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Changements au niveau du CSR: des ONG K.-O.

26 décembre 2016, 14:25

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Changements au niveau du CSR: des ONG K.-O.

Tout le monde n’aura pas le cœur à la fête en cette fin d’année. À commencer par les organisations non gouvernementales qui ont vu leurs principaux bailleurs de fonds se retirer, au lendemain du Budget, en raison des changements aux règlements de la responsabilité sociale des entreprises (CSR).

Géraldine Aliphon, directrice d’Autisme Maurice, et Michel Vieillesse, directeur de Kinoueté, font grise mine. En sus de fournir un accompagnement approprié aux enfants autistes de différentes tranches d’âge, Autisme Maurice proposait, jusqu’à la semaine dernière, un service de diagnostic avec des spécialistes que sa directrice a dû fermer. De son côté, Michel Vieillesse et son équipe de Kinoueté avaient formulé un plan stratégique permettant à l’organisation de couvrir toutes les prisons régulièrement. Il était prévu que le plan démarre par la formation du personnel. Il a dû geler son schéma directeur et même dégraisser. Depuis, Michel Vieillesse rogne sur tous les coûts. «Toutes nos réserves seront épuisées d’ici janvier. Ce n’est qu’à la fin de janvier que nous saurons ce qu’il adviendra de Kinouété», dit-il.

Michel Vieillesse, directeur de Kinoueté, et Géraldine Aliphon, directrice d’Autisme Maurice.

Que s’est-il passé pour que deux organisations non gouvernementales aussi sérieuses – elles soumettent régulièrement leurs comptes audités aux autorités – en soient arrivées là? «Deux jours après la présentation du dernier Budget dans lequel le ministre des Finances a annoncé la mise sur pied d’une National CSR Foundation vers laquelle les entreprises doivent diriger 50% des 2% de leurs profits en 2017 et 75% l’année financière suivante (dépendant des compagnies qui clôturent soit fin juin, soit fin décembre), notre principal bailleur de fonds nous a envoyé un mél dans lequel il disait devoir stopper son aide avec effet immédiat en raison des changements annoncés», raconte Géraldine Aliphon pour qui cette allocation représentait 90% de son budget. Kinoueté a été frappée de la même façon et c’est 35% de son budget qui est parti ainsi en fumée.

Cela dit, les deux ne sont pas contre la nouvelle formule d’opération du CSR car ils sont conscients que dans le passé, les ONG ont poussé comme des champignons et qu’il y a eu de mauvaises pratiques chez certaines d’entre elles. C’est ce qui aurait incité le gouvernement à reprendre le contrôle d’un fonds CSR qui tourne approximativement autour de Rs 800 millions par an.

«Nous sommes apolitiques»

Si la nouvelle formule annoncée par Pravind Jugnauth dans son dernier Budget est faite «de façon transparente, ce sera une bonne chose», déclare la directrice d’Autisme Maurice. Elle fait ressortir qu’en France, c’est ainsi que ça se passe et les «ONG ne répondent à ce moment-là qu’à une seule institution et elles n’ont pas besoin de courir derrière une cinquantaine de parrains. Un contrat est passé entre la Fondation et l’ONG pour une aide durant un certain nombre d’années. Et ça fonctionne bien. Ici, sur papier, c’est bien. Mais il faudra voir dans la réalité».

À les écouter, 80 ONG seraient dans la même situation qu’eux. Si bien que quelques semaines après la présentation du Budget, elles se sont rencontrées dans la grande salle de l’Institut Cardinal Margéot et ont exprimé une volonté de s’unir et de dire aux autorités les conséquences de ces nouvelles mesures sur leur survie. «Nous avons fait remonter nos doléances à tous les ministères concernés – Finances, Intégration sociale, Sécurité sociale, Égalité du genre», expliquent-ils. Kinoueté leur ayant même fourni des statistiques de la baisse dans le taux de récidive des détenus – 92% en 2012 à 68% en 2015 – pour leur montrer comment les sessions de réhabilitation personnelle dispensées par l’ONG, alliées aux formations professionnelles mises en place par l’ancien commissaire des prisons Jean Bruneau, ont porté leurs fruits. Le seul à les recevoir pour les écouter a été Gérard Sanspeur, Senior Adviser au ministère des Finances.

Les ONG ont aussi saisi le Mauritius Council for Social Service et un comité technique a été institué et présidé par Ashraf Caunhye pour revoir les règlements et tenir compte des spécificités des ONG. Après un silence radio, les autorités commencent à considérer leurs propositions. «Nous avons d’abord entendu dire que la fondation sera instituée en janvier et puis, on parle de février. Le temps qu’elle se mette en place et décaisse, il faudra compter au moins six mois», estime Michel Vieillesse, qui considère que c’est du temps perdu. «Entre-temps, il faudra faire une cessation de nos activités que nous espérons temporaire.»

Géraldine Aliphon pense qu’avec l’instabilité politique de la semaine écoulée, les nouveaux venus devront prendre du temps pour se familiariser aux dossiers des ONG. «Nous sommes apolitiques. Mais prenons le cas d’Aurore Perraud, ministre de l’Égalité du genre, qui a été l’interlocutrice du Collectif des Droits des Enfants. Maintenant qu’elle est partie, il faudra rebâtir les relations avec la nouvelle équipe qui viendra et instruire les dossiers. Il faudra encore des consultations et cela retardera davantage nos opérations.»

Cette cessation pourrait-elle être permanente ? «Ce qui est sûr, c’est que notre avenir est incertain, voire menacé.» Mais pour Géraldine Aliphon, pas question d’abandonner la partie. «Il y a un grand besoin chez les enfants autistes. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour continuer. Quitte à fermer certains services pour mieux les rouvrir par la suite.» Michel Vieillesse attend la fin de janvier pour se prononcer. Il pense toutefois qu’il est possible d’éviter le pire si le gouvernement nommait rapidement le responsable de cette fondation et décaissait des fonds pour trois mois d’opération aux ONG qui soumettent régulièrement leurs comptes audités. Ce qui leur éviterait l’asphyxie.

De leur côté, les ONG œuvrant dans le même secteur, soulignent-ils, sont disposées à se regrouper et devenir un interlocuteur unique pour la National CSR Foundation. «Cela facilitera les rapports.» En attendant que le flou soit dissipé, le rideau risque de tomber sur bon nombre de ces ONG…