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Dev Chooramun: prof, ma bataille

4 janvier 2017, 14:00

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Dev Chooramun: prof, ma bataille

À l’arrivée de la nouvelle année, nous n’aspirons qu’à une chose : respirer. Pour nous ressourcer en beauté, rien ne vaut un retour aux sources en bonne compagnie. Pendant cette première semaine de 2017, nous sillonnons les régions avec une personnalité qui y habite. Histoire de lui demander où elle va et ce qu’elle fait pour savourer un bol d’air frais.

Tellement de vacances qu’on en oublie les dates. Ça, c’est le job d’enseignant vu de loin. Le cliché. Dev Chooramun, artiste-peintre et professeur de dessin au collège Darwin, savoure ses derniers instants de liberté. Le temps de faire la route de son domicile à Bramsthan pour un saut à Trou-d’Eau-Douce, il nous peint l’ambiance de sa classe. L’ambiance d’une jeunesse. Tant de mal-être ambiant.

Trou-d’Eau-Douce a, pendant un temps, fait partie des coins préférés de l’artiste-peintre.

Si Trou-d’Eau-Douce a fait partie de ses coins préférés, aujourd’hui, il ne s’y sent plus à l’aise. Ce qui le dérange? Les «nouvelles générations». Ces bandes de jeunes qui envahissent les lieux avec leurs conversations bruyantes, où le volume augmente à mesure que la ration de boissons alcoolisées diminue.

«Zot an group. Zot kapav fer bann komanter.» Dans la soirée après 20 heures, «c’est comme à Grand-Baie». Dans la bouche de Dev Chooramun, la comparaison n’est pas flatteuse. Il met dans le même panier les technologies, les drogues synthétiques et les boissons alcoolisées. «Péna lespwar pou sa nouvo zénérasion-la.» Désespérance d’un enseignant.

«Quand je viens ici, je m’oublie moi-même»

Son emploi du temps est celui du collège Darwin, à Flacq. «Il suffit qu’un seul élève tombe dans ces fléaux, même si les autres n’y touchent pas, zot ousi zot vinn wild. Zot vinn mésan.» À coeur ouvert, Dev Chooramun raconte à quel point, il est très difficile de maintenir la discipline en classe. Avant, les élèves témoignaient du respect aux professeurs.

À l’époque, «quand je m’absentais, le lendemain, des élèves disaient: ‘Monsieur, vous n’êtes pas venu. Nous avions apporté tout notre matériel pour travailler’». Cela l’encourageait davantage à rendre ses classes animées. «Nou fer joke tousala.»

Aujourd’hui, il se retrouve avec des élèves qui se pointent dans ses classes d’art sans crayon, ni cahier de dessins. «Zot pa kas latet. Zot dir: ‘Sa pou pasé sa’.» Selon l’enseignant, les choses se sont vraiment gâtées au cours de ces trois-quatre dernières années.

«Kan lékol largé, lerla ki ou trouv bann grimas. Au point où vous vous dites qu’il vaut mieux ne pas avoir d’enfant.» (C’est le père d’un fils unique âgé d’une vingtaine d’années qui parle. Un papa qui, dans ses moments de confessions intimes, avoue qu'il aurait aimé avoir eu une fille, aussi).

L’enseignant revient à la charge. «Quand un élève vient sans son cahier de dessins, quelle punition vais-je lui donner? Je le mets à la porte. La prochaine fois, cinq autres élèves viennent en classe sans matériel. Zot kontan pou al asiz anba pié. Alors, j’apporte moi-même des feuilles de papier que je leur donne. Aster-la enn pou dir li péna krayon. Bé linn vinn lékol zis ar so dipin ek so boutey dilo.»

Il y a une chose que les élèves n’oublient jamais : le téléphone portable. Objet officiellement interdit dans les établissements scolaires. «Proféser so portab fel. Enn zélev Form I, Form II, saryé enn portab Rs 20 000. À une époque, j’hésitais à sortir mon portable devant les élèves. Bann-la boufonn ou.»

Pas fini. Il faut entre 10 et 15 minutes pour que les élèves se calment avant de commencer la classe, témoigne Dev Chooramun. Il leur fait faire un exercice de respiration et de concentration. «Ladan éna so latet dir. Li pou fer komanter.» (On s’abstiendra de rappeler à Dev Chooramun qu’en son temps, il a fait des études aux Beaux-Arts en Inde, sans rien dire à sa famille. À son retour, il a dû affronter la fureur de ses proches qui croyaient le voir revenir avec un diplôme en comptabilité en poche).

Pour évacuer le stress, l’enseignant file à Palmar s’asseoir sur les rochers qui affleurent la surface de la mer.

Vite, il est grand temps d’évacuer tout ce stress. Dev Chooramun file à Palmar, «ler tanto». Pour aller s’asseoir sur les rochers qui affleurent la surface de la mer. Écouter le son des vagues qui «kares dimounn». Laver ce qu’il a sur le coeur à l’écume des brisants. Vivant qui se répare grâce aux dégradés des tons de la mer.

«Ne croyez pas que ces rochers sont noirs. C’est une couleur foncée oui, mais elle est faite des reflets de la mer, du gris des nuages.» On retrouve enfin l’adolescent qui prenait sa bicyclette pour rouler jusqu’à Bel-Île, à Trou-d’Eau-Douce, pour regarder peindre France Staub et Marcel Lagesse. «Quand je viens ici, je m’oublie moi-même.»

Dev Chooramun reprend son souffle pour transcrire l’inspiration sur la toile. Il est le peintre des fleurs. Dans son monde à lui, c’est avec des fleurs qu’il recrée un dodo, des danseurs, un instrument de musique… «Bien tigit dimounn pran enn fler roul roul li dans so lamé. Moi, je me change en abeille pour entrer dans la fleur. Auguste Renoir et Claude Monet étaient des jardiniers. La nature, c’est notre mère. Bizin gard li bien, pa fer dézord.»

Son jardin secret, c’est l’ancienne sucrerie de Belle-Mare, accessible à pied uniquement. De belles arches de pierres taillées bien préservées. À chaque fois que Dev Chooramun y trouve refuge, «far from the madding crowd (NdlR, c’est lui qui cite Thomas Hardy)», c’est pour imaginer toutes les activités artistiques que ce lieu pourrait abriter. Des sculpteurs, des peintres en live, côtoyant le public et des artistes étrangers. Voeux pieux devant des flamboyants en fleur. Pétarades de la Nature.

Pour saluer qui sait, l’année où l’ancienne sucrerie transformée serait alors une version de La Citadelle (espace artistique) de l’Est?