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En Inde, apprendre à lire et écrire à «l’école des grand-mères»

7 mars 2017, 17:04

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En Inde, apprendre à lire et écrire à «l’école des grand-mères»

 

Dans une salle de classe de la campagne indienne, des élèves récitent avec application l’alphabet. Mais ces écolières ne sont pas comme les autres: âgées de 60 à 90 ans, ces femmes sortent de l’analphabétisme grâce à «l’école des grand-mères».

Privées de scolarité durant leur enfance, une trentaine de femmes, veuves pour la plupart, réalisent enfin leur rêve d’apprendre à lire et écrire grâce à cette initiative unique près de Bombay.

«Je n’ai jamais été à l’école étant enfant. C’est si bien d’y aller maintenant et d’étudier avec mes amies. Nous nous amusons tant», déclare à l’AFP Gulab Kedar, 62 ans, rayonnante de plaisir.

L’école, qui célèbre son premier anniversaire à l’occasion de la Journée de la Femme mercredi, s’attaque aux préjugés de l’Inde rurale et aide ces femmes à se débarrasser du stigmate de l’analphabétisme.

Chaque jour, 29 mamies parcourent la courte distance qui sépare leur village de Phangane, dans l’État du Maharashtra (ouest), de la petite hutte d'«Aajibaichi Shala» - «l’école des grand-mères» en langage marathi.

Sous les au revoir! de leurs petits-enfants, dont certains les accompagnent tout le chemin, elles se mettent en route, transportant dans des cartables assortis une petite ardoise, une craie et un manuel.

De deux à quatre heures de l’après-midi, elles s’asseyent, jambes croisées, sur le sol d’une petite salle de classe aux murs de bambous et au toit de chaume, et ouverte sur l’extérieur.

Une jeune institutrice, âgée de 30 ans, les encadre. Les grand-mères lisent un texte simple et écrivent soigneusement leur nom sur leur ardoise, deux choses qu’elles auraient été bien incapables de faire il y a encore un an. Elles apprennent aussi l’arithmétique de base.

Signer de son nom 

Les parcours de ces femmes, qui portent de nombreux bracelets et des anneaux nasaux comme il est de coutume dans les campagnes, présentent des trajectoires similaires.

Petites, elles devaient rester à la maison ou travailler pendant que leurs frères allaient à l’école. Elles ont été mariées jeunes, après quoi il était attendu d’elles qu’elles aient des enfants et les élèvent au foyer.

«Mes frères allaient à l’école mais je n’ai pas eu cette opportunité», explique Janabai Dajikedar, 75 ans.

Sa fréquentation de l’école permet déjà d’améliorer des petits riens de la vie de tous les jours: «A la banque, j’avais l’habitude de donner mon empreinte digitale (en guise de signature). Ça me faisait me sentir honteuse. Maintenant, je suis fière de signer de mon nom.»

Cette «classe des grand-mères», financée par un organisme de charité local, est l’œuvre de Yogendra Bangar, professeur à l’école primaire de Phangane depuis trois ans.

L’idée lui est venue début 2016 lorsque plusieurs femmes se sont lamentées de ne pouvoir prendre part aux lectures publiques lors des célébrations religieuses.

«Nous avons pensé que donner à ces grand-mères une chance équitable d’avoir accès à la scolarité et à l’alphabétisation leur procurerait du bonheur», explique-t-il. «A leur âge, elles ne vont pas chercher un emploi dans une entreprise. Mais la joie de pouvoir signer de leur nom et de savoir lire a nettement amélioré leur bien-être.»

Cette école des grand-mères contribue à rehausser le statut des femmes dans le village, estime le professeur Bangar, qui espère que son école inspirera d’autres localités d’Inde.

«Nos diamants» 

Même la couleur chatoyante de l’uniforme de ces écolières poivre et sel a été choisie à dessein: «La plupart des ces grand-mères sont des veuves et doivent donc se vêtir de blanc en signe de deuil. Nous avons voulu briser ce tabou et d’autres traditions plus anciennes pour que chacune se sente sur un pied d’égalité et membre de la communauté sans discrimination, donc nous avons choisi un uniforme rose.»

Les 70 familles du village soutiennent le projet et ont fièrement accompagné les grand-mères à l’école pour leur premier jour.

«Il y avait de la musique et des tambours, beaucoup de fanfare. Nous nous sommes senties tellement spéciales», se souvient Kantabai More, 70 ans, qui apprécie tout particulièrement lorsque ses petits-enfants l’aident à faire ses devoirs.

Pour le premier anniversaire de l’école mercredi, une grande fête est prévue. Plus de 500 personnes des villages alentour, dont 100 grand-mères, devraient y participer, indique M. Bangar à l’AFP.

«Nous célèbrerons (les grand-mères) pour leur inestimable contribution aux villages et à nos vies. Elles sont nos diamants et nous devrions les choyer.»