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Eddy Jolicoeur: «Les syndicats, comme les entreprises ont besoin d’une remise en question»

26 avril 2017, 13:00

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Eddy Jolicoeur: «Les syndicats, comme les entreprises ont besoin d’une remise en question»

Eddy Jolicoeur explique la mobilité du personnel opérant à certains niveaux des entreprises, comme une volonté de vivre des expériences professionnelles dans la diversité. Et plaide en faveur de l’ouverture de l’économie aux compétences étrangères, à condition toutefois qu’elle se fasse au cas par cas et dépendant de l’expertise nécessaire pour certains secteurs économiques.

À quelques jours du 1er - Mai, quel regard portez-vous sur le monde du travail ? Estimez-vous que les travailleurs sont aujourd’hui mieux lotis qu’hier, que leurs droits sont plus respectés par les entreprises ?
Mon regard sur le monde du travail prend nécessairement trois perspectives : économique, sociologique et politique. Sur le plan économique, indéniablement il y a eu une amélioration des conditions de travail. Le pouvoir d’achat des Mauriciens s’est amélioré d’une manière générale. Je conçois qu’il y a des exceptions à ce que j’avance, mais généralement c’est positif.

Par contre, le taux de chômage demeure une inquiétude. Surtout parmi les jeunes diplômés. Il y a urgence à ce niveau. Nous sommes assis sur une situation qui risque de se compliquer dans un avenir proche. Nous sommes trop réactifs et passons à côté des vrais problèmes, et ainsi des vraies solutions. Ce qui m’amène à la perspective politique. La prise de décision dans l’intérêt du bien commun se fait attendre. On parle beaucoup de «mismatch» mais nous continuons à accommoder au lieu d’attaquer les maux à la source.

La lutte syndicale a-t-elle aussi aidé à améliorer le sort des travailleurs ?
Certainement. La lutte syndicale a historiquement entraîné une amélioration du sort des travailleurs. Au-delà de la lutte, il y a eu dialogue et des échanges sur des plateformes officielles et officieuses. Les entreprises se sont également beaucoup investies dans cette démarche et souvent, proactivement, ont apporté des changements pour faire évoluer les choses.

Le faible taux de syndicalisation à Maurice, comme c’est le cas dans le monde, demeure une source d’inquiétude pour la société civile. Aujourd’hui, des questions se posent sur les raisons ayant provoqué cette situation. Seraitce, selon vous, une crise de crédibilité à laquelle est confronté le mouvement syndical chez nous ?
Les syndicats, tout comme les entreprises, ont besoin d’une remise en question. Le temps des blousons noirs et des jeans délavés est révolu. La lutte des classes, avec pour unique but une augmentation salariale, est également dépassée. Les enjeux pour les employés sont l’éducation, la formation continue et le développement au niveau de leur engagement professionnel. J’ajouterai aussi la sécurité afin de réussir le nécessaire équilibre entre travail et temps personnel.

Aujourd’hui, nombreuses sont les entreprises dotées de comités d’entreprise où sont discutées les propositions pour améliorer le cadre du travail des employés. Cette démarche n’est-elle pas venue réduire la marge de manoeuvre des syndicats ?
Toute initiative de ce genre ne peut que compléter la démarche syndicale. Le comité d’entreprise est, après tout, un espace de paroles et d’échange, et tout autre forum visant à améliorer la communication et le dialogue positif au sein de l’entreprise s’inscrit dans une dynamique d’évolution et de progrès.

Venons-en à la MCCI, qui a récemment tiré la sonnette d’alarme relative à une baisse de la population active d’ici 2030 (moins de 150 000) pour soutenir la croissance économique du pays. Cela, en raison de la bombe démographique qui nous guette. Une des solutions serait l’ouverture de Maurice à des professionnels pour suppléer ce manque. Êtes-vous favorable à cette stratégie d’ouverture ?
Cette stratégie d’ouverture est déjà une réalité. Les ressources humaines sont des ressources très mobiles de nos jours. Il faut à la fois donner l’opportunité aux Mauriciens de pouvoir répondre aux besoins du marché du travail et pallier le manque d’expertise nécessaire dans le court terme.

Il faut comprendre que l’ouverture de Maurice à la main-d’oeuvre se passe à deux niveaux. Il y a d’abord la main-d’oeuvre opérationnelle, soit les travailleurs manuels nécessaires pour pallier une «pénurie» dans certains secteurs économiques. Je pense particulièrement à la manufacture et à la construction. Le recours à la main-d’oeuvre étrangère est nécessaire pour poursuivre la croissance dans ces secteurs et assurer par là-même une certaine productivité, ce qui libérera les employés locaux qui pourront bénéficier de temps libres pour se consacrer à leurs familles et à eux-mêmes.

L’autre volet porte sur le recours à la compétence étrangère pour développer certaines filières liées au secteur des services financiers. C’est un exercice qui peut se faire au cas par cas, et ce, dépendant de l’expertise requise dans des créneaux spécifiques et pointus. Ces étrangers apporteront leur savoir-faire dans certaines disciplines professionnelles et s’engageront aussi à former parallèlement les cadres locaux qui vont éventuellement prendre la relève le moment venu.

La rotation du personnel à un certain niveau de la hiérarchie pose aujourd’hui problème aux entreprises. Celles-ci risquent d’être déstabilisées si elles ne parviennent pas à retenir leurs cadres face aux packages mirobolants proposés à ces derniers. Comment analysez-vous cette situation en tant que praticien des ressources humaines et comment peut-on contourner l’impact de cette problématique ?
Il est vrai que dans certains secteurs ce phénomène est déstabilisant. Outre l’enclenchement d’un programme de gestion des talents existants et la mise en oeuvre d’un plan de succession, il faut impérativement prendre en considération le comportement de la génération dite ‘Y’, qui est largement dominée par le besoin, ou même le désir de vivre des expériences dans la diversité. Cette génération exprime clairement sa différence par rapport à une carrière, l’ancienneté et la longévité au sein d’une même entreprise.

L’Employment Rights Act est toujours contesté par les mouvements syndicaux vu que cette loi est considérée comme étant rétrograde et qu’elle donne pleins pouvoirs au patronat pour licencier. Cette loi a-t-elle toujours sa raisond’être en 2017 ?
L’ERA n’accorde pas pleins pouvoirs à l’employeur et au patronat pour licencier. Il y a un processus à respecter et les appareils administratifs et judiciaires sont là pour prévenir des abus. Je reste convaincu que c’est la conjoncture, plutôt que le texte de loi, qui génère les pertes d’emplois.

Des discussions ont lieu actuellement entre les syndicats et le gouvernement sur l’introduction d’un salaire minimum pour les employés. Estimezvous que ce soit une formule qui permettra aux travailleurs et à l’économie d’en sortir gagnants ?
Il faut d’abord souligner que le salaire minimum existe déjà d’une manière sectorielle à Maurice. Les Remuneration Orders le prescrivent déjà pour les secteurs couverts par ces schedules. L’introduction d’un salaire minimum national viendra, sans doute, intégrer les employés dont les secteurs ne sont pas couverts par les Remuneration Orders. Il est un peu tôt pour commenter cet aspect qui, je le comprends, est en chantier au nouvellement constitué National Wage Consultative Council. Encore une fois, il nous faudra faire attention à ne pas initier une équation qui fasse abstraction de la productivité.

 

Contexte

<h3>Autour de la Fête du travail</h3>

<p>À chaque 1er-Mai, une réflexion s&rsquo;engage autour de la problématique du travail. Une occasion qui sert de prétexte aux syndicalistes, aux professionnels des ressources humaines et aux travailleurs pour examiner ensemble l&rsquo;évolution du monde du travail marqué aujourd&rsquo;hui par une nouvelle configuration : l&rsquo;avènement du numérique et des supports technologiques.</p>

<p>Si les conditions dans lesquelles opèrent les travailleurs se sont améliorées au fil du temps, il n&rsquo;empêche qu&rsquo;il y a encore des progrès à accomplir, tant au niveau des salaires que de certaines lois. À l&rsquo;instar de l&rsquo;<em>Employment Rights Act</em> qui, selon les syndicalistes, réduit les pouvoirs des travailleurs dans une entreprise.</p>

<p>La Fête du travail, cette année, coïncide avec les discussions engagées actuellement entre les différents partenaires sociaux autour de l&rsquo;introduction d&rsquo;un salaire minimum. Plusieurs chiffres sont avancés, allant de Rs 8 000 à Rs 18 000, comme devant être celui du salaire minimum. Les négociations ne font que commencer avec le commissaire Bijaye Koomar Appana, nommé pour présider le <em>National Wage Consultative Council.</em></p>

<p>D&rsquo;autres défis se dressent aussi sur le chemin des travailleurs, dont la discrimination dont ils sont encore victimes quant aux critères de recrutement dans certaines entreprises.</p>