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Gilberte Chung: «La discontinuité, d’un ministre de l’Éducation à l’autre»

18 octobre 2016, 22:00

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Gilberte Chung: «La discontinuité, d’un ministre de l’Éducation à l’autre»

Gilberte Chung, directrice du Service diocésain de l’éducation catholique (SeDEC) estime qu’au cours des 20 dernières années, ce que le gouvernement en place a «fait», le gouvernement suivant a «défait» !

Le SeDEC gère combien d’écoles primaires et secondaires ? Combien d’élèves et combien d’enseignants ?
Il faut compter 46 écoles primaires Roman Catholic Authority, deux écoles primaires privées Lorette, 17 collèges secondaires grant-aided, un collège secondaire privé et un collège technique, donc au total, ce sont 67 établissements pour approximativement 30 000 élèves et 3 000 membres du personnel enseignant, administratif et personnel de soutien.

Qu’en est-il du financement des écoles du SeDEC par l’État ? Il finance quoi exactement ?
La majorité de nos écoles catholiques, soit 63 sur les 67, sont subventionnées par l’État. Quand on dit grant-aided, cela veut dire que les écoles bénéficient de l’aide de l’État à travers des subventions. Il finance les salaires du personnel, les coûts opérationnels de l’établissement, et paie au propriétaire de l’établissement une somme symbolique pour l’utilisation de ses biens immobiliers --je dis bien symbolique car la rental value de chaque établissement est beaucoup plus élevée. Il y a un Grant Formula applicable pour la Roman Catholic Education Authority et la Hindu Education Authority par rapport aux écoles primaires grant-aided, et une Comprehensive Grant Formula, applicable pour tous les collèges privés grant-aided.

On dit que le SeDEC n’est pas partie prenante du Nine-Year-Schooling (NYS). Ce n’est pas tout à fait vrai ?
Nous sommes dans le système éducatif national. Donc, quand il y a une réforme éducative telle que la NYS, nous sommes automatiquement impliqués, comme pour toutes les écoles publiques et privées qui préparent leurs élèves pour le Certificate of Primary Education (CPE), Form III National Exam, School Certificate et Higher School Certificate.

Ainsi, si le gouvernement décide que le CPE n’existera plus dans sa forme actuelle et que ce sera le Primary School Achievement Certificate (PSAC), qui entrera en vigueur à partir de 2017, nous nous devons de préparer nos élèves à ce nouveau mode d’évaluation nationale, de même que pour le National Form III Assessment. Nous sommes donc dans la réforme à ce niveau-là. Cependant, quand la première cuvée du PSAC 2017 aura pris part aux examens nationaux de Form III/Grade 9 en 2020, les élèves pourront choisir de rester dans leur General Secondary School, ou choisir une académie, ou être orientés vers un collège technique. À ce jour, il n’y a que les collèges nationaux qui seront transformés en académies à partir de 2021. Aucun des collèges catholiques existants ne sera transformé en académie. Il s’agit pour nous d’un choix : nous nous concentrerons sur le General Secondary Schooling et la filière technique.

Quel est le fondement de ce choix ?
Notre choix est fondé sur notre philosophie éducative qui est inclusive et qui repose sur l’accueil des élèves aux aptitudes diverses, la prise en compte des intelligences multiples et le refus d’une filière purement élitiste. Que nos élèves qui sont déjà dans nos collèges et qui ont de très bons résultats académiques sachent qu’ils peuvent continuer à avoir de bons résultats, tout en étudiant à côté de camarades de classe qui ont des aptitudes diverses.

Il n’est pas nécessaire pour eux d’étudier dans un cadre purement élitiste ou compétitif. On est compétitif envers soi-même en voulant s’améliorer et faire de son mieux, mais on ne doit pas être compétitif au détriment de l’autre car cela exclut l’entraide et le travail de groupe, qui promeut la collaboration et la socialisation. Une école, c’est une mini-société, pas un ghetto. C’est le lieu des savoirs, oui, mais aussi du savoir-faire, du savoir être et du savoir-vivre ensemble…

Ce que l’État devrait faire, c’est améliorer la qualité infrastructurelle de chaque école primaire et secondaire, afin que toutes soient des centres d’excellence dans chaque région. L’excellence, c’est la qualité pour tous et non pour une poignée seulement.

Pour répondre à votre question, oui, nous sommes dans la réforme puisque nous opérons dans le système national. Nous n’avons pas la liberté du choix du mode d’évaluation finale, qui est une décision politique nationale. L’idéal, bien sûr, aurait été une NYS avec un seul mode d’évaluation finale au bout de neuf ans, et non deux examens : le PSAC pour les enfants de Grade 6 et le National Form III Exam pour les étudiants de Grade 9. Car il ne faut pas oublier qu’il y a aussi le SC et le HSC, donc quatre examens importants dans la vie de nos enfants et jeunes. Ils passent plus de temps à prendre part à des examens qu’à apprendre des choses nouvelles et à ouvrir leur intelligence.

Vous affirmez que la pression sur les élèves baissera dans les classes des StandardV et VI – avant l’introduction du PSAC qui remplacera le CPE -, mais se déplacera sur les Form I à III (avant l’examen national pour accéder aux Académies) et les classes de Form IV à VI (avant les examens de SC & de HSC). Pourriez-vous être plus explicite ?
J’espère bien que la pression sur les élèves de 10-11 ans diminuera puisque tous les enfants, après le PSAC, iront automatiquement au collège. En fait, un des buts de la réforme est l’abolition du CPE qui est remplacé par une évaluation plus souple, avec l’introduction des Non-core subjects. Donc, il faudrait que les parents comprennent ce changement et laissent leurs enfants profiter de leur enfance, en leur faisant pratiquer, par exemple, des activités sportives, culturelles et sociales.

Ils l’avaient compris quand, par exemple, il n’y avait que les collèges régionaux mais à partir de l’instauration de la note A+ et la mise en place de collèges nationaux, la compétition pour une place dans un collège national a repris ! Il ne faut pas se voiler la face : nous savons qu’à Maurice, le phénomène de leçons particulières devient une maladie chronique à l’approche des examens. Avec la NYS, ce sont les examens de Form III/Grade 9 qui seront plus importants puisque certains parents voudront que leurs enfants aillent dans une académie. Par rapport aux FormV et VI, rien ne change et les élèves continueront probablement à prendre des leçons particulières.

Pour mettre fin à ce mal, je pense que le gouvernement doit s’attaquer au problème et légiférer sur les leçons particulières. Sans leçons particulières, ou tout au moins des conditions encadrant la tenue des leçons «particulières», en petit groupe et non dans une classe entière, les élèves s’absenteront moins de l’école puisqu’ils ne pourront que compter sur ce que leurs enseignants de l’école vont leur inculquer. Nos enfants et nos jeunes prennent aujourd’hui des leçons après les heures de classe et pendant le week-end. Ils n’ont pas le temps de s’adonner à des activités. Le système éducatif français est intéressant comme exemple, car le suivi des enfants en difficulté est organisé par l’établissement scolaire et se fait à l’école : il n’y a pas de leçons particulières ou presque pas.

La présentation de la NYS aurait dû être suivie d’un vaste débat national avant son application. Partagez-vous ce point de vue ?
Il faut faire la part des choses. S’il y avait eu un vaste débat national, au pire il n’y aurait jamais eu de consensus, donc pas de réforme. Au mieux, on aurait pris un an (ou plus) de discussions et de négociations, puis à peine un plan d’action décidé et mis en place, en tenant compte du moratoire à donner pour tout changement, on aurait commencé quelque chose…

Puis à peine le premier démarrage, il y aurait eu les élections, puis des changements au niveau du ou des gouvernements et comme on l’a constaté ces 20 dernières années à Maurice, le gouvernement en place «fait» et le prochain gouvernement «défait», ou un ministre ‘fait’ et celui qui le succède «défait» et c’est toujours un pas en avant et deux pas en arrière…

Pour revenir à votre question, en fait, l’ébauche de la NYS a commencé avec les précédents gouvernements. Tout ce qui se met en place actuellement, pas dans les détails mais dans les grandes lignes d’action, a déjà été discuté et présenté sous toutes ses formes par les ministres Pillay, Obeegadoo, Gokhool et Bunwaree. Donc, la question est soit «recommencer le vaste débat national pour finalement ne rien faire ou très peu ?» ou «commencer à mettre des choses en place, avec le risque que ce soit défait par le prochain gouvernement ?»

Quel regard portez-vous sur la succession des ministres à l’Éducation ? Vous avez déploré une discontinuité dans l’action de ce ministère…
Effectivement, avec tout ce qui se fait, se défait et se refait depuis ces 20 dernières années, qu’avons-nous accompli pour nos enfants et nos jeunes ? Est-ce que tous nos enfants arrivent à lire, écrire et compter ? Est-ce que nos jeunes ont une connaissance élargie du monde ou n’ont-ils appris que des choses compartimentées ? Sont-ils capables de faire une analyse critique de tout événement social, économique ou politique, de trouver des solutions à des problèmes, d’innover ? Est-ce qu’ils ont acquis les compétences essentielles humaines et une conscience sociale ? Est-ce que la qualité de notre éducation s’est améliorée ?

Nous retenons du plan Pillay le concept de la Middle School, très semblable à la NYS mais il n’a pu le mettre en place. Du plan Obeegadoo, c’est l’abolition du Ranking system au niveau du CPE, la régionalisation avec la construction de collèges JSS et le concept de Forms I-V Secondary schools et le Sixth-Form school. Puis le ministre Gokhool a réinstauré les collèges nationaux et la note A+ avec les GSS reconvertis en SSS. Le ministre Bunwaree a commencé le Enhancement programme en Std III-IV et la ministre Dookun-Luchoomun a préféré une autre option avec les Remedial & Support teachers… sinon des tablettes en Form IV et V ou en Std I et II…

La ministre Dookun-Luchoomun n’a pas encore réussi à abolir le CPE… et les National schools… On parle d’académies ou de centres d’excellence, mais toutes nos écoles doivent être des centres d’excellence…

Voilà pourquoi je pense depuis toujours que c’est une autre autorité, apolitique, qui aurait dû avoir la charge de l’application d’un plan de réforme de l’éducation… discuté et approuvé par tous les stakeholders avant de mettre le cap et d’avancer. On aurait accompli en sept ans tout ce que nous avons perdu ou retardé depuis ces deux décennies. On se serait donné le temps de faire les choses bien, étape par étape, depuis le pré-primaire jusqu’à la Form VI, avec des évaluations ponctuelles et des réorientations nécessaires pour améliorer et non tout démolir.

Comme on l’a écrit à plusieurs reprises, Maurice ne fait toujours pas partie du Programme international pour le suivi des acquis des élèves, qui est un ensemble d’études menées (depuis 2000) par l’Organisation de Coopération et de Développement Économique et qui vise à mesurer les performances des systèmes éducatifs des pays membres et non membres. Qu’en pensez-vous ?
C’est parce que notre système éducatif ne donne pas de chances égales à tous avec une assurance de qualité pour veiller à ce que tous les élèves progressent selon leurs capacités individuelles. C’est parce qu’il y a toujours 30 % de nos enfants de 11 ans qui n’arrivent pas à passer le cap du cycle primaire et même parmi les 70 % qui réussissent, il y a une bonne partie - au moins 20 % - qui n’ont pas acquis les compétences de base en literacy et numeracy et qui ont réussi à «passer faiblement» à force d’apprendre par coeur ou à «s’entraîner» à répondre à des questionnaires types.

Il ne faut pas oublier que si l’on se fie seulement aux résultats des examens de CPE, SC et HSC, sur chaque 10 élèves, sept obtiennent leur CPE (et je dirai que cinq seulement ont vraiment le niveau de fin de cycle), cinq ont leur SC et seulement trois détiennent leur HSC. Il s’agit là du système éducatif mainstream académique mais on n’a pas de mesure de la professionnalisation de nos jeunes, ni de valorisation du secteur technique.

Il y a encore du chemin à faire. Nos élèves apprennent davantage à répondre aux questionnaires et n’ont pas appris à analyser des problèmes et trouver des solutions. Ils ne vont pas à l’école juste pour le plaisir d’apprendre et de découvrir de nouvelles choses. C’est le système qui faillit aux enfants et non l’inverse.