Publicité

Peine capitale: dans le couloir de la mort

27 mars 2017, 21:45

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Peine capitale: dans le couloir de la mort

Faut-il ou non réintroduire la peine de mort ? Pour le Premier ministre, Pravind Jugnauth, et une bonne partie des parlementaires, la réponse est oui. Surtout à l’intention des «marchands de la mort», c’est-à-dire les trafiquants de drogue. Alors que le débat fait rage, pénétrons à l’intérieur du couloir de la mort.

Je suis à la prison centrale de Beau-Bassin. La chambre où se trouve l’échafaud est située sous l’une des tours de surveillance. Pour y avoir accès, je passe une première porte qui me mène vers 18 marches situées entre deux murs. L’un est en pierre taillée et l’autre en béton.

Une fois la trappe ouverte, le prisonnier, la corde au cou, n’a plus pied et meurt.

Avant de descendre les escaliers, je suis parcouru d’un frisson glacial. C’est à cet endroit précis que plusieurs condamnés à mort ont versé des larmes. Certains refusaient même de descendre, implorant désespérément le pardon. D’autres étaient accompagnés par les prières de l’aumônier : «Entre tes mains, je laisse ma vie.» Lieu effroyable. Lugubre. À croire que j’ai mis les pieds dans un tombeau ouvert…

Silence total. Si ce n’est pour les battements de mon cœur. De temps à autre, je suis obligé d’appuyer ma main contre le mur. Mimant inconsciemment les gestes maintes fois répétés, jadis, par les condamnés se dirigeant vers la potence… Il n’y a pas de main courante.

Au cours de la descente, je sens une petite brise fine contre ma peau, filant à travers mes cheveux. J’ai la chair de poule. J’ai l’impression d’être parmi les morts. Je marche dans les pas de ceux qui sont passés par là pour être exécutés...

J’ai peur. Au fur et à mesure que je m’approche de la porte derrière laquelle se trouve l’échafaud, les battements de mon cœur s’accélèrent. J’ai du mal à respirer. J’ai la nausée. Impossible de ne pas me glisser dans la peau d’un condamné à mort. Il n’y aura pas de sursis…

Lorsque s’ouvre la porte, c’est le choc. Je suis assailli par l’odeur de la mort. Mes pupilles se dilatent ; mes poils se hérissent. J’ai des sueurs froides. On se croirait dans le laboratoire du Dr Frankenstein.

La pièce est petite ; d’une longueur d’environ 90 pouces et d’une largeur de 60 pouces. Mais ce qui saute aux yeux, ce sont les «machines» de mort. Des chaînes sont suspendues en haut de la potence. Elles servent à ajuster la corde et le nœud autour du cou du condamné. Il y a du cuir autour du nœud, afin de ne pas le blesser indûment.

En général, deux bourreaux prennent place dans la chambre de la mort. L’un grimpe sur une petite échelle pour passer la cagoule sur le visage du condamné et la corde autour de son cou. L’autre utilise un levier pour activer le mécanisme de la trappe où se tient le condamné. Cette trappe est d’une dimension d’environ 30 pouces de large et 48 pouces de longueur.

Le levier actionné pour ouvrir la trappe.

Aussitôt que la trappe s’ouvre, le condamné n’a plus pied. Il est suspendu dans le vide. L’extrémité supérieure de sa moelle épinière est arrachée et il meurt rapidement. Seule la partie supérieure de son corps est visible, la moitié inférieure se balance dans l’air, au sous-sol…

Suspendues en haut de la potence, les chaînes et la corde «de la mort».

Suspendue pas abolie

La peine de mort n’a pas été abolie. Elle a été suspendue. Flash-back dans les années 90, au moment de la coalition entre le MSM et le PMSD. Feu sir Gaëtan Duval demande que la peine de mort soit abolie, mais sir Anerood Jugnauth est réticent. Ils finissent par trouver un consensus : la peine de mort sera gelée. Décision votée à l’Assemblée nationale le 3 août 1995.

À l’époque, lorsqu’il résume les débats, sir Anerood Jugnauth explique que les articles de la Constitution se rapportant à la peine de mort n’ont pas été amendés. Précisant que «la porte est toujours ouverte pour tout gouvernement à l’avenir si jamais le besoin de restaurer la peine capitale se fait sentir». Ainsi, la peine de mort peut être réintroduite à n’importe quel moment. Il ne suffit que de la signature de la présidente de la République.

Cell 2455 Death Row

«Le couloir de la mort» sont des mots tirés du livre Cell 2455 Death Row, dont l’auteur est Caryl Whittier Chessman, un condamné à mort. Il avait passé 11 ans et 10 mois en cellule avant d’être tué dans une chambre à gaz, le 2 mai 1960. Ce couloir est en fait le temps passé en prison, entre le moment de la condamnation par une cour de justice et le jour de l’exécution.

Ils y ont échappé

Une douzaine d’exécutions ont eu lieu durant le XXe siècle à Maurice. Les trois derniers pendus sont Claude Gowin (en 1961), Louis Léopold Myrtille (en 1985) et Eshan Nayeck, dit Alexandre (en 1987).

Lorsque la peine de mort est gelée, en 1995, trois condamnés attendaient d’être exécutés. En l’occurrence Arlanda, Roger Pardaillan de Boucherville et Poonsamy Poongavanon.

Roger de Boucherville

Il a été libéré en février 2011, à l’âge de 80 ans. Après plus d’un quart de siècle d’incarcération. Depuis, Roger France Pardaillan de Boucherville n’a plus remis les pieds dans une prison. Lui, qui a pendant un temps été dans le couloir de la mort, avait souvent pensé qu’il finirait ses jours entre les quatre murs de la prison centrale. «Je suis content de retrouver ma liberté. Je n’ai pas dormi tellement j’étais heureux. Je n’avais plus espoir que cela arrive un jour», avait-il déclaré lors de sa libération.

Il avait été condamné à mort en 1986, après avoir été reconnu coupable du meurtre du chauffeur de sa belle-sœur, un dénommé Sooreeadoo Jodhun. Un crime commis le 5 janvier 1984. Il avait poignardé sa victime avant d’enterrer son cadavre sur la plage de Dilo-Pourri, au Morne. Il a toujours clamé son innocence dans cette affaire.

Lorsque la peine capitale est suspendue, il écope d'une peine de prison à perpétuité. Après plusieurs batailles ljuridiques, Roger de Boucherville sollicite en dernier recours le Privy Council. Sa peine sera alors commuée en 25 ans de prison.

Ponsamy Poongavanon

Il a passé 21 ans derrière les barreaux. Libéré le 27 mars 2007, Ponsamy Poongavanon a, depuis, repris le cours de sa vie. Originaire du village de Savannah, ce détenteur d’une licence en sociologie de l’université de Bruxelles avait travaillé comme enseignant puis gérant d’un hôtel avant d’être incarcéré en 1985. Reconnu coupable d’avoir assassiné Chandrika Huzar Futty, il est condamné à mort. Il a passé cinq ans dans le couloir de la mort, avant d’écoper de la prison à vie suivant la suspension de la peine capitale. Après plusieurs recours juridiques, il se tourne vers la Commission de pourvoi en grâce et c’est ainsi que sa peine de prison est ramenée à 20 ans.

Dernière execution

Eshan Nayeck

Il est le dernier prisonnier à avoir été exécuté. Eshan Nayeck, dit Alexandre, a été reconnu coupable d’avoir assassiné Rashid Atchia. Il lui avait assené un coup de poignard au cœur, le 23 juillet 1983, pour se venger. Traduit en cour, le 20 juillet 1987, Eshan Nayeck avait toujours clamé son innocence. Mais les jurés n’étaient pas de cet avis. Le 22 juillet, ils l’ont condamné à mort. Il a été pendu en octobre 1987.

Une publication du quotidien BonZour !