Publicité

Milieu carcéral: dans l’enfer des gardiens

15 avril 2017, 22:00

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Milieu carcéral: dans l’enfer des gardiens

«Ce n’est pas la première fois que je reçois des menaces de mort. Cela s’est produit à plusieurs reprises. Et ce ne sera certainement pas la dernière. Ils ne m’ont pas eu, mais ils s’en sont pris à un autre collègue», déclare un gardien de prison, dépité. Il explique que leur quotidien est truffé d’intimidations et de menaces émanant des prisonniers.

Hanson Mungra, secrétaire de la Prison Officers’ Association (POA), abonde dans le même sens. Il précise d’ailleurs que ce type d’agression transcende souvent le cadre du verbal. Ainsi, des attaques physiques sont perpétrées à l’aide d’armes «faites maison».

En effet, d’après ses dires, les détenus fabriquent des objets tranchants avec des couverts, des brosses à dents, l’anse des seaux, des contenants, etc. «Par exemple, ils vont aiguiser le manche de leur brosse à dents pour le rendre pointu. Ils appellent cela le “pik démon”», confie-t-il. Hanson Mungra mentionne aussi que les lames de rasoir sont improvisées en armes tranchantes. Affirmant que les officiers risquent leur vie tous les jours en prison, ce responsable syndical perçoit l’univers carcéral comme un volcan sommeillant qui finit par entrer en éruption avec la violence des prisonniers.

Selon nos interlocuteurs, les agressions verbales et physiques contre les gardiens s’étendent bien au-delà des murs pénitentiaires. Ils s’appuient notamment sur l’existence d’un réseau externe qui serait les yeux et les oreilles des détenus. Ainsi, les détenus peuvent tout savoir des itinéraires des gardiens. Même s’ils sont emprisonnés, ils peuvent donc commanditer des actions.

Intimidations

«Il y a des gens qui travaillent pour eux à l’extérieur des prisons et qui suivent les déplacements des officiers. Ils connaissent même votre adresse et les membres de votre famille», ajoute un gardien. De ce fait, ces intimidations ciblent aussi bien les gardiens que leurs proches. À titre d’exemple, le secrétaire de la POA mentionne les cas d’un officier ayant subi une agression à l’acide et d’un autre qui a eu les poignets sectionnés au sabre. À cela s’ajoute un autre collègue qui a été victime d’une fusillade.

Ces attaques sont lourdes de conséquences. La peur tenaille ainsi les officiers et leurs familles respectives. Dans certains cas, la violence est si intense qu’elle conduit à un désistement. «On est traumatisé. Notre famille aussi. On est sur le qui-vive. Nous essayons de ne pas jeter les armes car on ne veut pas qu’il y ait d’anarchie. Mais parfois, face à ces conséquences, certains gardiens ne peuvent plus travailler. Un des officiers, qui avait été victime d’une agression, a dû faire sa demande de retraite anticipée», raconte un gardien.

Quelle est l’origine de ces agressions verbales et physiques contre les officiers en milieu carcéral ? «Dans le cas de Peroomal Veeren, à chaque fois qu’il y a des fouilles et des saisies, il contacte ses avocats et dit qu’il a de l’argent. Les menaces durent depuis longtemps. Les officiers sont soumis à des conditions difficiles et à la pression de ces trafiquants», poursuit notre interlocuteur.

Manque de personnel

Selon un haut gradé de la prison, ceci résulte de la frustration liée aux téléphones saisis par les officiers, ce qui peut alors inciter à la violence.

À cela, s’ajoute le problème de manque de personnel. Comme évoqué par Hanson Mungra, 1 087 gardiens sont affectés au sein des neuf prisons du pays, pour une population carcérale de 2 000 personnes. Ceci équivaut à un ratio d’un gardien pour deux détenus.

D’après l’ensemble de nos interlocuteurs, ces effectifs sont postés à la formation, la réhabilitation ainsi qu’à d’autres départements de la prison, en sus de la surveillance. Un tel ratio n’est donc pas suffisant, soutiennent-ils.

Une demande pour le recrutement a d’ailleurs été effectuée par le syndicat. Du côté de l’autorité pénitentiaire, il a été déclaré à l’express qu’une soixantaine de nouvelles recrues, dont une vingtaine de femmes, achèvent présentement leur formation. «C’est la première fois que nous avons pu recruter autant de femmes. Les nouvelles recrues devraient commencer leur service d’ici la fin du mois», soutient le haut gradé de la prison.

Pour sa part, Vinod Appadoo, commissaire des prisons, affirme qu’il prend cette situation très au sérieux. Selon lui, il y a une véritable nécessité de protéger les officiers face à ces menaces et agressions des prisonniers. «Il y a eu plusieurs cas d’intimidation. Nous demandons souvent aux membres du personnel de ne pas avoir de conflit avec les détenus. Et au cas échéant, de ne pas prêter le flanc, de leur parler adéquatement, sans excès de zèle», déclare-t-il.

 


En chiffres

<p>2 162 téléphones cellulaires ont été saisis, de 2012 à 2016, dans les neuf prisons du pays, incluant celle de Melrose qui opère depuis 2014. Ceci équivaut à : 484 en 2012, 607 en 2013 ,353 en 2014</p>

<p>294 en 2015, 424 en 2016 Selon la POA, huit à neuf menaces aggravées sont proférées à l&rsquo;encontre des gardiens de prison annuellement et cinq à six agressions sont perpétrées contre ces officiers hors de la prison.</p>

<h2>Plus d&rsquo;informations sur les brouilleurs</h2>

<p>&laquo;<em>Nous sommes en train d&rsquo;investir dans un brouilleur sophistiqué, principalement pour les prisons de Beau-Bassin et de Melrose</em>&raquo;, déclare Vinod Appadoo. Cette mesure fait suite aux difficultés d&rsquo;opération du système de brouillage des signaux téléphoniques. Celui-ci, installé vers 2014 dans les centres de détention, brouillait aussi le réseau cellulaire utilisé par les habitants des deux localités, indique le haut gradé de la prison. &laquo;<em>Cela affectait le voisinage et les gens ont protesté car ils ne pouvaient pas communiquer. À ce jour, le brouilleur fonctionne, mais de manière limitée. Il faut un système pour l&rsquo;isoler à la prison et limiter la communication des détenus.&raquo; </em>D&rsquo;où le fait que l&rsquo;administration travaille sur la mise sur pied d&rsquo;un brouilleur plus efficace. Hanson Mungra souligne l&rsquo;importance d&rsquo;équiper le personnel d&rsquo;outils appropriés, dont ces brouilleurs. Il insiste sur une bonne maintenance des équipements de communication et d&rsquo;outils de travail. Le commissaire des prisons se penche, lui, sur l&rsquo;extension de la durée de communication des détenus avec leurs proches. Rappelons que celle-ci se fait dans les cabines sous supervision.</p>

<h2>Cellulaires en prison : comment ça ?</h2>

<p>D&rsquo;après l&rsquo;administration pénitentiaire, bien que les téléphones portables soient interdits en prison, des centaines d&rsquo;appareils sont saisis annuellement. Ces mainmises sont issues d&rsquo;une opération menée par plusieurs unités de la prison, dont l&rsquo;équipe 24/7 et l&rsquo;Intelligence Unit. Des informations sont ainsi collectées et des fouilles menées sur une base régulière. Selon un haut gradé de la police, des vérifications sont effectuées auprès des visiteurs, ainsi que lors des sorties et retours des détenus en cour de justice. Des appareils de détection de métaux et des <em>&laquo;handheld mobile detectors</em>&raquo; sont employés à ces fins. Des chiens renifleurs sont également mis à contribution. En dépit de toutes ces mesures, comment ces objets de communication atterrissent-ils en prison ? Selon l&rsquo;officier, ils font le mur! Il nous affirme que ce sont, dans la plupart des cas, des proches qui envoient ces objets (volants) par-dessus les murs. <em>&laquo;À Melrose, il y a des champs de canne autour. Des gens peuvent y venir et les lancer. Idem pour Petite-Rivière qui se situe à proximité de la mer. Des personnes font le tour pour les envoyer. Nous en avons déjà saisi cinq à six par cette voie</em>&raquo;, explique-t-il.</p>