Publicité

A Karachi, les greffes gratuites d'un médecin de l'espoir

17 novembre 2016, 11:25

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

A Karachi, les greffes gratuites d'un médecin de l'espoir

Manque de moyens, corruption, désorganisation... les hôpitaux publics pakistanais souffrent de maux graves, mais, dans un centre de transplantation rutilant, un médecin de Karachi a redonné espoir à des millions de personnes: il oeuvre gratuitement.

Des patients pauvres font des kilomètres pour camper sur le béton brûlant devant l'entrée de l'établissement, dans l'espoir d'y être soignés.

Son fondateur, le Dr Adibul Rizvi, cheveux blancs et démarche preste, travaille d'arrache-pied du matin au soir. Il n'a pas de bureau à lui mais arpente les couloirs pour se rendre au chevet des patients - enfants, VIP ou criminels, sans distinction.

A 79 ans, ce chirurgien continue de pratiquer des greffes. Son enthousiasme est intact quand il évoque l'épopée qui a débuté avec un service de huit lits, devenu en grandissant l'une des principales structures de transplantation d'Asie du Sud, où l'on greffe principalement des reins.

Un exploit à bien des niveaux: l'Institut d'Urologie et de Transplantation du Sindh (SIUT) est largement financé par des dons individuels; et en quatre décennies, il a soigné plusieurs millions de personnes.

En 2015, plus de 300 transplantations et 260.000 séances de dialyse y ont été effectuées, totalement gratuitement, y compris les traitements de suivi.

«Dans un pays en voie de développement, les gens n'ont pas les moyens de se faire soigner», regrette le Dr Rizvi, décrivant l'inimaginable pauvreté à laquelle sont confrontés les employés des dix centres de santé que son organisme gère dans le pays, soit 1.200 lits au total.

Droit à la santé

Le gouvernement participe, fournissant environ 30% du budget de SIUT, mais cela ne suffit pas à mettre en oeuvre l'idéal du médecin selon qui «chaque être humain (...) a le droit d'avoir accès à des services de santé et de vivre avec dignité».

Pour parvenir à ses fins, le Dr Rizvi «s'est adressé à tous les citoyens, pour faire de chacun un partenaire», comme c'est le cas dans les pays dotés d'une Sécurité sociale.

Les Pakistanais ont une telle confiance en l'établissement qu'ils ont été soulagés lorsque le philanthrope le plus respecté du pays, Abdul Sattar Edhi, décédé cette année à 92 ans, a commencé à y être dialysé il y a huit ans.

Mais lors de la fondation du SIUT en 1974, il n'a pas été simple de convaincre les Pakistanais de faire des dons à une telle cause.

En effet, si la charité est l'un des cinq piliers de l'islam, nombreux sont ceux qui pensent que le don d'organe est contraire à la loi coranique. Or pas d'organe, pas de greffe. Pour surmonter l'obstacle, le Dr Rizvi a dû se tourner vers les dignitaires religieux.

«Heureusement», explique-t-il, «ils se sont tous accordés à dire que le don d'organe était tout à fait islamique», à condition que tous les proches l'approuvent et que des organes provenant de musulmans ne soient pas transplantés à des non-musulmans.

Malgré cela, le manque de sensibilisation au Pakistan sur les dons d'organes «entrave notre développement», admet le Dr Rizvi.

Même nourriture, même lit

L'impeccable propreté et l'efficacité du SIUT étonnent les nouveaux venus, car ces caractéristiques sont rares dans les établissements de santé pakistanais.

Dans une pièce bleu clair du service pédiatrique, une jeune femme distrait les petits patients pour qu'ils restent «calmes et détendus» lors de leur dialyse: Sanober Ambreen organise avec eux des activités musicales et artistiques, voire des spectacles.

Les jeunes malades sont très pénalisés, dit-elle: les soins qui durent plusieurs heures au moins deux fois par semaine entravent leur scolarité et beaucoup finissent par abandonner l'école.

Hina Hameed, 17 ans, est dialysée depuis qu'elle a quatre ans et a jeté l'éponge au début du collège. «J'aimerais pouvoir reprendre mes études», dit la frêle jeune fille, qui s'est promis de le faire si elle obtenait une greffe.

Quelques pièces plus loin, Ejaz Mushtaq est enchaîné au lit, un policier armé à son chevet, tandis que son sang est filtré par le dialyseur. Il est en détention provisoire en attendant son procès, accusé d'avoir attaqué des policiers. Ses reins ont commencé à lâcher pendant sa garde-à-vue et il vient deux fois par semaine au SIUT. «C'est un bon établissement, surtout pour les pauvres», admet-il. 

Un détenu est soigné de la même façon qu'un VIP ou que tout autre patient, «même nourriture, même lit», assure le Dr Rizvi. Certains l'acceptent mal, reconnaît le chirurgien.

Il est parfois menacé, mais cela se règle à l'amiable, raconte-il: «Nous nous asseyons avec eux, nous parlons, nous leur montrons: vous voyez cet homme, nous le soignons, il est comme vous et moi. Devrais-je le laisser mourir?»

La retraite? Le Dr Rizvi hausse les épaules. «Mes confrères travaillent de la même façon. Mais la plupart font de l'hypertension, pas moi», rit-il.