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Bert Cunningham: «La mafia institutionnalisée est toujours présente à la MRA et à la douane»

20 mai 2017, 14:51

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Bert Cunningham: «La mafia institutionnalisée est toujours présente à la MRA et à la douane»

Neuf ans après, c’est en touriste que Bert Cunningham est revenu à Maurice. Il se dit meurtri par son licenciement et la façon dont il a été traité. Il affirme avoir tourné la page sur Maurice, avec un sentiment du devoir accompli.

Vous avez quitté Maurice dans de mauvaises conditions (NdlR, son contrat a été résilié en 2008). On est surpris que vous ne soyez pas sur la liste rouge du Passport and Immigration Office. Expliquez-nous ce retour.
Non, je ne suis sur aucune liste rouge. Je ne vois pas comment il y aurait des objections sur mon arrivée car il n’y a jamais eu de restriction sur mes voyages ici. C’est la première fois que je suis de retour à Maurice, depuis 2008. Cela m’a pris au moins neuf ans. Je m’étais promis de ne jamais revenir. J’avais des appréhensions. Mais mon épouse était déjà dans l’île et moi j’étais dans la région, travaillant sur un projet. C’est une décision de dernière minute. Je suis ici comme touriste.

Depuis mon arrivée, j’ai reçu un accueil chaleureux. Beaucoup de gens m’ont reconnu à l’aéroport, notamment les officiers de l’Immigration et ceux du département sanitaire. J’ai réalisé que je suis parti mais qu’on ne m’a pas oublié.

Pensez-vous que le nouveau directeur des douanes, Vivekanand Ramburun, soit la personne qu’il faut pour ce poste ?
Il a été l’un de mes responsables de section. J’avais fait une recommandation pour qu’il soit le nouveau directeur des douanes. Je pense qu’il essaie de son mieux de faire du bon travail. Seulement, pour faire du bon boulot, il vous faut un énorme soutien de la Mauritius Revenue Authority (MRA) et du conseil d’administration. Vivekanand Ramburun fait face à beaucoup de défis et je suis sûr qu’il s’en sort bien.

Maintenant que vous êtes loin de la douane mauricienne, que faites-vous ?
J’ai ouvert ma propre firme de consultants. Sur certains projets, je travaille avec des anciens de la MRA. Je bosse comme consultant en Afrique et en Asie centrale.

Vous avez reçu plusieurs menaces durant votre carrière à Maurice. Cela ne vous effraie pas qu’on s’en prenne à vous une nouvelle fois ?
Quand j’ai quitté Maurice en 2008, j’ai reçu plusieurs menaces. De tout temps. Ma maison a été cambriolée deux ou trois fois. Des policiers étaient postés chez moi 24 heures sur 24. Si vous faites le job correctement, vous êtes perçu comme un ennemi et vous allez vous faire des ennemis.

J’étais inquiet de revenir parce qu’une bonne partie de ceux qui chapeautaient mon ancien département sont toujours là. Ce n’est pas la première fois dans l’histoire qu’un innocent est crucifié à cause des péchés et des faiblesses des autres. Je n’ai rien à cacher. Je n’ai rien fait de mal. Ce sont ces gens qui doivent être inquiets.

Les avez-vous rencontrés au cours de votre visite ?
Non, je ne les ai pas rencontrés. C’est aux autorités de s’occuper d’eux et des cas qui traînent. Quelques cas sont devant la cour et d’autres devant la commission anticorruption. Ils ont eu neuf ans pour les traiter. Avant de quitter Maurice, j’ai remis toutes les preuves liées à ces cas au Premier ministre et au leader de l’opposition de l’époque. Bérenger, Jugnauth, tout le monde a été briefé. Je me suis assuré qu’ils ont toutes les preuves en main avant de m’en aller.

J’ai fait ma part de travail. S’ils choisissent de ne pas poursuivre ces cas en justice, ce n’est pas mon problème. J’ai fait ce qui est juste et j’ai payé le prix fort. Il n’y avait pas que moi, mais d’autres personnes également. Beaucoup de gens ont été persécutés, dispersés et menacés. Ce n’est pas juste. Je ne pouvais pas les protéger. Mais la façon dont ils ont été traités est honteuse, tout comme les cas. Et ces gens vivent toujours avec cela aujourd’hui.

Je crois fermement que la vérité finira par éclater. Quelques-uns de ces cas sont très importants, impliquant beaucoup de revenus. Il n’y a aucune raison pour laquelle ils ne peuvent pas être poursuivis. En Angleterre par exemple, des cas similaires ont été poursuivis. Il faut se poser la question : pourquoi ce n’est pas le cas ici ? Lorsque je suis arrivé ici, tout le monde m’a demandé où on en est avec la justice, y compris les enquêteurs. C’est troublant qu’après huit ans, ces cas ne sont pas traités comme il faut.

Vous avez fait beaucoup de révélations avant de quitter Maurice. Quelles autres révélations ferez-vous cette fois-ci ?
Aucune. J’ai tourné la page sur Maurice. Je ne donne plus de conseil gratuit. Les gens payent pour mes conseils. Ici c’est différent, vous êtes payé en tant qu’expert pour mettre en place des institutions et pour faire des réformes. Quand j’étais à la douane, entre 2002 et 2006, avant la création de la MRA, de nombreux changements ont eu lieu. De gros travaux pour améliorer le service de douane ont été effectués. Aujourd’hui, Maurice bénéficie toujours des choses qu’on a mises en place. C’est triste qu’on m’ait forcé à quitter la douane. On travaillait vraiment dur.

Regrettez-vous d’avoir travaillé avec le service des douanes mauricien ?
Non. À l’époque, je regrettais le fait que le gouvernement ne semblait pas apprécier le travail accompli. L’on se dit pourquoi perdre autant d’années de sa vie pour ce pays. Puis, j’ai réalisé que je ne le faisais pas pour les politiciens mais pour les Mauriciens, dont la majorité appréciait le travail qui se faisait.

Vous ne pouvez pas permettre que la corruption s’installe dans des institutions clés comme la douane ou le fisc. C’est cela le danger. Quand j’ai quitté Maurice, j’étais dans un mauvais état. J’ai beaucoup appris. Il y a des prêtres et des pharisiens, je leur ai pardonné leur geste. La vérité a une mauvaise façon de vous rattraper tôt ou tard.

L’une de vos réformes était de combattre la fraude et la corruption. Vous êtes parti sans l’accomplir. Qu’en pensez-vous ?
Si vous regardez la performance de la douane de 2002 à 2008, il y avait une hausse de revenus, même après la mise en œuvre du Duty Free Island, une des choses que j’ai recommandées. À cette époque, il y avait beaucoup de fraudes commerciales. Le plus gros problème auquel j’ai fait face a été de poursuivre ces cas. Notre rapport était positif. Ce n’était pas qu’un service de douane. Les procédures étaient simplifiées. Nous avons réduit le délai pour dédouaner les produits. Tous ces changements ont été bénéfiques au pays.

J’ai été la cheville ouvrière de la MRA. On ne m’a pas soutenu. C’est la plus grande déception à laquelle je dois faire face. En 2006, quand j’ai créé la MRA, je ne voulais pas rester. Ils m’ont persuadé de rester dans l’autorité fiscale. Treize directeurs à la MRA. Quelle instance fiscale compte autant de directeurs ? Aucun pays. Je ne suis pas là pour critiquer. Je suis un missionnaire fiscal. Ce n’est pas le salaire, ni le poste ou le rôle (…)

Vous avez dit qu’il y avait une «mafia institutionnalisée» à la MRA et à la douane. Pensez-vous qu’elle existe toujours ?
Oui. Elle est toujours présente. Ce n’est pas à moi de le dire. Interrogez les gens dans la rue. Je ne travaille pas ici. J’espère qu’avec le nouveau gouvernement, les choses vont changer. Il a un mandat pour combattre la corruption et la fraude. J’espère qu’il le fait.

Vous avez demandé une commission d’enquête mais elle n’a pas été approuvée. Pensez-vous qu’elle aurait été utile pour dénoncer les mauvaises pratiques ?
Oui. Je suis certain qu’une commission d’enquête indépendante aurait révélé beaucoup de mauvaises pratiques. Quand le Directeur des poursuites publiques décide qu’il n’y a pas suffisamment de preuves pour poursuivre, en tant que directeur des douanes ou de la MRA, vous avez 90 jours pour demander une révision indépendante. Dans certains cas, les choses ont été faites délibérément pour qu’il n’y ait pas de commission d’enquête. Ces décisions ne me sont jamais parvenues.

Récemment, 154 kg d’héroïne ont été saisis par les douaniers du port. Pendant que vous étiez contrôleur des douanes, y avait-il autant de grosses saisies ?
Nous n’avions pas autant de saisies de drogue. C’est troublant. Quand il y a une aussi importante saisie de drogue, cela indique que les importateurs de ces drogues pensent qu’ils ne seront pas détectés ni interceptés, sauf si vous êtes sûrs. Je soupçonne que ce n’est pas la première fois. Je dis bravo aux douaniers et aux autres départements impliqués dans cette saisie. Cela démontre l’immensité du problème.

La MRA a pris des mesures pour combattre le trafic de drogue, par exemple l’installation d’un gros scanner, la création de la K9 Unit et le recrutement d’officiers de douane. Ces mesures sont-elles suffisantes ?
Il faut préciser que c’est moi qui ai créé l’équipe antidrogue. La clé pour lutter contre le trafic de drogue est l’intelligence. Je pense que pour le dernier cas, les douaniers ont été prévenus. Pour avoir des informations du public, des marchands et courtiers maritimes, il doit y avoir une confiance. C’est ce qui va permettre de donner des informations lors des saisies de drogue.