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Oeuvres sur mesure dans les ateliers d’artistes de Pyongyang

16 janvier 2017, 13:55

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Oeuvres sur mesure dans les ateliers d’artistes de Pyongyang

 

«C’était une commande personnelle», explique le sculpteur nord-coréen Ro Ik-Hwa, en désignant un buste d’Abdul Qader Khan, le père de la bombe atomique pakistanaise accusé par Washington d’être un artisan de la prolifération nucléaire.

L’oeuvre trône dans un coin de l’atelier de M. Ro, au coeur des Studios artistiques de Mansudae, un complexe tentaculaire de Pyongyang voué à la production artistique. Cette cité est depuis décembre la dernière cible des sanctions adoptées par l’ONU pour contraindre Pyongyang à abandonner ses programmes nucléaire et balistique prohibés.

Adopté le 30 novembre, le sixième train de sanctions du Conseil de sécurité contre la Corée du Nord depuis 2006 comportait un paragraphe interdisant explicitement aux Etats membres d’acheter des statues nord-coréennes.

Le but? Etouffer cette niche très lucrative de l’économie nord-coréenne, afin de priver le régime d’une précieuse source de devises étrangères.

M. Ro, 77 ans, est un des plus grands sculpteurs du pays. Il a réalisé certaines des oeuvres les plus emblématiques de Pyongyang.

C’est, raconte-t-il, en visitant le Cimetière des martyrs de la Révolution et en voyant ses dizaines de statues qu’Abdul Qader Khan a eu envie d’avoir la sienne.

«Il souhaitait quelque chose de similaire en taille et en forme. Ce que j’ai fait», explique l’artiste à l’AFP, lors d’une visite organisée des Studios. Et «quand il a vu le buste, il a vraiment aimé alors il m’a envoyé une photo de lui en pied et demandé une statue. J’en ai faite une de deux mètres»

La soeur de Kim

M. Khan avait admis en 2004 avoir contribué à la prolifération nucléaire en vendant la technologie pakistanaise à la Libye, l’Iran et la Corée du Nord. Il était ensuite revenu sur ses déclarations mais la secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton l’avait néanmoins accusé de représenter «un risque grave de prolifération».

Témoignage d’une certaine mégalomanie, le buste est toutefois extrêmement modeste au regard d’autres oeuvres produites à Mansudae, comme le Monument de la Renaissance africaine (52 mètres) qui domine Dakar depuis 2010.

«Pour ce type d’oeuvres, nous envoyons des équipes qui travaillent entre un à cinq ans», explique Kim Hyon-Hui, responsable des Projets étrangers de Mansudae (MOP).

Au lendemain du vote de la résolution de l’ONU, le Trésor américain a ajouté le MOP à sa liste noire des entités «soutenant les activités nord-coréennes illégales».

Sur le papier, les Studios de Mansudae sont sous la responsabilité du chef de la propagande. Mais leur rentabilité et l’argent qu’ils brassent font qu’ils sont probablement contrôlés depuis beaucoup plus haut.

Selon diverses estimations, les bénéfices annuels seraient de l’ordre de cinq à 13 millions de dollars.

«Le contrôle réel des Studios relève de Kim Yo-Jong», la soeur du leader nord-coréen Kim Jong-Un, estime Michael Madden, responsable du site North Korea Leadership Watch.

Directrice adjointe du département de la Propagande et de l’Agitation, Kim Yo-Jong a rapidement gravi les échelons pour occuper aujourd’hui une position influente dans le premier cercle entourant son frère.

Patronage 'suprême'

Dans les pays occidentaux, les intérêts de Mansudae sont représentés par un Italien, Pier Luigi Cecioni, qui vend les oeuvres via un site internet.

A l’en croire, les Studios et le MOP jouissent d’un haut degré d’autonomie: «Ils ont presque rang de ministère», dit-il à l’AFP.

Avant les sanctions, l’Afrique était le premier marché du MOP qui, outre le Sénégal, a semé des statues en Angola, au Botswana, en Ethiopie, en Namibie ou au Zimbabwe.

Le responsable des projets étrangers du MOP s’est refusé à dévoiler les résultats financiers de Mansudae.

«Sur le plan strictement financier, Mansudae est un petit joueur», explique M. Madden. «Mais on ne met pas non plus la pression pour que les Studios rapportent davantage, compte tenu de leur place dans la culture politique du pays, sans parler de leur patronage +suprême+.»

Avec le réalisme socialiste qui caractérise son style et ses tarifs imbattables, le MOP avait tous les arguments pour séduire des gouvernements africains désireux d’affirmer une identité post-coloniale.

«Seuls les Nord-Coréens pouvaient construire mon monument, je n’avais pas d’argent», avait reconnu au Wall Street Journal l’ex-président sénégalais Abdoulaye Wade au sujet du Monument de Dakar.

Galerie permanente à Pékin

Près de 4.000 personnes travaillent aux Studios de Mansudae, un complexe fondé en 1959 qui abrite des centaines d’ateliers.

Ses 700 artistes obéissent à une hiérarchie très précise, avec au sommet la trentaine d'«Artistes du Peuple», comme M. Ro, qui jouissent d’un certain nombre de privilèges, comme un atelier individuel.

Leur salaire est cependant sans rapport avec la valeur de leurs travaux sur le marché international.

Considérée comme contre-révolutionnaire, l’abstraction y est interdite.

«Nous fabriquons des oeuvres qui sont demandées par la Révolution, qui font avancer les gens vers la Révolution», explique Hong Chun-Ong, un «Artiste du peuple» de 76 ans, spécialiste de la gravure sur bois et des images de propagande.

Décrit par M. Kim comme l’un des cinq plus grands artistes nord-coréens, M. Hong est un des rares qui ait voyagé à l’étranger, participant à des expositions en Asie, et même en Europe.

L’origine et l’authenticité des oeuvres nord-coréennes est une difficulté à surmonter pour les collectionneurs. Les grands artistes réalisent souvent plusieurs exemplaires de leurs oeuvres les plus populaires, lesquelles sont copiées par d’autres pour que davantage de personnes puissent les voir.

Une partie de la production de Mansudae est directement destinée au marché étranger. Les prix varient beaucoup, les oeuvres des artistes les plus cotés pouvant atteindre plusieurs centaines de milliers d’euros.

«Je ne m’occupe pas tellement de travaux de ce prix-là», déclare M. Cecioni. «Les artistes ne sont pas très connus, donc c’est difficile de trouver des acheteurs à ces tarifs».

La seule galerie permanente de Mansudae à l’étranger se trouve dans le quartier d’art moderne 798, dans le nord-est de Pékin.

Acheter directement à Mansudae est bien sûr une possibilité, mais les sanctions compliquent la donne. «On ne peut faire de transfert d’argent vers la Corée du Nord», rappelle M. Cecioni. «Alors à part y aller en personne, il n’y a pas beaucoup d’options».