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Grand-Gaube: le village comblé par ses centenaires amoureux

15 mai 2017, 23:00

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Grand-Gaube: le village comblé par ses centenaires amoureux

Cent ans de vie et de souvenirs d’un autre temps. C’est ce que Manilall Teeluckchand et Hurry Parsand Sookun, de Grand-Gaube, nous ont conté. Le dur labeur, les joies de la famille, la douloureuse peine de perdre un être cher, et surtout l’amour, dont des «mo kontan twa» à 100 ans... Ils ont tout connu.

Manilall Teeluckchand et Hurry Parsand Sookun ont soufflé leur centième bougie, les 23 février et 12 avril respectivement. Nous sommes allés à leur rencontre et c’est entourés de leurs proches, enfants, petits-enfants et arrière- petits-enfants, qu’ils nous ont accueillis, avec sagesse et affection. 

Kosila Teeluckchand, l’épouse de Manilall Teeluckchand. 

Manilall Teeluckchand a vu le jour le 23 février 1917 à Grand-Gaube. Les souvenirs intacts et se remémorant de toute sa vie, cet homme nous raconte son siècle. «Avan, mo ti vann mersri, linz, masala, tousala lor enn bicyclet», dit-il d’emblée. À l’époque, la vie n’était pas facile. Il y a 100 ans, poursuit notre interlocuteur, les gens travaillaient beaucoup mais pour peu de sous, alors qu’aujourd’hui, ce serait totalement l’inverse. 

Photo de famille de Hurry Parsand Sookun avec  sa seconde épouse ainsi que leurs filles.

Comment vivre aussi longtemps? Il nous confie que son secret réside dans le Très-Haut, malgré les joies et les peines. Et des peines, il en a connues. La plus douloureuse étant la disparition de son épouse à l’âge de 74 ans. Cette dernière n’a jamais été retrouvée. À cette époque, il était le président de la société coopérative des planteurs. Il a beaucoup lutté pour ceux qui travaillaient la terre. C’est en revenant d’une réunion de la coopérative qu’il constatera la disparition de Kosila. Il avait alors 80 ans. Ce jour-là, relate le centenaire, «j’avais  des pressentiments».

Son porte-bonheur

C’est à l’âge de 20 ans que Manilall Teeluckchand avait épousé Kosila, qui en avait, elle, 17. En nous parlant de son épouse, il pousse un grand soupir, ses yeux se voilent de larmes et il nous dit : «Mo madam, limem kinn port mwa boner. Kan monn maryé ek li, tou séki monn fer monn rési. Mo extra sagrin li népli la.»

Durant leur vie de couple, ils auront six enfants. Trois sont morts en bas âge et les trois autres, deux filles et un fils, s’occupent désormais de lui avec tendresse. Lorsqu’elle disparaît en 2007, Kosila n’avait plus toute sa tête, à cause de l’âge. «Li ti bien intélizant. Li ti koz bien. Ti enn madam extra», dit Dada, comme tous l’appellent. L’amour qu’il lui porte est toujours présent, malgré son absence. Et Dada ne perd pas espoir de retrouver sa bien-aimée. 

Souvenir des  60 ans d’une  des filles Sookun.


Être centenaire lui fait plaisir. Manilall nous confie, secrètement : «Mo belfi mo tou. Li bien get mwa. Li dir mwa pa al marsé lor sémin tansion bann-la kokin mwa, mé mo alé mwa.» Il aime se dégourdir les jambes, regarder les passants et profiter du soleil. Avec un large sourire mesquin accompagné de mimiques, il nous lance : «Mo ankor kav marsé, dansé, santé. Mo kapav al fer enn ti lamars non?» Il surprend par son énergie  et son humour.

72 ans ensemble

Le deuxième centenaire, Hurry Prasand Sookun, a, lui, eu plus de chance. À 100 ans, il jouit toujours de la compagnie de son épouse, Beerajah Sookun, qui soufflera ses 90 bougies le 2 septembre. Elle avait 18 ans quand elle a épousé celui qu’elle verra devenir centenaire. Ils auront sept enfants. Trois d’entre eux sont décédés. Ils ont désormais trois filles et leur unique fils qui s’occupent d’eux à merveille. 

Le beau-père de Hurry, grâce à qui il a obtenu des arpents de terre à Grand-Gaube.

Hurry est né le 12 avril 1917, à Grande-Rivière-Sud-Est. Il fera des va-et-vient entre cet endroit, Beau-Champ, Bel-Ombre et Sébastopol avant de s’installer dans le village du Nord. Il pose ses bagages à Grand-Gaube à l’âge de 35 ans et y fait la connaissance de Beerajah. Marié précédemment et sa première épouse étant morte très jeune, il se laissera séduire à nouveau. Il eut un fils de ce premier mariage.

«Li ti pé kokin mwa»

Avant de venir dans le village, avec son ami ils possédaient un camion. Ils transportaient de la bagasse pour les moulins. Mais par avarice, son ami l’arnaque. «Ou kwrar? Nou ti fer serman devan légliz ki personn pa pou kokin personn. Dimounn ti pé dir mwa li pé fer manday mé mo ti pansé zot pé rod met lager. Enn zour kan monn zwenn ek sef moulin-la, Monsieur Pouce, mo demann li : ‘bé misié, komié ou pay nou ein?’. Li dir mwa 4 mil mo gagn sok ek mo riyé, mo réponn li : ‘bé mwa mo gagn zis 2 mil mo asosié pé kokin mwa vrémem’.» 

Hurry, déçu, abandonne son village et leur business. Direction Grand-Gaube. Il cumule divers petits boulots dans le Nord jusqu’à ce que celui qui deviendra son beau-père, qui le trouvait sérieux, lui propose de gérer ses champs de légumes. Il se souvient de tout… Surprenant à 100 ans! 

Ses beaux-frères, Sham et Samduth Roy, sont ceux qui s’occupent des rénovations de temps en temps, car, nous dit-il, «lasanté népli parey. Lipié inpé feb ek fatig vit». Il les aime comme ses propres frères. «Pa bliyé ou met zot non», nous répète-t-il.

«Mo kontan li»

Manger sainement, ne pas fumer et beaucoup prier. Voilà le secret de sa longévité selon ses dires. D’ajouter que c’est Dieu qui a voulu qu’il vive aussi longtemps et qu’il soit bien entouré. «Monn dimann Bondié les mo viv ankor sink an», poursuit-il avant d’éclater de rire… 

Hurry et son épouse Beerajah, 89 ans.

Et que dire de la chance que son épouse soit toujours là? Il répond : «Nou pas nou ti létan ensam parski nou pa sorti mem aster. Li ankor kwi mo ti manzé enn-dé kou. Mo kontan li.» Ce qui fera sourire la douce Beerajah, assise juste à côté.