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Malgré la multiplication des menaces, pas de panique chez les juifs américains

14 mars 2017, 11:09

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Malgré la multiplication des menaces, pas de panique chez les juifs américains

«Je ne me sens pas menacé»: la récente flambée de menaces contre des institutions juives américaines est sans précédent pour de nombreux juifs américains, mais ils continuent à se sentir en sécurité aux Etats-Unis, largement épargnés par l'antisémitisme depuis 50 ans.

Sur Coney Island Avenue, un quartier de Brooklyn (New York, nord-est) où se côtoient sans difficulté juifs et musulmans pakistanais, une alerte à la bombe a été enregistrée vendredi dans les locaux d'une association juive pour personnes âgées l'une des 155 enregistrées depuis début janvier à travers les Etats-Unis, le plus souvent dans des centres communautaires servant aussi d'écoles, auxquelles se sont ajoutés des graffitis de croix gammées et plusieurs profanations de cimetières juifs.

Stuart Gourdji, 25 ans, patron d'une entreprise de confection de paniers cadeaux dans un bâtiment mitoyen, a dû évacuer les lieux dans la précipitation. Il ne compte plus les menaces contre sa communauté dont il entend parler dans les médias.

Mais même s'il était «effrayé» sur le moment, lui et plusieurs de ses employés disent n'être "pas vraiment inquiets". 

«Il y a probablement un imbécile quelque part qui orchestre tout ça. Il finira par être arrêté. Ca passera», dit-il, ajoutant n'avoir jamais songé à enlever sa kippa dans la rue.

Tout le monde n'est pas aussi serein. Jack Moline, un rabbin aujourd'hui retraité, souligne avoir «vu autour de énormément d'angoisse». Ce résident de Washington, âgé de 64 ans, dit n'avoir «jamais connu une telle vague» d'alertes antisémites de sa vie, et la juge «clairement destinée à troubler la vie des juifs de ce pays».

Comme M. Gourdji, Jack Moline souligne néanmoins que ces incidents qui n'ont pas fait de victimes sont «sans comparaison» avec les menaces qui pèsent sur les juifs en Europe et surtout en France, où des attaques, notamment contre une école juive à Toulouse (sud-ouest) en 2012 ou un supermarché casher à Paris début 2015, ont fait plusieurs morts.

Tous deux voient dans ces alertes un rappel aux près de six millions de juifs américains que «l'antisémitisme existe» aussi aux Etats-Unis. 

Dans la communauté, beaucoup avaient tendance à considérer l'antisémitisme éradiqué, en raison des «progrès considérables» enregistrés depuis 1945, explique Kenneth Jacobson, vice-directeur de l'Anti-Defamation League (ADL), une des plus anciennes organisations de lutte contre l'antisémitisme et les discriminations, dont plusieurs antennes ont été menacées. 

L'entre-deux guerres est loin qui vit des personnalités comme le constructeur automobile Henry Ford, via son journal The Dearborn Independent, le héros de l'aviation Charles Lindbergh ou le très populaire Père Charles Coughlin, dans une émission de radio dominicale, diffuser des thèses farouchement antisémites auprès de millions d'Américains. 

Loin aussi le temps où il y avait «des quotas officieux pour les juifs dans les universités, des restrictions sur les juifs dans les entreprises, dans le logement: tout ça appartient au passé», dit M. Jacobson. 

«En 2.000 ans de diaspora, jamais une communauté juive ne s'est sentie aussi à l'aise et des citoyens aussi égaux que les juifs américains ces 50 ou 60 dernières années», et «cela reste vrai aujourd'hui», dit-il.

Depuis 1964, l'ADL prend régulièrement la température de l'antisémitisme. La proportion d'Américains ayant des sentiments antisémites atteignait alors 29%. Le chiffre est tombé entre 12% et 15% ces dernières années, dit-il. Un recul important, «même si cela représente entre 30 et 35 millions d'Américains». 

L'autre grande victoire des dernières décennies, selon lui, tient à la stigmatisation du discours raciste et antisémite. Au point que ces derniers temps, «toute personnalité qui tenait un discours haineux, de quelque nature que ce soit, y perdait sa réputation et parfois même son emploi».

C'est ce progrès qui paraît menacé aujourd'hui, dit-il, en pointant du doigt Donald Trump. 

Kenneth Jacobson ne considère pas le nouveau président comme antisémite Donald Trump est d'ailleurs soutenu par une partie de la communauté juive pour son soutien sans faille affiché à l'égard d'Israël. Mais en ciblant tour à tour les musulmans, les femmes ou les Mexicains, l'élection de Donald Trump a «levé les inhibitions» sur le discours raciste, permettant aux antisémites de «sortir du bois», souligne M. Jacobson.

Face à l'antisémitisme et au racisme, dit-il doucement, «il doit y avoir un discours plus cohérent» depuis «la principale tribune que constitue la présidence des Etats-Unis».