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Nigeria: le vice-président Osinbajo, de l’ombre à la lumière

25 février 2017, 13:27

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Nigeria: le vice-président Osinbajo, de l’ombre à la lumière

 

Voyages à l’étranger, discussions avec les indépendantistes, inspections d’infrastructures... Le président par intérim du Nigeria, Yemi Osinbajo, est sur tous les fronts depuis qu’il remplace provisoirement à la tête du pays le plus peuplé d’Afrique Muahammadu Buhari, soigné en Angleterre.

Parti en congés à Londres le 19 janvier, le chef de l’État, qui a prolongé son séjour pour des raisons médicales non révélées au grand public, a confié avant son départ les rênes du pouvoir à son vice-président, comme le permet la Constitution.

A 59 ans, ce technocrate d’ordinaire discret et plutôt introverti ne ménage pas ses efforts diplomatiques, politiques et économiques en l’absence du chef, alors que le géant pétrolier traverse une grave récession économique, plombé par la chute des cours du brut.

Un zèle qui a atteint son paroxysme avec une visite surprise à l’aéroport international de Lagos jeudi entre deux réunions de travail, où il a «inspecté l’état des toilettes» publiques!.

A la télévision, sur Twitter ou à la Une des grands quotidien nigérians, l’homme aux traits fins et aux grands yeux amande, invariablement coiffé d’un chapeau traditionnel, tient visiblement à montrer qu’il n’y a pas de vide politique et que la machine gouvernementale continue à travailler.

L’investiture du nouveau président gambien Adama Barrow le 18 février? Il a fait le déplacement à Banjul. Les manifestations anti-gouvernement à Lagos et Abuja? Osinbajo a répondu aux Nigérians: «A ceux qui sont dans les rues pour protester contre la situation économique et à ceux qui ne le sont pas mais qui souffrent, nous vous entendons».

Mi-février, le président par intérim a aussi effectué un voyage hautement symbolique dans la région du delta du Niger, le hub pétrolier du sud où pullulent des groupes rebelles indépendantistes qui sabotent régulièrement les oléoducs, mais où Buhari n’a jamais mis les pieds depuis son élection en mars 2015.

Contrairement à son mentor, musulman fulani du nord, Osinbajo est un ancien pasteur évangélique, de l’ethnie yoruba: dans un pays ultra-religieux divisé entre un nord musulman et un sud chrétien, il fallait ménager les sensibilités.

«Nous devons travailler ensemble pour faire du delta du Niger une zone économique vivante et dynamique», a-t-il affirmé aux communautés locales qui réclament une vraie redistribution des richesses pétrolières.

«Là où Buhari est perçu comme un homme autoritaire, qui est dans le rapport de force, le vice-président est un vrai diplomate. Il a une personnalité vraiment calme, consensuelle», analyse Chris Ngwodo, commentateur politique averti.

Manque d’autorité 

«C’est le parfait gentleman», confirme à l’AFP Davies Ibiamu Ikanya, un poids lourd du parti au pouvoir, All progressive progress (APC). «Il fait ce qu’il peut pour sortir le pays de la crise, l’heure est à la discipline et au sacrifice».

Diplômé de la prestigieuse London School of Economics, l’ancien universitaire et avocat en droit des affaires a la réputation de bien maitriser les dossiers économiques.

Hasard de calendrier ou pas, la banque centrale nigériane, sous le feu des critiques depuis des mois parce qu’elle refuse de dévaluer le naira, creusant un écart abyssal entre le taux de change officiel et le marché noir, vient d’assouplir sa position pour faciliter l’accès aux devises qui manquent cruellement dans le pays.

Toutefois, selon l’analyste Chris Ngwodo, il est «peu probable qu’Osinbajo ait la marge de manoeuvre suffisante pour pouvoir engager unilatéralement de grandes réformes économiques et institutionnelles».

Certes, en théorie, l’intérimaire dispose de tous les pouvoirs dévolus au chef de l’État, mais «il est limité par la réalité politique», estime-t-il: «Ce n’est pas pour lui que les Nigérians ont voté, c’est pour Buhari».

«Osinbajo est susceptible de rencontrer des résistances dans l’administration, et à moins qu’il agisse sur instruction expresse du président, il n’aura pas l’autorité suffisante pour mener sa propre politique», ajoute M. Ngwodo.

Le président par intérim devra aussi composer avec l’opposition des caciques du nord: le fait qu’un «sudiste» prenne les rênes du pays à la moitié du mandat de Buhari génère des frustrations. Selon la coutume, la présidence alterne entre le nord et le sud.

Yinka Odumakin, porte-parole d’Afenifere, un collectif représentant les yoruba dans le sud-ouest, estime ainsi que le cercle rapproché de l’ancien général «utilisera l’ombre de Buhari pour harceler Osinbajo et la gouvernance en souffrira».

«Nous n’allons pas voir beaucoup d’Osinbajo en dehors de déplacements et de gestes symboliques ici et là», assène-t-il. «Il agira dans l’ombre de son chef, ou de sa clique de fidèles».