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Brésil: vers un carnaval politiquement correct et moins dénudé

23 février 2017, 11:59

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Brésil: vers un carnaval politiquement correct et moins dénudé

Quand la nouvelle égérie du carnaval de la plus grande chaîne de télévision brésilienne a été présentée, les téléspectateurs ont été pris de court : elle n'était pas nue.

La Globeleza, contraction de Globo, le média en question, et du mot beauté en portugais (beleza), est une véritable institution.

Chaque année depuis 1991, une jeune fille, le plus souvent noire, jeune et jolie, dansait la samba dans son plus simple appareil, le corps recouvert seulement par quelques touches de peinture.

L'apparition en janvier d'Erika Moura, nouvelle muse du carnaval, en costume folklorique dans un petit clip de TV Globo, a été largement commentée dans la presse locale.

Mais cette Globeleza new-look n'est pas le seul signe de moralisme de cette fête traditionnellement marquée par tous les excès.

Le nouveau maire de Rio, Marcelo Crivella, pasteur évangélique élu en octobre, pourrait bien prendre la poudre d'escampette pour passer le carnaval loin de la ville, qui recevra plus d'un million de touristes pour l'occasion.

Les rumeurs de l'absence de l'édile n'ont pas été confirmées, mais une chose est sûre : ce n'est pas lui qui remettra vendredi les clés de la ville au Roi Momo, monarque obèse et haut en couleurs qui représente la folie du carnaval. 

Il a préféré déléguer cette tâche à son premier adjoint, Fernando Mac Dowell.

Lutte contre les stéréotypes

M. Crivella, dont l'oncle milliardaire a fondé l'Église universelle du règne de Dieu, serait le premier maire de l'histoire de Rio à s'absenter pendant le carnaval.

Un sacré changement par rapport à son prédécesseur Eduardo Paes, habitué des défilés, où il apparaissait portant un chapeau panama et jouant du tambourin.  

Le service de presse municipal se refuse à commenter «toute spéculation sur la destination du maire».

«Je comprends qu'il n'aime pas danser la samba à cause de sa religion, mais sa présence est obligatoire», a critiqué dans les colonnes du journal O Globo Cesar Maia, ancien maire et gouverneur de Rio.

Pourtant, le fait que la ville soit gouvernée par un conservateur est loin de justifier à elle seule la tendance moins dénudée de ce carnaval.

Le personnage de Globeleza fait l'objet depuis le début de critiques de la part d'activistes car il représenterait le stéréotype de la femme noire lascive.

En 2014, la danseuse choisie par Globo a été jugée «trop foncée» sur les réseaux sociaux et la chaîne a fini par la remplacer par Erika Moura, à la peau plus claire, déclenchant un nouveau tollé.

Cette année marque un véritable tournant, avec une égérie habillée «pour enrichir le personnage». «La réaction positive du public nous montre que nous sommes sur le bon chemin», indique Globo.

«Ça fait des années que le mouvement féministe noir demande ce changement», rappelle Luana Génot, fondatrice de l'Institut ID-BR (Identités du Brésil), ONG qui lutte pour l'égalité entre les races.

«Nous luttons pour que les femmes noires ne soient pas réduites à ces stéréotypes. Les Noirs éteignaient leur télévisions, une façons de montrer qu'ils ne voulaient plus être représentés de cette façon», conclut-elle.

Censure morale

Ces changements ne sont pas seulement pour les yeux, mais aussi pour les oreilles. 

Un mouvement féministe a inventé une nouvelle chanson pour ce carnaval : «peu importe les vêtements que tu mets, je ne toucherai que si tu consens». 

Les paroles de grands classiques du carnaval ont aussi été revisitées, pour supprimer tout relent machiste, raciste ou homophobe.

Le terme «mulata» (mulâtre), a ainsi été banni par certains groupes, à cause de son origine, celle du mot «mule».

«C'est quelque chose de nouveau. Beaucoup de gens en parlent depuis des années, mais pas autant qu'aujourd'hui», remarque Debora Thomé, fondatrice du groupe de carnaval de rue «Mulheres Rodadas».

«Nous jouons environ dix chansons, composées ou interprétées par des femmes, avec des paroles libératrices, ou tout simplement amusantes», souligne-t-elle.

Mais le compositeur Joao Roberto Kelly, auteur de classiques comme «Maria Sapatao» (Maria la gouine) accuse les féministes de gâcher la fête.

«Je n'avais jamais vu autant de censure depuis la dictature», a-t-il déploré dans le quotidien Estado de Sao Paulo.