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Grève de la faim, soif de justice

15 mai 2017, 00:30

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Grève de la faim, soif de justice

Ils ont décidé de se priver de nourriture pour réclamer leur dû. Eux, ce sont les grévistes de la faim. Au menu : drames humains et contestations énergiques. Ainsi, depuis lundi, des clients du Super Cash Back Gold (SCBG) et de Bramer Asset Management (BAM) ne s’alimentent plus. Après des négociations, des manifestations et toutes sortes d’explications, ils n’avaient, à hier, toujours pas obtenu satisfaction. Ni leur argent. Zoom.

Jacques Collet

Jacques Collet a 67 ans. Cet habitant du Sud a travaillé toute sa vie durant sur une propriété sucrière. À 60 ans, il se prépare à une retraite bien méritée. Les économies d’une vie et son lump sum à disposition, il décide de tout investir dans le SCBG, histoire de pouvoir vivre confortablement sur les intérêts. Mais un jour, tout s’écroule.

Cela fait deux ans qu’il se bat pour avoir son argent. Depuis, il compte sur le soutien de sa famille pour survivre, alors qu’il a de quoi vivre convenablement. «Le 13 janvier dernier, j’ai signé un papier qui stipulait que j’allais avoir un premier paiement.» Mais la lueur d’espoir s’est vite éteinte. «Tout le monde économise pour ses vieux jours. J’espère simplement qu’ils n’auront pas à subir ce que moi j’endure à mon âge…»

Ronan Danze

Ronan Danze a 44 ans. Ce ressortissant français a marre de se faire balader par les autorités. «J’ai connu Maurice en 2009. Je voulais m’installer ici.» Il vend tout son patrimoine en France, y ajoute l’assurance-vie qu’il perçoit au décès de sa mère et décide de venir chez nous. Son projet : ouvrir un commerce. En 2015, il place la totalité de la somme qu’il voulait investir dans BAM. Pas de chance, quelques mois après, ses rêves s’effondrent.

Raffick Fokeerbux

Il compte parmi les plus gros clients du SCBG. Raffick Fokeerbux avait plusieurs dizaines de millions de roupies dans ce plan d’épargne. Âgé de 65 ans, ce chef d’entreprise gère 120 employés. Depuis que son argent est bloqué, la vie de ces derniers a également basculé. «J’ai reçu un premier paiement de Rs 500000. Puis on m’a informé que mon dossier est à la Financial Intelligence Unit. Comme ils ne m’ont jamais convoqué, j’en ai déduit qu’il n’y avait aucun problème.» Malgré ses sollicitations, il s’est heurté à chaque fois à un mur. C’est ce qui l’a poussé à rejoindre les grévistes. «Je suis diabétique est mon taux de sucre ne cesse de chuter. Mais j’ai refusé de me faire hospitaliser. Le combat est ici.»

 

Lui est parti tenter sa chance en Angleterre. Après un accident de moto,

Atmaram Gurriah

a des problèmes au dos, il ne peut plus travailler et décide de rentrer au pays, avec sa femme. Il vend sa maison et tout ce qu’il possède là-bas pour s’installer définitivement ici. Il souscrit au plan SCBG. En avril 2015, c’est la douche froide. «Je vivais sur les intérêts. Du jour au lendemain, je n’avais plus de revenus.» La construction de la maison n’avance plus. Avec tout le stress occasionné par cette affaire, son fils de 17 ans est tombé malade. Atteint d’une paralysie faciale, il ne s’en est jamais vraiment remis. Pas de moyens, pas de traitements et les chances de rémission s’amenuisent un peu plus chaque jour. «J’étais indépendant. Aujourd’hui, je dois compter sur ma famille pour tout. La nourriture, les factures… tout.»

Sunita Forrest est la seule femme qui a tenu bon. Il y en avait bien deux autres au début, mais elles ont été transportées à l’hôpital au bout du quatrième jour. Du haut de ses 55 ans, elle n’a pas l’intention de baisser les bras. Elle fait partie de ceux qui ont obtenu une première tranche de Rs 500 000. Puis, plus rien, hormis le silence radio.

L’argent qu’elle a investi provient du «lump sum» de son mari, ancien commandant de bord. «Cela devait servir à financer les études de son fils. Mais pour le moment, tous les projets sont compromis. J’arrive à peine à payer sa scolarité. Ne parlons même pas d’université.»

Que pense-t-elle du défilé des politiciens, qui sont venus apporter leur soutien, disent-ils aux grévistes ? «Ils sont certes venus, mais tant que je n’aurai pas mon chèque, je ne bouge pas d’ici.» À coup de détermination et à la force de sa voix – tant qu’elle en aura –, n’importe qui comprendra que Sunita «means business».

Le Jardin qui tient compagnie aux contestataires

<p>C&rsquo;est le lieu de prédilection des grévistes. Pourquoi choisissent-ils le Jardin de la Compagnie ? Pourquoi le kiosque ? Cette <em>&laquo;tradition&raquo;</em> remonterait en fait à 1979. Année lors de laquelle Alain Laridon, ancien député et ambassadeur, faisait partie des grévistes, aux côtés de Paul Bérenger, alors négociateur pour la General Workers Federation. Ensemble, ils ont fait pas moins de cinq grèves. La plus importante a eu lieu le 23 août, 1979 donc. Alors que la grève qui paralyse le pays est à son apogée, le Jardin de la Compagnie est décrété zone militarisée. Les sympathisants sont évacués. <em>&laquo;La SMF gardait les entrées du jardin. Ils étaient postés partout&raquo;</em>, se souvient Alain Laridon. Quelques jours après, après plusieurs heures de négociations, un accord est finalement signé entre le gouvernement d&rsquo;alors et les grévistes. Depuis, le Jardin de la Compagnie revêt tout un symbolisme.</p>

<p>Hormis cela, il y a aussi les raisons pratiques, pour ce qui est des revendications. <em>&laquo;Le Parlement se trouve juste à côté. Le Cabinet des ministres siège à quelques pas. De ce fait, il est plus facile pour de faire entendre&raquo;,</em> souligne Alain Laridon. D&rsquo;ailleurs, lors de la grève de 1979, Kader Bhayat, alors Secretary to the Cabinet, venait les voir à pied, pour négocier. De plus, l&rsquo;emplacement central dans la capitale fait que les sympathisants peuvent accéder facilement au jardin. <em>&laquo;Après les heures de travail, ceux qui le souhaitent peuvent faire un crochet par là-bas et exprimer leur solidarité aux grévistes. Mine de rien, ce genre de soutien est réconfortant lorsque vous êtes engagés dans un combat.&raquo;</em></p>