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Les îles grecques «comme une prison» un an après le pacte UE-Turquie

20 mars 2017, 17:28

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Les îles grecques «comme une prison» un an après le pacte UE-Turquie

«C'est comme une prison ici, j'étouffe»: dans le camp de Moria, sur l'île grecque de Lesbos, le Somalien Abdulaziz exprime le désarroi des milliers d'exilés parqués sur les îles grecques par le pacte UE-Turquie, conclu il y a juste un an.

Dressé au milieu des oliviers, le camp est comme un symbole des défaillances européennes à prendre en charge des populations fuyant guerres et misères, qui ont afflué par centaines de milliers en 2015 et 2016. Ceint de clôtures et barbelés, fermé aux médias, il tient plus du camp de détention que d'un centre d'accueil pour des personnes souvent traumatisées.

«Il y a toujours quelqu'un en train de crier, toujours des bagarres», décrit Abdulaziz, un trentenaire qui y vivote depuis huit mois, blessé à la jambe en fuyant la police turque. Il cohabite avec des dizaines d'autres Africains dans une tente.

S'ajoutant à la fermeture de la route des Balkans par les pays situés au nord de la Grèce, début mars 2016, l'accord conclu le 18 mars 2016 entre Ankara et les Européens pour couper la route migratoire égéenne, entré en vigueur le 20, a considérablement fait chuter les arrivées sur les îles grecques les plus proches de la Turquie. Mais il en a fait de vastes dépôts pour réfugiés et migrants. Eux qui, comme Abdulaziz, espéraient généralement gagner l'Allemagne, y attendent pendant des mois l'examen des demandes d'asile en Grèce qu'ils ont déposées en masse pour éviter le renvoi en Turquie auquel le pacte les voue en principe.

Ils sont quelque 9.000 dans ce cas, selon le Haut-Commissariat aux réfugiés de l'Onu, quelque 14.000 selon le gouvernement grec, qui a renoncé à ramener en masse ces populations sur le continent pour ne pas fâcher ses partenaires européens.

L'information est essentielle

Depuis un an, 851 exilés, déboutés de l'asile ou y renonçant, ont été ramenés en Turquie en vertu du pacte entre Ankara et les Européens, selon les deniers chiffres de la police grecque. Selon des avocats, même des personnes ayant droit à la protection internationale ont renoncé, par méconnaissance des rouages procéduriers, ou pour fuir la misère des camps. 

«L'information est essentielle» pour les réfugiés, relève Philip Worthington, coordinateur d'un projet de soutien de l'Association des barreaux européens.  Lors de son entretien d'asile, un Irakien a ainsi jugé plus pertinent de se prévaloir de ses compétences de chauffeur routier que des persécutions auxquelles l'exposait sa religion chrétienne, raconte un collègue. 

L'Union européenne s'accommode de cette situation, unanimement dénoncée comme un scandale humanitaire par les ONG de défense des réfugiés, car «cela lance le message aux migrants de ne pas venir», accuse Epaminondas Farmakis, de Solidarity Now.

La montée des tensions entre habitants et migrants, les images de tentes de fortune croulant sous la neige relayées par les médias cet hiver, la mort à Moria - dans des conditions restées non éclaicies - de trois résidents fin janvier, ont toutefois provoqué un sursaut des autorités.

Incertitude et angoisse

Les conditions de vie à Moria, longtemps surpeuplé et insalubre avec jusqu'à 6.000 résidents, se sont améliorées, convient Achilleas Tzemos, à Lesbos pour Médecins sans frontières.

Les transferts sur le continent des personnes vulnérables - mineurs, victimes de tortures... - ont aussi été accélérés, avec 10.000 bénéficiaires jusque-là, selon le HCR. Mais ceux qui restent «souffrent de l'incertitude» à laquelle ils sont condamnés. «Ne pas savoir ce qui les attend les soumet à une forte angoisse», déplore M. Tzemos. Selon MSF, les auto-mutilations et tentatives de suicide sont en «nette augmentation».

L'Unicef a aussi dénoncé vendredi une «détresse» croissante, en particulier des enfants, au vu des «promesses non tenues» de l'accord. Sa mesure-phare, le renvoi en Turquie des Syriens au motif qu'ils y seraient en sécurité, reste par ailleus en suspens. Aucun Syrien n'a jusque là officiellement été forcé au départ, et le Conseil d'Etat grec a été saisi de la légalité des renvois, jugés attentatoires au droit de l'asile par le monde humanitaire.

En plein bras de fer avec les Européens, Ankara de son côté menace régulièrement de rouvrir les vannes migratoires. Les autorités grecques et européennes en sont quittes pour marteler leur attachement au pacte, qui a donné lieu au déploiement sur les îles d'importants renforts d'experts et agents de sécurité européens.

Le commissaire européen aux Migrations, Dimitris Avramopoulos, l'a encore qualifié de «succès» lors d'une visite jeudi à Lesbos.

«Il sauve les vies», après plus d'un millier de noyades en Egée en 2015 et 2016, et a permis de réduire les arrivées «de quelque 10.000 par jour il y à un an à une cinquantaine en moyenne», a-t-il mis en avant.