le troisième Budget de l’alliance gouvernementale. Qu’avez-vous retenu de cet exercice ?
Les économistes privilégient les indicateurs qui portent sur la durabilité budgétaire : le ratio de la dette par rapport au PIB, le déficit budgétaire ainsi que le déficit structurel budgétaire, dont le mode de calcul est conçu pour relativiser les effets des cycles économiques. Selon les statistiques du Fonds monétaire international (FMI), le déficit structurel budgétaire comparé au PIB était anormalement élevé l’année dernière. Il se situait même à un niveau record. Idem pour le ratio de la dette par rapport au PIB. Ces indicateurs économiques sont loin d’être rassurants. Je ne sais pas si les mesures annoncées permettront d’inverser la tendance. Le temps nous le dira.

Le ministre des Finances a introduit une Negative Income Tax pour donner plus de pouvoir d’achat aux consommateurs au bas de l’échelle. Est-ce une bonne stratégie de croissance ?
Je ne dispose pas de données sur les multiplicateurs fiscaux à Maurice. Mais je ne serais pas surpris s’ils racontent la même histoire que celle des États-Unis, soit que ces aides aux consommateurs stimulent la croissance. Les ménages à faible revenus sont plus enclins à dépenser les allocations qu’ils reçoivent de l’État.

Le Brexit pourrait avoir des conséquences sur l’économie de Maurice. Estimez-vous que le pays en est suffisamment conscient ?
La majorité des économistes pensent que Brexit influera négativement sur la croissance britannique et sur celle de l’Union européenne, qui y exporte 14 % de ses produits. Si la demande intérieure de ces deux marchés baisse, on peut raisonnablement anticiper une dégradation de l’environnement d’affaires pour les exportateurs mauriciens.

La Banque nationale du Canada (BNC), pour laquelle vous travaillez, est un actionnaire d’AfrAsia Bank à Maurice. Qu’est-ce qui intéresse la BNC dans une banque mauricienne ?
À la BNC, nous cherchons à établir des partenariats avec des banques à forte croissance à travers le monde. Nous étions particulièrement impressionnés par l’équipe de management d’AfrAsia et par sa stratégie de croissance. La BNC a porté sa participation à 20 % du capital de la banque mauricienne, ce qui en dit long sur ses attentes.

Les bourses canadiennes attirent de nombreuses sociétés minières. À Maurice, la seule société minière cotée, Shumba Coal du Botwana, s’est retirée du marché en raison du manque d’intérêt d’investisseurs locaux. Comment expliquez- vous cette situation ?
Il est possible que les investisseurs locaux ne connaissent pas le secteur minier autant que ceux du Canada. Ce qui m’amène à dire que la Bourse de Maurice a tout intérêt à faciliter l’introduction de ces sociétés en travaillant avec les compagnies étrangères sur un marketing agressif pour attirer les investisseurs Locaux.

Contexte


Un Mauricien au parcours exemplaire

<p>Krishen Rangasamy est l&rsquo;économiste en chef de la Banque Nationale du Canada. Il fait partie de l&rsquo;équipe Économie et Stratégie de cette banque depuis 2011.</p>

<p>Le parcours canadien de Krishen Rangasamy a commencé dans l&rsquo;Ouest canadien, où il était responsable des modélisations et des analyses économétriques pour les entreprises du secteur du pétrole et du gaz. Il a ensuite passé quatre années à Toronto comme économiste dans l&rsquo;équipe de recherche de la <em>Canadian Imperial Bank of Commerce</em>. À son poste actuel, il suit la conjoncture économique et ses implications sur les différents marchés boursiers. En parallèle, il est aussi sollicité pour réaliser des scénarios prévisionnels sur l&rsquo;économie américaine et canadienne, ainsi que sur l&rsquo;évolution du taux de change. Détenteur d&rsquo;une maîtrise en économie, il intervient régulièrement comme commentateur économique dans la presse au Canada, aux États-Unis, en Asie et en Europe.</p>