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Argent sale: nous sommes tous victimes

21 janvier 2017, 15:46

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Argent sale: nous sommes tous victimes

Jacques, prénom fictif, nous montre sa maison. Au rez-de-chaussée, deux garages, une cuisine américaine, un grand salon et une salle à manger, une chambre d’amis, un bureau, et une salle d’eau. A l’étage, trois chambres à coucher, une salle d’eau et une belle terrasse. Le tout sur 5 perches clôturées par un mur. «Ma maison vaut Rs 5 millions. Mais elle a récemment été évaluée à Rs 1 million. La seule raison qu’on m’ait donnée, c’est le lieu.» Jacques habite en effet une cité ouvrière, qui a la réputation d’abriter des trafiquants de drogue. «Je suis une victime du trafic même si jamais ma famille n’y a touché», déplore-t-il. Ce retraité, dont le fils aîné est entrepreneur et le cadet cadre dans une compagnie du top 100, est, comme beaucoup – voire la totalité – de Mauriciens, une victime indirecte.

Les dépenses de l’état: Rs 353 millions !

Selon une étude réalisée par Straconsult pour l’ONG PILS en 2016, l’État a dépensé en 2014 Rs 353 millions dans sa politique contre les drogues. Cela représente presque 4 % de la totalité des dépenses publiques ! Chaque Mauricien – actif, retraité, mineur – contribue donc Rs 294 par an ! Ces dépenses sont réparties comme suit:

Police : Rs 176 millions uniquement pour combattre la drogue

Ce chiffre se trouve dans les «budget estimates» officiels du gouvernement sous l’en-tête «combating drugs». Ce sont les dépenses de la police dans son combat contre la drogue en 2014. Cette année-là, le gouvernement annonçait son intention de dépenser encore plus en 2015, soit Rs 192 300 000. Parmi les raisons qui expliquent cette hausse, l’ADSU allait recruter une vingtaine d’officiers.

Judiciaire: Rs 8,3 millions

Straconsult arrive à ce chiffre en procédant de cette manière. Les cours de justice ont traité 139 667 cas en 2014. Les dépenses officielles du judiciaire cette année-là ont été de Rs 481 millions. Une affaire coûte donc en moyenne Rs 3 400 (Straconsult reconnaît que cette formule est assez simpliste puisque toutes les affaires sont différentes et varient en complexité et donc en termes de coût, mais explique qu’en l’absence de données officielles, seule cette formule est applicable). Cette moyenne est multipliée par le nombre de cas liés à la drogue traités par la justice, tels que rapportés par Statistics Mauritius (2 415). Voilà comment Straconsult arrive à Rs 8,3 millions dépensées par le judiciaire uniquement pour les affaires de drogue.

Prisons: Rs 116 millions

Au moment où Straconsult réalisait son étude, le gouvernement évaluait officiellement le coût de chaque prisonnier à Rs 910 par jour. Un prisonnier coûte ainsi Rs 332 150 par an. Selon les statistiques officielles de 2013, 350 personnes étaient détenues pour des délits de drogue. Résultat : Rs 116 252 !

Méthadone et Échange de seringues: Rs 53 millions

Selon le rapport du National Aids Secretariat, le gouvernement a dépensé Rs 53 929 838 en 2012 pour le programme d’échange de seringues et de distribution de méthadone.

Le manque à gagner de l’état: Rs 2,5 milliards par an ?

Le poids financier réel du trafic de drogue n’est pas connu et aucune étude à Maurice n’a jamais estimé le manque à gagner que cause ce trafic sur le PIB. Parmi les rares statistiques disponibles, il y a celle-ci : la valeur de toutes les drogues saisies en 2015 selon Statistics Mauritius, atteint Rs 250 millions. C’est pratiquement Rs 1 million par jour ! Et là encore, il ne s’agit que de drogues saisies. Impossible de comptabiliser celles qui ont pu atteindre le consommateur. Ally Lazer, président de l’Association des travailleurs sociaux, estime que «les saisies ne représentent que 10 % de la drogue en circulation». Si cela s’avère, on pourrait estimer que le marché pèse Rs 2,5 milliards !

Autant d’argent qui échappe à tout contrôle fiscal et qui en étant blanchi provoque une série de débalancements économiques qui se répercutent sur tous les Mauriciens !

Blanchiment d’argent: inflation artificielle et économie parallèle

En 1996, l’UNESCO entreprend une vaste étude sur la dimension socio-économique du trafic de drogue. Sa conclusion : le trafic peut engendrer de graves crises financières. Cette théorie est démontrée par les crises mexicaine (1994-1995), thaïlandaise (1997) et japonaise (1990) prenant en compte la dimension de l'économie criminelle. «Autrement dit, ce que les économistes ont baptisé d'Effet tequila, à savoir la prospérité artificielle qui a précédé la crise financière mexicaine de 1994-95, avait sans doute quelque chose à voir avec un Effet cocaïne.»

En termes simples: tout l’argent qui échappe au contrôle de l’État devient une économie parallèle et artificielle et quand celle-ci interagit avec l’économie officielle, cela crée une économie «grise», point de passage entre l'activité économique parfaitement licite et l'économie «noire», celle des trafics et de l'illégalité.

Exemple: l’immobilier. Ce serait – au conditionnel – la filière préférée de nos jours pour le blanchiment d’argent. Les filières casinos, bookmakers, boîtes de nuit privilégiées dans les années 90 ne génèrent plus suffisamment d’argent pour blanchir l’argent du trafic de drogue et les narcotrafiquants se tournent désormais vers l’immobilier. «Quand un client – enrichi d’argent sale qu’il cherche à blanchir – peut offrir Rs 20 millions pour un produit immobilier qui peut en valoir Rs 10 millions, c’est le prix de tout le voisinage, voire de tout le pays qui gonfle», explique un agent immobilier.

Cette inflation immobilière, personne ne la mesure ici. Maurice ne figure pas dans l’indice mondial «Investment Property Dabatase Index» et il n’existe ainsi pas de chiffres précis sur l’inflation cumulative sur les dix dernières années. Mais pas la peine d’être un génie de l’immobilier pour constater que la valeur des produits immobiliers à Maurice grimpe très vite d’année en année. Certains agents immobiliers estiment qu’un terrain qui valait Rs 500 000 il y a dix ans, peut valoir jusqu’à Rs 2 millions aujourd’hui, soit une inflation de 400 % !

Pas sûr cependant que Jacques, l’habitant de la cité ouvrière où sévit le trafic de drogue, puisse espérer autant de sa maison.