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Dana Chengen: «Le secteur privé et la National CSR Foundation doivent pouvoir coexister»

22 juin 2017, 20:08

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Dana Chengen: «Le secteur privé et la National CSR Foundation doivent pouvoir coexister»

Il fallait mettre de l’ordre dans le système de CSR à Maurice. Les organisations non gouvernementales devraient aussi changer de «business model» pour s’adapter au nouveau mode de financement.

Quel bilan faites-vous de la stratégie de responsabilité sociale des entreprises (CSR) nationale depuis son lancement ?
Il fallait certainement mettre de l’ordre dans le système de CSR. D’emblée, un petit historique s’impose. Le CSR ne date pas d’hier et n’est pas non plus originaire de Maurice. La stratégie que nous avons adoptée est taillée sur mesure pour réconcilier les spécificités de la société civile mauricienne et la contribution du secteur privé dans le social à Maurice. Au moment de son lancement, quand Rama Sithanen était le ministre des Finances, l’idée était de permettre au secteur privé de mieux contribuer au social tout en aidant les organisations non gouvernementales (ONG) à obtenir du financement. Si l’effet d’annonce, à l’époque, avait apporté beaucoup d’espoir aux ONG, les choses ont évolué différemment. Alors qu’autrefois une organisation gérait ses fonds comme elle le voulait, avec le CSR elle a dû proposer des projets pour obtenir du financement du secteur privé, un peu à la manière d’un business plan. Or, la plupart des ONG n’avaient ni les ressources ni les connaissances pour monter et présenter des projets. Le MACOSS a d’ailleurs tenu plusieurs séances de formation en ce sens.

Au fil du temps, les entreprises ont également créé leurs propres fondations, tout en identifiant des thématiques. Le financement de projet se faisait en fonction de leurs priorités et certains projets proposés par les ONG étaient, par conséquent, rejetés, alors que certaines organisations auraient voulu profiter du système. Bref, c’était le désordre et la confusion non seulement pour les ONG mais aussi pour le secteur privé. C’est ce qui a poussé l’État à prendre position. Au final, les CSR Guidelines instaurées au lancement du CSR ont été enlevées pour laisser le champ libre au secteur privé de gérer ses fonds CSR. Mais cela n’a fait qu’engendrer encore plus de confusion et de mécontentement.

La création de la National CSR Foundation était donc justifiée ?
Oui, la création de la National CSR Foundation a été la bienvenue car il fallait apporter plus de cohérence au système. Mais il faut que chaque partenaire s’y retrouve. Le secteur privé a ses intérêts à défendre, ce qui est compréhensible car ils ont également des coûts, notamment pour la gestion de leurs fondations. Toutefois, il faut rappeler qu’il y a eu une période transitoire entre l’annonce de la création de la National CSR Foundation et sa mise sur pied, une période qui a été fatale pour plusieurs ONG.

C’est-à-dire ?
Certaines ont dû fermer temporairement, voire diminuer leurs activités au strict minimum afin de contenir les coûts. Cela concerne environ une cinquantaine d’organisations. La plupart oeuvrent dans le secteur de la lutte contre la pauvreté, dans celui de la santé et aussi dans l’éducation, telles les petites écoles. Par exemple, certaines écoles pour enfants handicapés sont passées par des moments difficiles.

N’est-ce pas le signe que les ONG doivent changer d’approche en matière de levée de fonds et réduire leur dépendance du secteur privé ?
Si vous savez comment il faut s’y prendre, faites-moi signe ! Il faut souligner que l’innovation ne manque pas dans le secteur. L’entrepreneuriat social, par exemple, est un nouveau business model qui commence à prendre forme à Maurice ; ce qui est une bonne chose. Cela permet à la fois d’assurer une rentabilité tout en apportant une contribution au social. Certaines organisations peuvent se tourner vers ce nouveau modèle mais la plupart n’y sont pas préparées. Le problème vient de l’absence de mesures incitatives de la part du gouvernement en ce sens. Il n’y a pas de politique pour encourager l’entrepreneuriat social à Maurice.

Y a-t-il tout de même des ONG qui se tournent vers ce nouveau système ?
Oui, mais cela reste difficile. On pourra le faire, mais il faut rappeler qu’à Maurice, le marché est restreint, ce qui rend leur développement limité. Selon moi, seulement 1 % des ONG peut se tourner vers l’entrepreneuriat social à ce jour. Ce n’est pas non plus facile pour des ONG de gérer à la fois le social et le business, notamment les petites ONG.

Depuis que le gouvernement a décidé d’accorder un délai d’une année aux entreprises pour contribuer 50 % de leurs fonds CSR à la National CSR Foundation, quelle a été leur attitude vis-à-vis des ONG ?
Le secteur privé affiche toujours la prudence. Bien que la situation n’ait guère évolué, il reste tout de même de l’espoir. Cela fait un mois qu’il y a eu des appels à projets lancés par la National CSR Foundation. Le contact a donc été établi entre les ONG et la fondation. Toutefois, la National CSR Foundation mettra du temps à atteindre sa vitesse de croisière, étant une nouvelle structure avec du personnel qui n’est pas encore accoutumé au secteur. Ces personnes manquent encore de compétences pour cerner la situation des ONG. Au niveau du MACOSS, nous suivons cela de près. D’après nos informations, certains financements seront débloqués à la fin du mois de juin. J’ai toutefois quelques craintes car il y aurait apparemment 450 projets qui auraient été déposés. Il y aura donc un tri qui sera effectué selon les critères de priorité établis par le gouvernement. Pour le moment, nous sommes dans l’attente.

Comment le MACOSS adapte-t-il ses services pour mieux accompagner les ONG dans ce contexte de changement ?
Nous misons beaucoup sur l’encadrement. Nous avons remarqué que le gros problème des ONG est l’accès aux ressources financières. Qui dit ressources dit développement de projet. Nous comptons recruter un project officer qui apportera une assistance et encadrement soutenu aux organisations pour la gestion de projet. Par exemple, si un projet ne passe pas, l’organisation bénéficiera d’un soutien pour savoir comment améliorer son projet pour la prochaine fois.

L’élément de confiance entre les ONG et le secteur privé est également un point qui nous tient à coeur. Raison pour laquelle nous avons lancé le social audit l’année dernière, un système par lequel nous demandons aux ONG d’instaurer un audit interne. Cet audit est un gage de confiance qu’elles offrent aux pourvoyeurs de fonds. Il permet de démontrer que l’organisation utilise ses fonds à bon escient, qu’elle est en règle et que ses projets sont véritablement altruistes, non pas portés vers la satisfaction d’intérêts personnels.

Plusieurs ONG travaillent pour la même cause, comme celle de la lutte contre la pauvreté, par exemple. Ne faudrait- il pas rationnaliser ces services ?
Tout à fait. C’est d’ailleurs ma priorité. Il s’agit de faire du clustering thématique et régional. Mais, encore une fois, il nous faudra des fonds pour cela. C’est un projet que nous allons tout de même lancer au niveau du MACOSS. Cela permettra d’apporter aux ONG plus de synergie et de coordination. Le clustering facilitera également l’encadrement et la formation, l’organisation des relations avec le gouvernement et une meilleure réflexion sur divers thèmes.

Et le financement ?
La question du financement viendra dans un deuxième temps. Le système étant centré sur le financement de projet, il serait possible de regrouper quelques organisations autour d’un seul et même projet afin d’attirer du financement.

Au final, quelle devrait être la meilleure stratégie CSR pour Maurice ?
Pour moi, la création de la National CSR Foundation est déjà une bonne chose car elle est venue pallier plusieurs manquements. En même temps, le secteur privé aussi travaille énormément dans le social, ce qui est d’ailleurs aussi sa responsabilité. Il faudrait donc continuer à encourager les entreprises en ce sens. Je pense donc que les deux systèmes doivent pouvoir coexister. Le plus important, c’est que le pays sorte gagnant et que la vie s’améliore pour tous les citoyens. La responsabilité sociale concerne tout un chacun, que ce soit le gouvernement, le secteur privé et les ONG, entre autres.

Contexte

Budget 2017-18: Sursis d’une année pour la contribution des entreprises à la National CSR Foundation

Il était prévu qu’elles contribuent déjà 75 % de leurs fonds de CSR à la National CSR Foundation. Le gouvernement a souhaité donner aux entreprises plus de temps pour procéder à la transition. Si bien qu’elles peuvent utiliser la moitié de leur fonds CSR à leur guise. C’est ce qu’a déclaré le Premier ministre et ministre des Finances, Pravind Jugnauth, dans son discours budgétaire du 8 juin. L’obligation de contribuer 50 % à 75 % de leur fonds CSR à la National CSR Foundation, une organisation gérée conjointement par le public et le privé, avait apporté de la confusion tant au niveau du secteur privé que des ONG lorsque cette mesure avait été annoncé dans le Budget 2016-17.

Qu’est-ce que l’entrepreneuriat social ?

C’est une manière d’entreprendre qui place l’efficacité économique au service de l’intérêt général. Les dirigeants de ces entreprises font du profit un moyen, non une fin en soi.

  • L’entreprise sociale s’organise autour de 4 principes :
  • Un projet économique viable.
  • Une finalité sociale et/ou environnementale.
  • La rentabilité au service de la finalité sociale ou environnementale.
  • Une gouvernance participative impliquant toutes les parties prenantes.