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Swadicq Nuthay: «Relancer la croissance par la consommation entraînerait l’endettement»

23 novembre 2016, 15:40

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Swadicq Nuthay: «Relancer la croissance par la consommation entraînerait l’endettement»

Swadicq Nuthay, économiste et CEO d’ABC Capital, estime que sans une nouvelle vague de réformes ainsi qu’une réallocation des ressources à de nouveaux piliers économiques, le pays continuera à souffrir des effets d’une basse croissance.

Toutes les institutions locales et internationales prévoient une croissance inférieure à 4 % pour le pays en 2016 et 2017. Or, les spécialistes vous diront que sans une croissance de plus de 5 %, il sera difficile, sinon impossible, de relancer la machine pour créer des emplois productifs. Est-ce une situation qui vous inquiète ?
Absolument, d’autant plus quedepuis la crise financière de 2007, le pays est entré dans un cycle dans lequel la croissance a emprunté une courbe descendante, entraînant dans son sillage un plafonnement du taux d’investissement, voire une baisse importante et de fortes pressions sur le marché du travail. Avec pour conséquence que Maurice se retrouve aujourd’hui avec un taux de chômage d’un peu plus de 7 %, plus particulièrement parmi les jeunes. Ceci résulte d’une inadéquation entre les besoins de compétences du marché et l’offre de la main-d’oeuvre existante et aussi de la rigidité des pratiques liées à l’embauche.

Cela fait presque une décennie que le pays souffre des effets d’une croissance économique en berne. Certes, sans les réformes économiques de 2005, les conséquences seraient bien plus graves. Ces réformes sont venues atténuer l’impact de la crise financière de 2007-2008 avec une réallocation des ressources à des secteurs d’activités à la fois nouveaux et dynamiques, porteurs d’un potentiel de croissance élevée. Il y a eu en parallèle de nouvelles mesures pour alléger la manière dont on fait du business à Maurice (Ease of Doing Business).

Mais les bénéfices découlant de ces réformes ont été au fil des années grandement érodés…
Tout à fait. Cela s’est manifesté particulièrement par une baisse de croissance de la productivité qui elle-même est à l’origine de la chute du taux d’investissements du secteur privé. Force est de constater que les gains en productivité provenant de ces investissements sont négligeables.

Ce qui m’amène à affirmer que sans une nouvelle vague de réformes économiques qui doivent obligatoirement entraîner une réallocation plus efficiente de nos ressources, la situation va s’aggraver.

Après ce constat que vous venez de dresser, allez-vous jusqu’à dire qu’une croissance supérieure à 4 % relève du domaine du possible ?
Oui techniquement, c’est possible, mais je ne crois pas aux miracles. On ne fait pas d’omelette sans casser des oeufs, le pays a besoin des ingrédients clés pour arriver à un tel niveau de croissance. Je pense particulièrement à la nécessité pour le gouvernement d’apporter des réformes structurelles à l’économie, et ce, à plusieurs niveaux.

D’abord, la réorientation de l’économie vers de nouveaux secteurs tournés vers l’industrie de services qui représente aujourd’hui presque 75 % de notre produit intérieur brut. Le potentiel de croissance existe notamment dans les secteurs dits high-tech mais aussi dans la finance, dans l’éducation et la santé – les gouvernements qui se sont succédé ont souhaité positionner Maurice comme des hubs pour ces nouveaux piliers économiques.

Autre condition sine qua non : l’ouverture de l’économie vers l’extérieur pour attirer des capitaux et l’expertise étrangère. Il n’y a pas à sortir de là si on veut ouvrir le pays aux talents et au savoir-faire étrangers. Une telle ouverture devrait contribuer à promouvoir l’adoption de pratiques de production plus efficaces et à élargir la disponibilité des ressources hautement productives afin de soutenir l’activité et la création de richesse. Mais il faut qu’on réalise que Maurice n’est pas le seul pays au monde qui veut attirer ces compétences étrangères et que la compétition est rude. Une stratégie d’ouverture du pays aux compétences étrangères n’est pas un choix, mais une nécessité.

Existe-t-il d’autres contraintes à éliminer ?
Nous avons parlé au début de l’Ease of Doing of business qu’il faut améliorer pour s’assurer que l’industriel souhaitant investir dans un projet ne doit pas faire le tour des ministères pour décrocher tous ses permis. On n’arrête pas de dire que tout est centralisé aujourd’hui et qu’il existe une one-stop shop pour traiter un projet d’investissement. Or, il nous semble que pour beaucoup d’investisseurs étrangers et locaux, c’est encore un parcours de combattant. Même l’exécutif se plaint de cette bureaucratie pour l’exécution des projets.

Je suis d’avis que la meilleure chose à faire dans certains cas, c’est la mise en place du «silent agreement» après un délai prescrit dans la loi pour l’obtention de permis et de licences.

«Il faut qu’on construise un pont entre le monde des affaires et l’université.»

Pour en revenir à la croissance économique, certains pensent qu’on devrait relancer la croissance à travers la consommation. Êtes-vous de cet avis ?
Non. Une analyse en profondeur des composants de la croissance nous démontre déjà que la consommation ménagère a augmenté de 73 % du PIB pour la période 2003-2008 à 80 % du PIB pour la période 2009-2013. La consommation privée a progressé de 5,1 % annuellement alors que les salaires en termes réels n’ont progressé que de 2,8 % annuellement. Ce qui a pour conséquence une augmentation de l’endettement des ménagers. On consomme davantage qu’on ne produit !

Durant la même période, le poids de l’investissement ainsi que l’exportation par rapport au PIB a régressé. Cela explique la détérioration de nos indicateurs économiques.

Revenons à l’ouverture de Maurice aux compétences étrangères, est-il vrai de dire que le pays manque cruellement d’expertise locale ?
Bien entendu. L’inadéquation entre les besoins de compétences du marché et l’offre de la main-d’oeuvre existante est un des problèmes structurels auxquels le pays doit faire face. Je pense à certains secteurs comme la haute finance ou les Technologies de l’information et de la communication. Mais il y a aussi un manque de techniciens qualifiés dans d’autres secteurs.

Je pense qu’il faut absolument qu’on construise un pont entre le monde des affaires et l’université pour qu’on arrive à mieux former les étudiants pour intégrer le monde du travail. Il faut que ces jeunes deviennent des innovateurs. Il nous faut investir dans la recherche et le développement. On est très en retard à ce niveau.

Dans le Global Competitive Index 2014, Maurice s’est classé à la 76e place. Ce qui est très loin des autres upper middle-income countries. Cela réduit notre capacité à attirer des investissements étrangers à haute valeur ajoutée et à absorber la connaissance high-tech. D’où la nécessité de renforcer le niveau de notre système éducatif, qui doit être plus poussé vers l’innovation, la recherche et le développement.

Donc, comme mentionné plus haut, nous avons grandement besoin des compétences étrangères pour faciliter le transfert du know-how aux Mauriciens mais aussi pour développer notre stratégie africaine visant à faire de Maurice le Singapour de l’Afrique.

La victoire inattendue de Donald Trump à la présidence américaine est venue bouleverser les marchés financiers, avec un dollar qui connaît une reprise face à d’autres devises comme l’euro et le yuan. Comment analysez-vous cette situation ?
L’élection de Trump aux présidentielles américaines a certainement pris de court les marchés qui s’attendaient à une victoire de la démocrate Clinton. L’EURUSD et l’USDJPY ont chuté à 1,13 et 101,84 respectivement à l’annonce des résultats. Cependant, face aux mesures protectionnistes de Trump, le dollar américain s’est très vite rallié, depuis, atteignant son niveau le plus haut depuis 13 ans. L’EURUSD est maintenant à 1,06 alors que l’USDJPY est à 110, 84.

Parmi les mesures de Trump figure le corporate tax repatriation plan pour encourager les multinationales à rapatrier leurs réserves d’argent ainsi que certaines unités de production, de l’étranger. Ceci vise un retour de centaines de milliards de capitaux aux États-Unis, permettant ainsi une relance de l’investissement domestique.

Une autre mesure est l’augmentation des dépenses d’infrastructure, qui va entraîner une hausse de l’inflation, renforçant donc l’anticipation d’un cycle de hausse des taux, un support additionnel au dollar. La position de Trump sur le commerce est aussi favorable au dollar américain, car il vise à réduire les importations étrangères ainsi que le déséquilibre commercial auquel les États-Unis font face. Nous faisons désormais face à une politique économique protectionniste de la plus grande économie mondiale.

Maurice souffre déjà des conséquences économiques du Brexit. Comment voyez-vous l’évolution de la situation ?
Le Brexit représente un défi majeur et des incertitudes additionnelles pour Maurice. Notre destin n’est malheureusement pas entre nos mains. Tout va dépendre des négociations entre l’Union européenne et la Grande-Bretagne. Celle-ci demeure notre principal marché en Europe avec 18 % de nos exportations.