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Opération Top Secrète: un espion canadien piège un kidnappeur somalien à Flic-en-Flac

8 mai 2017, 22:45

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Opération Top Secrète: un espion canadien piège un kidnappeur somalien à Flic-en-Flac

Une mission digne d’un polar s’est déroulée au «Hilton». Un preneur d’otages d’une journaliste canadienne a voulu se faire passer pour un écrivain et réaliser un livre sur cette histoire. Un policier infiltré s’est fait passer pour un agent littéraire afin de gagner sa confiance et le capturer. Sa mission, exécutée sur les plages mauriciennes, a réussi. Le kidnappeur a finalement été arrêté au Canada.

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«Slype Project». Cible: un milicien islamiste somalien, cerveau présumé de la sequestration barbare d’une journaliste canadienne. Type de mission: agent undercover. Destination: île Maurice… Cette opération digne d’un film de Scorsese s’est jouée entre Mogadiscio, Flic-en-Flac et Ottawa. Elle remonte à quatre ans mais les premiers détails viennent d’être rendus publics par la police fédérale canadienne. Recoupée avec des sources locales, cette histoire raconte cinq ans d’une traque impressionnante passée par Maurice dans le plus grand secret. Le récit, aussi, d’une collaboration réussie entre les polices mauricienne et canadienne.

Mai 2013, un dénommé Ali Omar Ader atterrit à Plaisance. Sa fiche d’immigration s’en souvient: Somalien, 35 ans, séjour-éclair de 48 heures. La National Security Service (NSS) a été mise au parfum: Ader est là pour affaires, à l’invitation d’un agent littéraire. Car l’homme a des projets d’écriture et des ambitions d’argent. Harassé de trimer pour faire vivre péniblement sa femme et ses cinq enfants, il s’est mis en tête de devenir «millionnaire» en écrivant des best-sellers.

Il veut révéler à la face du monde le «lent génocide» qui ravage son pays en guerre. Surtout, il prépare un livre-choc, peut-être même un documentaire, sur le séjour en enfer d’Amanda Lindhout et Nigel Brennan.

Rapt, Torture et Viol

Cinq ans plus tôt, la journaliste canadienne et son photographe australien ont vécu l’une des plus longues détentions de l’histoire des prises d’otages en Somalie. Kidnappés par des miliciens islamistes, ils ne seront relâchés qu’après quinze mois de calvaire, contre une rançon. À l’époque, le monde entier s’était ému des images de la jeune femme rentrée chez elle décharnée, les dents cassées, détruite par la faim, les coups et les viols. Le lien avec Ader? Il prétend avoir récupéré des documents susceptibles de faire saliver tout bon éditeur. En particulier, les lettres que Lindhout a rédigées durant sa captivité. 

Opportuniste, il a cherché à les monnayer en contactant, sous un faux nom, de potentiels acheteurs canadiens. Jusqu’au jour où un agent littéraire flaire le bon coup : les deux projets du Somalien l’intéressent. Un jeu du chat et de la souris commence. Leurs échanges par e-mail, dans lesquels chacun tente de jauger la crédibilité de l’autre, vont durer de longs mois. Petit à petit, la confiance s’installe. Ils parlent contrat, prime, bonus. L’affaire est en bonne voie et une première rencontre s’organise. Elle aura donc lieu à Maurice. Choix étonnant? Pas tant que ça. L’île est sur la route de l’agent businessman, qui doit se rendre en Inde. Et puis, un séjour tous frais payés dans un tel endroit ne se refuse pas.

Aveux à Wolmar

Ader n’aura rien à débourser: billets d’avion, hôtel chic, dépenses personnelles; c’est son nouveau «best friend» qui régale. Du moins, c’est ce que croit le Somalien. En vérité, c’est l’État canadien qui finance l’opération. Car l’agent littéraire n’en est pas un. Il a opté pour un métier plus dangereux qui a pour règle le double jeu: c’est un agent d’infiltration de la Royal Canadian Mounted Police (RCMP). S’il est là, c’est qu’Ader aussi n’a pas tout dit. Sur son passé de djihadiste notamment, mais pas seulement. Ce vendredi 31 mai, au petit déjeuner, il passe à table. 

La suite, c’est le journaliste Andrew Duffy qui la raconte dans les colonnes d’Ottawa Sun: «A.K. [NdlR, l’alias du faux agent littéraire] and Ader meet at the luxurious Hilton Hotel. At a breakfast meeting, Ader tells A.K. that he was approached by one of the gang members who had kidnapped Lindhout several hours after her abduction. Ader says he was asked to work as a translator and negotiator for the group, but he became “the group’s brains”.» D’où sortent ces infos ? Contacté par e-mail, Duffy explique: «It was all described in an Ottawa court room by an undercover RCMP officer, whose identity cannot be revealed by court order.»

Ali Omar Ader, ici à la une d’un quotidien d’Ottawa, a été l’objet d’une traque de cinq ans, passée par Maurice. (Photo: OTTAWA SUN)

Sollicitée également, la direction du Hilton ne confirme pas la présence de ce client peu banal, mais ne l’infirme pas non plus. Reste une question: pourquoi ces aveux? «L’infiltration est un jeu de séduction», glisse une source des Casernes centrales rompue à ces techniques. Cette confiance, A.K. l’a construite au fil des mois, des années même. Au point qu’Ader, projeté dans un écrin de luxe, n’a plus qu’une idée en tête : obtenir le contrat qui changera sa vie… et que A.K. ne lui présente évidemment pas. Au lieu de ça, les deux hommes signent un pré-accord aiguisant un peu plus l’appétit de la cible.

Tout est alors en place pour le dénouement. Il vise, depuis le début, à ce que le preneur d’otages se jette dans la gueule du loup. Ce qu’Ader ne tardera pas à faire. Au lendemain de son arrivée au Canada, il est arrêté dans la chambre d’hôtel où il vient de signer son contrat. Son procès s’ouvrira en octobre.