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Leela Devi Dookun-Luchoomun: «Je ne céderai rien sur les frais d’examens»

28 mai 2017, 17:15

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Leela Devi Dookun-Luchoomun: «Je ne céderai rien sur les frais d’examens»

La ministre de l’Éducation persiste et signe trois fois. Les frais d’examens ? Pas de paiement, pas de diplôme. La directrice de l’université de Technologie ? Rien à lui reprocher, «elle reste». La révision des critères d’admission en «Lower VI»? Du militantisme anti-nivellement par le bas. Tour d’horizon des sujets qui fâchent.

 

Quel genre d’élève étiez-vous ?
Une élève heureuse. J’ai aimé l’école, je m’intéressais à tout. J’étais studieuse mais pas une élève modèle pour autant. J’étais bavarde, dissipée, mais les profs aimaient bien cette vitalité, ils m’appelaient «la p’tite nuisance» ! (rires) 

Pourquoi «la p’tite nuisance» fait-elle de la rétention de diplômes ?
De quelle rétention parlez-vous ? Si vous faites allusion au SC-HSC 2016, nous avons commencé à remettre les certificats cette semaine.

Sauf que 2500 élèves se verront refuser leur certificat…
Moins. 2 000 élèves sont concernés. Nous n’avons pas pris cette mesure de gaieté de cœur, mais ma patience a des limites.

C’est donc bien de la rétention… 
(Ferme) Écoutez, les règlements sont faits pour être appliqués. Personne n’a été pris par surprise, la règle du jeu était claire : au-delà de 15 jours d’absence, les frais d’examens sont dus. Je ne céderai rien là-dessus, j’estime que nous avons été plus que patients. On a repoussé la date de paiement, fait des concessions. L’heure n’est plus à la négociation, le Mauritius Examinations Syndicate (MES) doit récupérer cet argent, point.

Cela représente quelle somme ?
Environ Rs 30 millions. (En aparté) Ma motivation n’est pas l’argent…

C’est pour le principe ? 
Exactement. Je veux que les élèves comprennent que s’ils ne viennent pas en classe, leurs parents en feront les frais, au sens propre du terme. Cette mesure donne déjà des résultats, l’absentéisme est en baisse cette année, ce n’est pas le moment de tout gâcher en passant l’éponge dans le cas de ceux qui n’ont pas honoré leurs dettes. Et puis, ce serait injuste à l’égard de la grande majorité qui a compris l’enjeu.

C’est-à-dire ? 
Sur 24 000 candidats au SC-HSC, 22 000 sont en règle : soit ils ont respecté le taux de 90 % de présence, soit ils se sont acquittés des frais d’examens. Nous avons 8 % de récalcitrants, ils savent ce qu’il leur reste à faire. Encore une fois, je ne ferai pas marche arrière.

Un syndicat compte contester en cour la légalité de la démarche. Êtes-vous inquiète ?
Non, parce que je sais où je vais, j’ai consulté le State Law Office. Ceux qui font de la résistance ont la mémoire courte, ils oublient que les parents ont signé un document les engageant à payer en cas de non-respect du critère de présence. On aurait pu, dès le départ, interdire aux élèves de prendre part aux examens. Je n’ai pas voulu le faire pour ne pas les pénaliser. J’ai fait confiance aux parents, ils doivent apprendre à respecter leurs engagements.

Et ceux qui n’ont pas les moyens ? Il faut pouvoir sortir Rs 16 000… 
Des aides sont possibles, la Sécurité sociale peut prendre les frais à sa charge.

Certains élèves ont pu, semble-t-il, récupérer leur diplôme en présentant un certificat médical. Vous attendez-vous à une pluie de certificats «parapluie» ? 
Ce n’est pas vrai, j’ai vérifié : le MES n’a reçu aucun certificat médical.

Mais les collèges…

Présenter un certificat un an après ?
Non, ce n’est pas possible.

Passons aux «absences» de l’université de Technologie (UTM). Allez-vous débarquer sa directrice controversée ? 
Je n’ai aucun manquement à lui reprocher ; elle reste. Comprenez bien une chose : je fonde mes décisions et mes actions sur des faits, et les faits démontrent que Madame Seetulsingh-Goorah travaille bien. Quand j’ai pris ce ministère, c’est vrai, il y avait de gros problèmes à l’UTM. La nouvelle directrice s’y est attaquée en obtenant des résultats concrets. Exemple, l’université délivrait des diplômes de médecine sans même disposer d’un département de Health Science. Ce département, madame Seetulsingh-Goorah l’a créé. Elle a réalisé des choses très louables.

Dans ce cas, pourquoi s’est-elle mis autant de monde à dos ?
C’est une femme de caractère, qui ne se laisse pas faire.

Par qui ? 
(Hésitante) Je n’ai pas envie de polémiquer.

Pourquoi cette dame cristallise-t-elle autant d’animosité ?
Je vais vous dire la vérité : certains n’ont pas aimé qu’une personne extérieure à l’université de technologie soit nommée. Elle n’était pas du sérail, elle l’a payé, et de manière d’autant plus forte qu’elle s’est employée à remettre de l’ordre. S’attaquer aux dysfonctionnements, c’est parfois devenir impopulaire. On lui a glissé des peaux de banane sous les pieds.

C’est qui, «on» ? 
Ils se reconnaîtront.

Son propre staff lui savonnerait-il la planche ?
Il y a eu, et il y a encore, des réticences en interne. Ça, je l’ai compris lors de ma rencontre avec les étudiants. Leur problème n’est pas avec la directrice mais avec l’administration. Par exemple, attendre quatre mois pour obtenir un bus pass, c’est long. La bureaucratie n’explique pas tout : dans certains cas, les lourdeurs semblaient volontaires.

Et vous restez les bras croisés ?
Absolument pas. Je veille de près à ce que cela ne se reproduise plus.

Résumons : l’administration de l’université sabote le travail de la directrice, c’est ça ?
D’une certaine manière. Mais le terme saboter est trop fort.

Pourquoi ne pas se séparer des brebis galeuses ?
Nous le ferons en temps et lieu…

C’est pour toutes ces raisons que vous avez défendu cette dame avec autant d’ardeur au Parlement ?
Je ne l’ai pas défendue, j’ai répondu aux questions du leader de l’opposition. Il a été incapable de fournir le moindre élément contre elle et, out of the blue, il réclame sa tête. Qu’on m’explique en quoi elle a fauté, parce que moi, je n’ai rien trouvé.

Avez-vous bien cherché ? 
Prenons un peu de recul : ce n’est ni la première ni la dernière fois qu’il y a un clash staff-direction dans une institution, cela arrive souvent. S’il fallait à chaque fois couper la tête du directeur, on ne s’en sortirait plus.

Sharmila Seetulsingh-Goorah a déclaré que les problèmes de l’UTM sont «le résultat de plusieurs années de négligence».Vous êtes en poste depuis deux ans et demi, assumez-vous votre part de négligence ? 

Non, parce qu’elle et moi avons permis d’améliorer la situation. L’année dernière, j’ai doublé le budget de l’UTM. Monsieur Duval, qui a la critique si facile, a été au gouvernement pendant 12 années consécutives, dont quatre comme ministre des Finances; à aucun moment il n’a cru bon d’aider l’UTM. Aujourd’hui il retrouve la vue et désigne cette dame comme la grande coupable. C’est pathétique, j’attends beaucoup plus de sérieux d’un leader de l’opposition.

Avez-vous des liens de parenté avec elle ? 
Aucun.

Vos adversaires font courir le bruit qu’elle a «travaillé» la circonscription n°8 à vos côtés… 
C’est faux, elle habite à Curepipe. C’est juste qu’elle s’est affichée comme une MSM. Chacun a le droit d’avoir une affiliation politique, non ?

 

Certes, mais la vraie question est de savoir si elle a été recrutée sur une base politique.   
La réponse est non. 

Vous nous pardonnerez si on ne vous croit pas sur parole ?  
Vous n’êtes pas obligé de me croire sur parole, mais les faits sont là. C’est quelqu’un de compétent qui avait un long parcours universitaire avant sa nomination ; faites-lui au moins ce crédit.  

En parlant de crédit, à partir de 2019, il faudra en obtenir cinq pour passer en Lower VI, contre trois aujourd’hui. Pourquoi ce changement ? 
Parce que je ne crois pas au nivellement par le bas, ça ne rend pas service aux enfants. Le niveau d’exigence a baissé ces dernières années, j’ai senti un relâchement des élèves, des parents et des professeurs. Il ne faut jamais redouter le nivellement par le haut, surtout quand Maurice aspire à devenir un knowledge hub.

Chaque semaine, je reçois le public. Et chaque semaine, j’écoute des parents désemparés. Ils se sont endettés pour financer des études et leurs enfants ne trouvent pas de job. Quand j’ouvre leur dossier, certains n’ont même pas trois credits… On leur a fait croire que tout serait possible, c’était leur mentir, cela génère beaucoup de frustrations aujourd’hui. 

Une question plus politique : vous êtes dans les bons papiers du Premier ministre (elle coupe)... 
Vous avez accès à ses papiers ? 

Vous sentez-vous intouchable ? 
Certainement pas. Le Premier ministre est mon leader et mon colistier, nous travaillons souvent ensemble mais je n’ai pas de traitement de faveur. Pravind Jugnauth sait qui je suis : une personne simple qui met du cœur à l’ouvrage ; c’est ce qui me rend heureuse. Le reste ne m’intéresse pas, de toute façon je n’ai pas le temps pour les qu’en-dira-t-on. 

Le Nine-Year Schooling est, avec le métro léger, l’un des deux gros morceaux du mandat en cours. Est-ce une grosse pression ? 
J’y vois plutôt une opportunité : j’ai la possibilité de changer les choses. C’est excitant, enthousiasmant, et je suis heureuse. 

Si vous menez cette réforme à bon port, quelle sera l’étape d’après ? 
Terminer ma réforme, la compléter. Il faudra pour ça un deuxième mandat. Si je suis réélu, je demanderai le ministère de l’Education. Je ne suis pas ambitieuse mais très méticuleuse.

Un ancien recteur, Teeluck Bhuwanee, n’est pas de cet avis. Il vous a récemment dégommé dans une interview. L’avez-vous-lu ?  
J’ai ri de bon cœur en lisant ça (NdlR, en résumé, le Nine-Year Schooling serait un «gâchis éducatif» qui «pervertit davantage le système» en raison d’une «absence de vision» et d’un «manque de conviction»). Débiter autant de bêtises, c’est effrayant. Ce monsieur n’a même pas dû prendre la peine de lire notre policy paper. Venir dire que je cède au lobby enseignant, c’est bien mal me connaître.

La p’tite nuisance est donc toujours en vie ?  
Oh que oui ! Et elle a grandi. Demandez au personnel du ministère, ils la côtoient tous les jours (rires). 

Depuis le début de notre discussion, vous avez prononcé trois fois le mot «heureuse», c’est peu banal… 
Je le suis parce que je fais ce que j’aime (large sourire). 

Qu’est-ce qui vous rendrait plus heureuse ? 
Atteindre le but que je me suis fixé : qu’un maximum de jeunes quittent l’école en étant des esprits libres, éclairés et indépendants, pour devenir des citoyens responsables.