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La vie de sacrifices des paysans mexicains aux Etats-Unis

7 février 2017, 12:06

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La vie de sacrifices des paysans mexicains aux Etats-Unis

 

Quand la plupart des gens vont se coucher, c’est l’heure du réveil pour Roger Medina. Il est minuit, il saute du lit, avale un café et court à la frontière, pendant que son épouse et bébé de 11 mois dorment encore.

Il fait partie des milliers de travailleurs agricoles mexicains qui traversent chaque jour la frontière américaine.

Roger Medina, 23 ans, vit à Mexicali et travaille à Calexico, villes jumelles de chaque côté de la frontière. Il doit arriver tôt au poste de contrôle migratoire pour éviter les queues de deux trois heures, et commence alors une dure journée de labeur dans la Vallée impériale, région agricole parmi les plus productives au monde.

Il est» pisquero» («piqueur»), le terme pour décrire ceux qui récoltent des fruits et légumes, un travail répétitif, fastidieux et pénible, souvent mené lors de températures caniculaires, pour 11,5 dollars l’heure.

Dans les champs, on ne voit presque que des Mexicains, que le président américain Donald Trump a tour à tour qualifiés «criminels», «violeurs» ou «bad hombres» (mauvais hommes), les accusant également de voler des emplois aux Américains.

Roger Medina sourit: «un blanc ne pourrait pas supporter ça». «Ce n’est pas une vie, ce travail», ajoute-t-il avec le visage qui s’assombrit, se disant «écœuré» par le discours de Trump.

«S’il veut fermer la frontière, qu’il vienne et fasse les récoltes. Je ne pense pas que le président sait qui nous sommes et le travail que représentent les salades dans son assiette», renchérit José Luis Carrillo, 35 ans, pendant qu’il récolte à toute vitesse des laitues.

«Raciste mais pas idiot» 

Selon la police des frontières américaine, près de 55.000 personnes passent d’une des villes jumelles à l’autre chaque jour, la plupart pour aller travailler dans les champs de la Vallée impériale.

Roger peut se reposer un peu dans la maison de sa mère Patricia, qui vit à Calexico et elle aussi est employée agricole à la journée. D’autres n’ont pas cette chance, passent la frontière très tôt et tentent de dormir sur un banc en attendant le bus qui les amènera aux champs.

Dans cette région, contrairement à d’autres zones rurales, la plupart ont des permis de travail en règle ou la double nationalité. Sinon, ils ne pourraient pas transiter ainsi quotidiennement.

Calexico et Mexicali sont divisés par une clôture métallique. Trump a ordonné la construction d’un mur le long des 3.200 kilomètres de frontière avec le Mexique, affirmant que les Mexicains paieraient pour le bâtir, et il veut expulser des millions d’immigrés en situation irrégulière, dont la plupart sont Mexicains.

«C’est un raciste et tout, mais il n’est pas idiot, il a besoin de nous pour préserver l’industrie agricole et pour réaliser sa promesse de faire croître l’économie», assure Antonio Hernández, 50 ans, dans un champ de céleri.

«Ceux qui travaillent dans les champs sont très courageux, sans eux nos producteurs ne pourraient pas faire leurs récoltes», fait valoir Linsey Dale, directrice exécutive de l’Association des agriculteurs du comté Impérial.

Quelque 540.000 Mexicains travaillent dans les champs américains, d’après l’institut de recherche Pew. Le nombre de sans-papiers parmi eux n’est pas connu avec certitude.

«Tant que Dieu le veut» 

Dans le champs où travaillent Roger Medina et sa mère, les heures s’égrènent au son d’une radio musicale en espagnol, pendant que se déroule une chorégraphie précise: l’un coupe les laitues et les emballe, l’autre les ferme et les place sur une caisse, le suivant les place dans un camion réfrigéré pour un contrôle de qualité. Etc, encore et encore.

Au bout de trois heures vient la pause déjeuner, et Roger s’assoit pour manger avec Patricia, qui n’a pas 50 ans. Elle enlève le mouchoir blanc qui lui protège le visage et sort d’une glacière assez de tortillas et de viande «pour un régiment», se moque son fils, qui a commencé à travailler à 17 ans.

«Il n’a pas voulu aller à l’école», lance Mme Medina avec une pointe de reproche, car maintenant Roger n’a d’autre option que continuer à se lever à minuit chaque jour pour partir travailler et retrouver sa famille le soir venu, le dos brisé.

Cela reste une meilleure option que le Mexique, où le salaire horaire tourne autour de 3,5 dollars l’heure. Fort de sa carte verte, il compte travailler «chaque jour tant que Dieu le veut» .