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Au Pakistan, une mystérieuse civilisation antique peine à sortir de l’ombre

16 mai 2017, 17:57

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Au Pakistan, une mystérieuse civilisation antique peine à sortir de l’ombre

 

Une ville plurimillénaire dotée d’égouts, de chasses d’eau et de bains publics: des archéologues s’efforcent de faire connaître Mohenjo Daro, l’une des plus anciennes cités au monde, afin de mieux protéger ce site exceptionnel dans le sud du Pakistan.

Anthropologues comme archéologues estiment que la cité pourrait détenir la clé des mystères de la civilisation de l’Indus, apparue environ 3.000 ans avant l’ère chrétienne dans ce qui est aujourd’hui l’Inde et le Pakistan, avant de disparaître inexplicablement.

Mais ils avertissent que si rien n’est fait pour protéger les ruines déjà abîmées par le temps et la négligence humaine, cette ville risque de tomber dans l’oubli sans jamais prendre la place qu’elle mérite dans l’Histoire.

«Tout le monde connaît la civilisation égyptienne, personne ne connaît Mohenjo Daro, il faut changer cela», estime le Dr Michael Jansen, un chercheur allemand travaillant depuis des décennies sur ce site des rives de l’Indus écrasé de soleil, dans la province du Sindh.

M. Jansen mène un mouvement cherchant à promouvoir ce lieu à l’international tout en protégeant ce qu’il en reste, face aux différentes menaces.

Certains craignent l’hostilité des islamistes, dans un pays secoué par des violences extrémistes et où le passé préislamique a parfois été pris pour cible.

Il y a aussi les dégâts du temps et des éléments. «En été, les températures montent jusqu’à 70 degrés Celsius, ce qui engendre un énorme stress thermique», souligne M. Jansen, ajoutant que l’eau saline remontant des sols endommage également le site.

Négligence humaine 

Mais le pire reste la négligence humaine. En 2014, lors d’un évènement pourtant destiné à honorer le patrimoine pakistanais, la police n’a pas hésité à s’installer sur la stupa du principal lieu de culte de Mohenjo Daro, tandis que des centaines de personnes envahissaient le site avec force échafaudages, feux d’artifices et autres installations peu respectueuses de la fragilité des lieux.

Sardar Ali Shah, ministre de la Culture de la province du Sindh, dit regretter cet évènement. «C’est comme sauter sur le lit d’un grabataire âgé de 5.000 ans», a-t-il reconnu, assurant que cela ne serait plus permis.

Mais aujourd’hui encore, le site est peu surveillé, et nombre de curieux y errent sans restriction, le jonchant de détritus.

Différents efforts sont en cours pour sortir la cité antique de l’obscurité.

Pour mieux faire connaître Mohenjo Daro à l’international, M. Janson et son association Amis de Mohenjo Daro ont notamment recruté des Pakistanais de la diaspora afin qu’ils animent des conférences et débats.

Le Dr Kaleem Lashari, consultant principal du gouvernement sur ce dossier, a annoncé de son côté la numérisation des écrits de l’Indus, qui n’ont jamais été déchiffrés, afin de les rendre accessibles à tous.

Mais le principal défi, reconnaît le Dr Lashari, est la mauvaise image du Pakistan, associé à l’extrémisme, la corruption ou l’insécurité. «Les étrangers ont peur de se rendre sur le site en raison des problèmes chroniques de sécurité», dit-il.

Age de bronze 

Mohenjo Daro était le cœur urbain de la civilisation de l’Indus, qui s’est épanouie dans le bassin du fleuve éponyme et a compté jusqu’à 5 millions d’habitants à son apogée à l’Age de bronze.

Sceaux de terre cuite et de métal, pièces et poids standardisés, bijoux de bronze et d’or, jouets: le site a livré nombre d’objets quotidiens révélant une société avancée au commerce florissant.

La structure même de la ville laisse imaginer un peuple assez égalitaire, plus préoccupé de propreté que de hiérarchie, explique Jonathan Mark Kenoyer, professeur d’anthropologie à l’Université du Wisconsin. «En Mésopotamie, les rues menaient de la ville vers le palais (...) alors que dans les villes harappéennes (de la civilisation de l’Indus), les rues étaient organisées de façon à donner accès à toute la ville».

Mohenjo Daro était équipée de conduites d’eau et d’évacuation des égouts sophistiquées - plus performantes que celles de bien des villes du Pakistan moderne, notent ironiquement certains observateurs.

Seule une petite portion du site a été véritablement fouillée, mais le plus imposant édifice de Mohenjo Daro semble ne pas être un palais ni un temple mais un bain public.

La plupart des maisons avaient une salle de bains carrelée et leur propre puits de briques, parfois surélevé jusqu’au deuxième étage pour créer une chasse d’eau rudimentaire.

Déclin inexpliqué

Rien n’explique ce qui a entraîné le déclin soudain de cette civilisation puissante et développée vers 1.900 avant JC.

Aucune nouvelle fouille n’est prévue sur le site, l’un des six du Pakistan classé au Patrimoine mondial de l’Unesco.

Il n’a pourtant pas livré tous ses secrets, d’où un dilemme pour les chercheurs: faut-il excaver ou non ?

«Tant que c’est enterré, c’est protégé», souligne Richard Meadow, professeur à Harvard.

Mais pour Mr Jansen, la «meilleure façon de récolter de l’information, c’est de mener des fouilles».

Pour le moment, les archéologues préfèrent y renoncer pour assurer à Mohenjo Daro un avenir.