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Me Rama Valayden : «Le vrai coupable de l’incendie de L’Amicale est l’escadron de la mort»

13 juillet 2013, 21:19

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Me Rama Valayden : «Le vrai coupable de l’incendie de L’Amicale est l’escadron de la mort»

Il avait écrit au commissaire de police (CP) une semaine avant l’incendie de L’Amicale de Port-Louis le 23 mai 1999, pour l’avertir qu’il y aurait du désordre à la sortie du match opposant le «Scouts Club» et la «Fire Brigade». C’était la première fois que Rama Valayden s’intéressait à l’affaire. Quatorze ans après, il revient avec un rapport complet sur les incidents, l’enquête de la police et le procès, qui condamnent quatre hommes à la prison à vie. Rama Valayden dit détenir des preuves que les quatre sont innocents.

Qu’est-ce qui vous a motivé à entreprendre cette enquête sur l’incendie de L’Amicale ?

J’étais impliqué d’une certaine façon dans l’affaire vu l’intérêt que m’a porté la police après que j’avais écrit au CP une semaine avant l’incendie de L’Amicale pour l’informer que des incidents violents allaient probablement avoir lieu. Le fait que je sache cela a semblé étonner la police. Alors même que la police secrète, la National Intelligence Unit, avait préparé trois rapports pour prévenir ces incidents. Déjà à l’époque, je me disais que vu la façon dont la police abordait l’enquête, celle-ci était vouée à l’échec.

Si vous saviez cela, pourquoi n’avoir rien fait quand vous étiez «Attorney General » (AG) ? 

J’avais lancé, en tant qu’AG, un appel aux membres du public pour qu’ils viennent en avant avec des témoignages dans les cas non élucidés, dont celui de L’Amicale. Personne n’est venu. Je ne pouvais pas non plus demander à la police de rouvrir l’enquête sinon on allait dire «Rama pe donn lord lapolis», surtout que je n’étais pas élu. Mais j’étais convaincu que les quatre condamnés étaient innocents en ce qui concerne l’incendie de L’Amicale qui a causé la mort de sept personnes. Excepté que je n’en avais pas les preuves. Et sans preuves, je ne pouvais rien faire. Donc ces preuves, il fallait les trouver. Entre-temps, les familles des victimes m’avaient demandé mon aide mais j’étais occupé avec l’affaire Harte qui m’a pris du temps. Ce n’est qu’après cela que j’ai eu le temps de me consacrer à cette enquête.

Donc, après que ces personnes ont passé 14 ans en prison, vous décidez de vous substituer à la police et à la cour, et de rouvrir l’enquête, après qu’un jury avait trouvé les quatre coupables ?

Il n’était pas question de me substituer à la police mais une enquête criminelle est cruciale à un procès équitable. Or, je savais que l’enquête policière sur L’Amicale était remplie de failles. J’ai alors décidé d’aller à la recherche de preuves. Avec une équipe d’avocats, j’ai rencontré près de 450 personnes ; on a relu tous les dossiers, j’ai fait jouer mes contacts, on est arrivé à une liste de personnes d’intérêt et on est allé les voir pour les interroger. J’ai repris tous les dossiers déposés en cour, les photos de presse, les marchands de boulettes, les taxis. Bref, nous avons remonté le fil des événements.

Qu’avez-vous trouvé ?

De l’amateurisme. La police savait que quelque chose se préparait. Mais elle n’avait pas de plan B. Elle était préparée aux éventualités à la sortie du match de football opposant le Scouts Club à la Fire Brigade mais elle a omis d’anticiper ce qui allait se passer après.

C’est facile, n’est-ce pas, d’être «wise after the event» ?

Mais il ne s’agit pas de cela puisque je vous dis que j’avais envoyé une lettre à la police une semaine avant les incidents et que la police avait en sa possession trois rapports de son service secret qui prédisaient qu’il y aurait du désordre. Ces rapports étaient très précis et contenaient même une liste de noms de personnes qui pourraient possiblement être impliquées dans ces incidents. À partir de là, la police a pris toutes les précautions à la sortie du stade – il y avait 36 caméras dans le stade. Même le GIPM était présent ; cela prouve qu’ils savaient que les choses allaient chauffer. Mais les précautions se sont arrêtées là.

Que pouvaient-ils faire de plus ? C’était au stade que le risque de débordement était présent, non ?

Le rapport de la commission d’enquête, présidée par le juge Ahnee après l’affaire Zamalek, dit que les supporteurs du Scouts Club vont généralement se regrouper au Square Kadhafi après les matchs, c’est une sorte de tradition. Et les choses dégénèrent à partir de là. Ce serait bon aussi de mettre les choses dans leur contexte. La plupart des clubs de première division à l’époque, disons-le franchement, avaient une attitude anti-Scouts et faisaient tout pour empêcher que le Scouts Club gagne. Quand il y a eu un revival du Scouts Club, l’attitude prédominante était que ce n’était pas grave si Sunrise, Fire ou Cadets gagnent, pourvu que ce ne soit pas le Scouts Club. Et certains arbitres, s’ils sont honnêtes, reconnaîtront aujourd’hui que beaucoup de buts du Scouts Club qu’ils ont déclaré hors-jeu, ne l’étaient en fait pas !

Était-ce parce que les supporteurs de cette équipe étaient violents ? 

Oui, et d’ailleurs à l’époque on disait que si l’on voulait faire un hold-up, on le faisait le jour où le Scouts Club jouait car tous les policiers étaient mobilisés au stade ! Tout le monde savait ça !

Que voulez-vous démontrer au juste avec ces explications ?

Que l’origine des incidents du 23 mai 1999 avait pour toile de fond le hooliganisme et le communalisme. Le Scouts Club perd le match et donc la coupe parce que l’arbitre, pour des raisons obscures, déclare le but hors-jeu. Les incidents commencent au stade mais parallèlement, aussi à Port-Louis. 

Pourquoi Port-Louis ? 

Les têtes brûlées qui voulaient causer du désordre avaient déjà identifi é ce qui était pour eux des «sin spots» à Port-Louis. L’Amicale était un de ces endroits ; c’était une place de jeu, de prostitution donc de vice pour ces gens-là. Il y avait deux maisons à Vallée-Pitot qui vendaient de l’alcool et qui ont été attaquées et des lance-flammes ont été utilisés. Au Champs-de-Mars, ils avaient tenté de mettre le feu aux écuries.

Quant aux quatre condamnés de L’Amicale, ont-ils, selon vous, participé à ces émeutes ?

Ils étaient à Port-Louis après le match, pour aller saccager le bureau de la Mauritius Football Association (MFA) qu’ils rendaient coupable de leur avoir enlevé la victoire. Mais après cet acte, des supporteurs de la Fire Brigade se sont mis à narguer ceux des Scouts avant de se réfugier au poste de police de Pope Hennessy. Et là, les supporteurs des Scouts ont saccagé le poste de police de Pope Hennessy. Mais pendant que le poste était pillé, L’Amicale était déjà en flammes.

Et vous dites que les quatre étaient en train de saccager un poste de police au lieu de mettre le feu à L’Amicale ? 

Oui, mais dans l’enquête policière, ils le nient. Ils disent qu’ils n’étaient pas au poste de police, par peur j’imagine. Or, la police savait qu’ils y étaient ; on les a vus et il y a des témoignages qui corroborent cela. Je répète, la police savait que les quatre, qui étaient simplement des hooligans enragés, étaient à la MFA. Ils ne peuvent pas être à deux endroits en même temps !

Dans ce cas, qui sont les vrais coupables de l’incendie de L’Amicale ? 

L’escadron de la mort. Un des membres de l’escadron l’a d’ailleurs dit avant de se suicider en 2000. Il l’a dit à Salim Khodabux, le président du mouvement civique national. Il lui a confié : «sa bann dimounn la inosan, nou kinn fer sa travay là.» Et l’on revient à ce que j’essayais de vous expliquer plus tôt ; la différence entre les hooligans et les têtes brûlées qui utilisent la frustration des jeunes impressionnables, généralement après une déception, pour les aider à «kraz partou». 

Êtes-vous persuadé de ce que vous avancez ?

Oui. Quand je parle de l’escadron de la mort, je ne parle pas du Hizbullah dans son ensemble et je crois que c’est l’erreur qu’a faite la police en se concentrant sur Cehl Meeah. Au Hizbullah, il y avait un groupe qui pratiquait un islamisme radical – qui n’est pas l’islam soit dit en passant. Et il décide à un moment de prendre ses distances et d’opérer en dehors du Hizbullah. La police, elle, s’est concentrée sur Cehl Meeah en pensant qu’il était le chef mais quand elle n’a rien trouvé, elle a laissé tomber sans penser aux membres de l’escadron de la mort.

Tous ces éléments que vous avez, les avocats de la défense ne les avaient-ils pas lors du procès ?

Je crois que les avocats pensaient que le témoignage du témoin principal, Thupsee, était tellement truffé de mensonges que le jury n’allait pas le croire et que le procès allait être rayé. Or, les caméras de L’Amicale et des commerces des environs confirment ce que j’affirme. Pire, ces images sont en possession de la police, qui poursuit quand même les quatre et qui les cachent de la défense qui ne savait même pas que la police avait ces images !

La défense s’attendait- elle à ce que la police lui donne tout sur un plateau au lieu de monter une vraie défense ? 

Vous savez, la tradition britannique dans la pratique du droit est que le fairness va prévaloir et que tout élément d’information que la poursuite a, et qui ne sera pas utilisé et qui pourrait aider la défense, lui sera remis. Mais le fairness a été dilué partout et il y a cette volonté constante de gagner et de satisfaire l’opinion  publique du côté de la poursuite. Pour eux, ce qui comptait c’est qu’ils avaient un case,  quatre hooligans alors il ne fallait pas regarder plus loin. Bien sûr, il y a une autre théorie selon laquelle il y avait une collusion entre certains de l’escadron de la mort et des hauts gradés de la police. Mais jamais il n’y a eu d’enquête pour éclaircir cet aspect. Même quand les membres de l’escadron se sont suicidés en 2000, il n’y a pas eu d’enquête judiciaire. 

Comment un tel dossier a-t-il pu passer le test du DPP ? Je veux dire, le bureau du DPP a dû être convaincu que l’enquête était solide pour décider de poursuivre les quatre ?

Le DPP devrait effectivement agir comme filter, c’est-à-dire refuser de poursuivre tous les cas d’enquêtes mal ficelées. Il ne faudrait pas avoir peur de dire que le dossier n’est pas bon ! Ce n’est qu’ainsi que la police sera forcée à faire son travail comme il faut. Les magistrats ont aussi leur responsabilité ; il faut qu’ils arrêtent d’accepter les erreurs, il faut qu’ils demandent une enquête quand des accusés disent avoir été battus. Sinon, on pourrit l’État de droit. Tous ceux qui acceptent ces manquements en silence sont complices du pourrissement de l’État de droit.

Je fais une parenthèse ; c’était le même scénario dans l’affaire Harte, non ?

Tout à fait ; rien n’a changé en plus de dix ans. Le bureau du DPP travaille de trop près avec la police. Il y a une familiarité qui se dégage et c’est là que se développe ce qu’on appelle le tunnel vision. Au Canada, ceux qui travaillent sur une enquête préliminaire ne travaillent pas sur le dossier au procès car c’est ainsi qu’ils auront un regard neuf sur l’enquête et les preuves. Ici, c’est la même équipe qui fait  les deux et on a le résultat qu’on a !

Oui, mais il ne s’agit pas que de cela ; vous parliez d’amateurisme plus tôt, cela n’a rien à voir avec le «tunnel vision» ! 

Le problème est que la police a tendance à développer une théorie très vite quand il y a eu un crime et refuse alors d’envisager d’autres options. On l’a vue dans l’affaire Harte. C’était la même chose pour L’Amicale. La police n’a pas changé ; ni dans sa méthode, ni dans sa structure, ni dans la formation, ni dans le traitement des policiers. Il ne faut pas oublier que les policiers sont maltraités à Maurice. On parle de Law and Order tous les jours et c’est la seule institution qui occupe une telle place dans la société qui n’a pas de ministère!

Elle en a un puisque le ministère de l’Intérieur tombe sous le PM !

Oui, mais les choses ont changé depuis l’indépendance; le pays s’est peuplé, les enjeux sont plus grands et il est temps d’avoir un ministre à plein-temps pour s’occuper de la police. Je comprends la frustration des policiers qui travaillent dans des conditions exécrables, à qui on ne donne pas d’outils pour travailler, etc. Donc, je ne pense pas que ce serait constructif de blâmer. Je pense plutôt qu’il faut une commission d’enquête et tirer des leçons de ce qui s’est passé.

Vous pensez de manière réaliste qu’il y a une chance que les quatre s’en sortent ?

Vous savez, quand des institutions persistent dans leurs erreurs, l’on développe un manque de confiance dans ces mêmes institutions. Et cela gangrène alors l’État de droit. Ce serait bon que les institutions réagissent ; toute démocratie qui se respecte devrait le faire, il n’y a rien de mal à reconnaître que l’on a fauté. Ces choses-là arrivent, les erreurs judiciaires existent. 

L’ombre de l’escadron de la mort plane sur l’incendie meurtrier

(Photo Archive) Quand L’Amicale a pris feu en 1999, l’escadron de la mort avait déjà plusieurs mauvais coups à son actif.

 

L’ESCADRON de la mort revient encore hanter les mémoires. Son ombre plane cette fois sur l’incendie meurtrier de L’Amicale de Port-Louis. Le 23 mai 1999, quand la maison de jeu part en fumée, en emportant la vie de sept personnes, dont deux enfants et leur mère ainsi que leur nounou qui était enceinte, ce groupe composé de fondamentalistes religieux a déjà plusieurs mauvais coups à son actif.

Outre le triple assassinat de la rue Gorah-Isaack, le meurtre d’un toxicomane à Plaine-Verte et le meurtre du bookmaker Mio, l’escadron de la mort est l’auteur d’une série de hold-up contre les commerces qui ne seraient pas conformes aux préceptes de l’islam. Dans sa contre-enquête de 228 pages, Rama Valayden déplore que la police n’ait pas jugé utile de tenir compte de plusieurs pistes en menant l’enquête qui a conduit à la condamnation de quatre personnes.

Détails inquiétants

Il y a d’abord des notes inquiétantes de la National Intelligence Unit, le service de renseignement rebaptisé National Security Service, quant à l’imminence d’une attaque à l’issue du match Scouts Club vs Fire Brigade ce soir-là. Des motos avaient été volées et les analystes prévoyaient qu’elles allaient être utilisées à cet effet. 

Puis, il y a le fait que l’enquête a été menée en amateur. Le site aurait été attaqué au cocktail Molotov, selon la police, mais la rue a été nettoyée par un excavateur sans qu’aucun indice étayant cette thèse n’ait été prélevé. Pire, un expert scientifique n’a fait que sentir les débris à l’intérieur de la maison de jeu pour établir si du pétrole lampant ou de l’essence a été utilisé, mais en l’absence d’odeur de  carburant, aucun test n’a été conduit.

Autre détail des plus inquiétants : un des salariés de L’Amicale de Port-Louis, Mohamed Fawzee Abdool Hakim, a été découvert avec des fractures à la tête ainsi qu’aux membres inférieurs et supérieurs sans que la police n’ait pu en déterminer la cause. Il a été retrouvé au deuxième étage du casino sans aucun débris sur lui… 

Cet homme de 43 ans connaissait L’Amicale de Port-Louis comme sa poche et aurait été assassiné de l’avis d’un expert anglais. Ou était inconscient quand l’incendie s’est déclaré. Une victime du feu est toujours retrouvée recroquevillé, mais elle était sur le dos…

Hakim connaissait également le chef de l’escadron de la mort, Bahim Coco. Lui était un criminel endurci, qui ne faisait de cadeau à personne. D’ailleurs, avant l’incendie, des policiers du poste de Trou Fanfaron avaient trouvé insolite la présence d’une femme portant la burqa devant la maison de jeu. Un an après, les enquêteurs auraient dû faire le lien avec un Bahim Coco en cavale qui s’était déguisée en femme grâce à cet accoutrement…

Reste le coffre-fort de L’Amicale de Port-Louis : il a été déplacé et forcé avant l’incendie et la police ne s’est jamais posée de questions sur ce fait. Pour Rama Valayden et ses collaborateurs, il ne fait guère de doute que des «terroristes» savaient que des désordres allaient éclater à l’issue du match Scouts Club vs Fire Brigade et qu’ils allaient utiliser les hooligans comme paravent pour leur basse besogne. 

La grâce dont rêve tout condamné…

  Même s’il a été condamné à perpétuité, un citoyen pourrait ne pas fi nir ses jours en prison. À condition que le président de la République lui accorde sa grâce. Mais encore fautil convaincre la  commission à laquelle le chef de l’État délègue son pouvoir pour l’examen des demandes de pourvoi en grâce. Cette commission est composée d’un président et d’au moins deux membres. Ils sont  nommés par le président de la République lui-même. Le président actuel de cette Commission est l’ancien chef juge sir Victor Glover. La Constitution, au chapitre 75, permet au président de la République de rendre totalement, ou en partie, sa liberté à un prisonnier. En outre, il peut aussi décider que le condamné soit libéré sans aucune forme de contrainte ou peut lui accorder la libération sous certaines conditions. La Constitution permet au chef de l’État de suspendre momentanément, ou de façon défi nitive, la mise à exécution d’une sentence à l’encontre d’une personne pour n’importe quelle offense pour laquelle elle a été trouvée coupable par le tribunal. Il peut également substituer la sentence imposée au condamné par une peine moins sévère.