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Chômage des jeunes: nous cache-t-on les vrais chiffres?

15 février 2017, 22:00

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Chômage des jeunes: nous cache-t-on les vrais chiffres?

Peut-on se fier aux statistiques nationales sur le chômage des jeunes? Quant à ceux qui travaillent, peut-on dire qu’ils sont vraiment dans la vie active?

Guerre des statistiques

À en croire les derniers chiffres de Statistics Mauritius pour le troisième trimestre de 2016, 24% des jeunes âgés de 16 à 24 ans étaient au chômage. Entre 2005 et 2015, le taux de chômage pour cette tranche d’âge a oscillé entre 19% et 26%.

Et pourtant, le gouvernement multiplie les initiatives pour favoriser l’entrée des jeunes dans la vie active. Il existe trois différents programmes qui ont permis le placement de quelque 20 000 jeunes en entreprise.

Ce chiffre de 24% fait débat. Est-il juste? Reflète-t-il la réalité? Le vrai visage du chômage serait-il plus sombre ou moins grave qu’il n’y paraît? Ils sont nombreux à sourciller devant la méthode de comptabilisation des chômeurs et des actifs. Qui est chômeur et qui ne l’est pas? Comment le gouvernement s’assure-t-il que ceux qui sont inscrits au chômage n’exercent pas en réalité un emploi?

La faiblesse méthodologique provient, pour Jane Ragoo, présidente de la Confédération des travailleurs du secteur privé, de l’absence d’une banque de données centralisée mise à jour régulièrement. «Il serait temps de mettre de l’ordre dans ce secteur», dit-elle.

Si tous contestent la méthodologie, certains pensent que, puisque les chiffres ne sont pas fiables, le chômage des jeunes serait plus répandu que ce que disent les chiffres officiels. Notamment parce que les jeunes inscrits aux divers plans emploi-jeunes comptent pour des actifs, alors qu’ils ne sont que des stagiaires avec des rémunérations faibles et des activités précaires. D’autres estiment, au contraire, que les statistiques exagèrent l’ampleur du phénomène.

Lorsqu’ils s’inscrivent aux programmes emploi-jeunes, ces jeunes sont considérés comme actifs. Ce qui permet de réduire le taux de chômage officiel. Le sont-ils vraiment? Oui, si l’on considère qu’ils ont effectivement une activité professionnelle rémunérée. Mais peut-être pas tout à fait quand l’on considère que ces programmes ne s’accompagnent pas de garantie d’emploi. Sont-ils dans une démarche de construction professionnelle durable, ou sont-ils simplement casés pour redorer les statistiques nationales?

Des stages peu rémunérés

«Depuis que le présent gouvernement a gagné les élections, il lui a fallu trouver des moyens de prouver qu’il a contribué à réduire le taux de chômage», pense Jane Ragoo. Elle voit en tous programmes gouvernementaux qui visent à réduire le chômage des solutions «palliatives», voire de la «poudre aux yeux». Si ces programmes offrent pour un temps un placement en entreprise d’un à deux ans, ils ne s’accompagnent pas de garantie d’emploi. Dans les faits, en moyenne 60% des jeunes placés dans le secteur privé sont recrutés par leur entreprise. Lorsque l’employeur appartient au secteur public, le recrutement n’est pas automatique. Le jeune stagiaire passe, comme tous les candidats aux emplois publics, par la sélection de la Public Service Commission.

Au-delà de ce débat sur la pérennité des emplois-jeunes, la méthode statistique conduirait, pour Business Mauritius, non pas à masquer le chômage réel mais à en noircir le tableau. Y aurait-il sur le marché moins de chômeurs qu’il n’y paraît? «Nous avons observé que, sur une liste de chômeurs diplômés que nous recevons pour placer en entreprise, plusieurs travaillent déjà mais sont quand même à la recherche d’un autre emploi. Le nombre de diplômés au chômage pourrait même être divisé de moitié», expliquait le Chief Operating Officer de Business Mauritius, Pradeep Dursun, dans notre dossier sur l’emploi paru dans le cadre du Budget 2016-2017. Même son de cloche du côté du gouvernement qui estime que de nombreux individus recensés comme chômeurs sont en fait des personnes actives.

Du coup, qui croire? Que penser de ces chiffres? Les jeunes, pour leur part, ne s’en inquiètent pas outre mesure. Ce qui est important à leurs yeux, c’est d’améliorer les perspectives réelles d’emploi à l’issue de ces programmes. Les 40% de recalés au bout d’une année reviennent-ils sur le marché du travail avec davantage d’atouts pour trouver du travail ou retombent-ils dans l’oisiveté? Selon Roland Dubois, responsable du programme Youth Employment Programme (YEP) au ministère de l’Emploi, beaucoup d’entre eux bénéficient d’une année supplémentaire dans une autre entreprise. D’autres poursuivront leurs études. Certains jeunes choisissent tout bonnement de compléter le stage sans y donner suite.

Les programmes d’emploi du gouvernement

Quand les attentes sont déçues

Fatigués, lessivés et las d’attendre un emploi permanent du gouvernement. C’est dans cet état d’esprit que se trouvent des stagiaires du Holistic Education Programme, un projet de formation et de travail en alternance dans le secteur public, mis sur pied par le ministère de l’Éducation en mai 2016. Un total de 175 jeunes s’y sont inscrits, dans le cadre du YEP l’année dernière. Ces derniers ont suivi une formation du Mauritius Institute of Education, avant d’être affectés dans des écoles primaires publiques.

En s’inscrivant à ce programme, ils s’attendaient à être recrutés sur une base permanente par le gouvernement en novembre dernier. Les choses ne se seraient pas passées comme prévu. «On nous avait assuré qu’on nous donnerait la priorité pour le recrutement d’educateurs, étant donné que nous avons été formés et que nous étions déjà en train de travailler dans les écoles. Mais cela n’a pas été le cas. Notre contrat expire en mai 2017 et nous ne savons toujours pas s’il sera renouvelé, et si nous serons recrutés sur une base permanente», déplore un de ces jeunes qui tient à garder l’anonymat. Entre-temps, nombre d’entre eux ont choisi d’abandonner le projet professionnel qu’ils avaient envisagé au moment de l’inscription.

Manifestation de jeunes à Rose-Hill, le 4 février.

«Il est difficile de vivre avec une allocation de Rs 6 000 par mois. Certains ont déjà une famille, des dépenses. Il y en a même qui se sont retrouvés à demander de l’argent en emprunt à leurs proches», se désole notre interlocutrice. Résultat: des 175 jeunes recrutés sous le programme, quelque 75 ont déjà quitté le navire. Et ce n’est pas faute d’avoir eu une bonne formation et une superbe expérience en tant qu’éducateur.

Peut-on alors dire que les programmes comme le YEP aident réellement à réduire le taux de chômage? Peut-être, mais notre interlocutrice y voit un caractère quelque peu artificiel. «Les jeunes sous le YEP ne sont pas recensés comme chômeurs car ils travaillent en entreprise. Mais ils ne sont pas des employés au sens propre. Ils ne sont que des stagiaires avec une allocation et un contrat à durée déterminée.» Des déceptions qui, au final, se traduisent par du temps perdu et des abandons de parcours.

Un programme satisfaisant

Une «plateforme collaborative triangulaire» qui réunit les employeurs, les universités et les étudiants. C’est en ces termes que Neerish Chooramun, Marketing Manager pour la société logistique Celero décrit le projet du Dual Training Programme (DTP) de la Mauritius Export Association (MEXA). Celero fait partie des 21 entreprises qui participent au projet lancé pour la première fois en 2015 par la MEXA, en partenariat avec l’université des Mascareignes.

L’année dernière, la MEXA s’est associée à l’Institut Charles Telfair pour un Diploma in International Business and Logistics ainsi que pour un Diploma in Industrial Refrigeration. À travers ces programmes d’études qui durent de deux à trois ans, les étudiants-stagiaires travaillent en alternance. Ils sont dans l’entreprise entre trois et quatre jours par semaine, tout en suivant des cours deux à trois jours par semaine. Ils sont au total 43 étudiants-stagiaires à avoir bénéficié de ce projet.

Pour le Marketing Manager de Celero, ce projet est une véritable «win-win situation» pour toutes les parties concernées. «Pour le stagiaire, c’est une activité rémunératrice, alors que le taux de chômage diminue. Pour l’employeur, c’est du sang neuf dans un secteur qui promet. Quant à l’établissement de formation, il peut ainsi proposer des cours taillés sur mesure pour l’entreprise et ainsi garantir le développement de nos ressources humaines», soutient-il.

Qu’en pensent les étudiants-stagiaires? Renoo Gunputh, qui prépare un diplôme en International Business and Logistics, se dit très satisfaite du programme car elle acquiert à la fois de l’expérience et un diplôme. C’est d’ailleurs ces deux aspects qui ont poussé cette détentrice d’un diplôme en soins de santé, qui a aussi fait l’expérience du stage YEP, à s’orienter vers ce programme. «À travers le stage que je fais actuellement chez Celero, j’ai eu l’occasion de travailler dans divers départements, ce qui m’a permis d’avoir une vue d’ensemble du secteur.»

Quid du coût? Et les stagiaires ont-ils une garantie d’emploi permanent à la fin de ce programme? Lilowtee Rajmun, la directrice de la MEXA, explique que, même si aucune garantie d’emploi formelle n’est donnée pour le DTP, la probabilité que l’employeur retienne le stagiaire à l’issue du programme est quasi certaine. «Il faut savoir que le diplôme coûte Rs 90 000 par an. Les entreprises participantes investissent Rs 40 000 par stagiaire chaque année pour ce programme, et le reste est payé par le gouvernement. Il faut ajouter à cela le temps que l’entreprise donne pour former ces stagiaires. Nous avons eu jusqu’ici un bon feedback. Nous sommes sûrs que ces jeunes pourront obtenir un emploi à la fin du programme», soutient Lilowtee Rajmun. A Neerish Chooramun de renchérir: «Si nous constatons une performance à la fois bonne et constante, comme c’est déjà le cas, il n’y a pas de raison de ne pas offrir à ces stagiaires un emploi permanent en fin de cycle, sachant qu’ils seront des techniciens dans le domaine, sans oublier qu’ils comprennent nos valeurs et cultures de travail et qu’ils y adhèrent.»

La MEXA compte renouveler l’expérience cette année avec de nouveaux programmes d’études sous le modèle du DTP. À savoir que la Chambre de commerce et de l’industrie de Maurice s’est également lancée dans la formation en alternance il y a quelques années.