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Réna Etienne: nettoyer, balayer, astiquer, progresser

4 septembre 2016, 11:58

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Réna Etienne: nettoyer, balayer, astiquer, progresser

Un abandon scolaire, quelle qu’en soit la cause, n’est pas une fin en soi. Réna Etienne est la preuve, s’il en fallait encore, qu’en étant curieux de tout et en voulant apprendre et progresser, on peut réussir professionnellement. Autrefois cleaner, elle est aujourd’hui Quality Coordinator à Alpha Cleaning et siège sur le conseil d’administration du groupe.

«Zamé mo ti a pansé mo ti pou ariv ziska konsey administrasyon», raconte une Réna Etienne, encore bluffée par cette décision de la direction qui remonte pourtant à 2012. À 52 ans, cette Rodriguaise, confiée à ses grands-parents à l’âge de neuf mois et qui les a suivis à Maurice lorsqu’elle avait six ans, est la plus ancienne employée d’Alpha Cleaning. Elle a intégré cette société un an après l’ouverture. Celle-ci a été fondée en 1986 par Alain et Daniel Poupinel de Valencé et dirigée par Ranjiv Nuckchady.

Et bien que Réna ait «les dents de la chance» comme on le dit des personnes ayant un écart entre leurs deux incisives centrales, elle sait que la chance n’y est pour rien dans son parcours. Elle attribue d’abord son exigence du travail bien fait à la seconde femme de son grand-père, qui lui a appris à «fer louvraz dan lakaz», de même qu’à remettre son métier sur l’ouvrage lorsque la tâche était mal exécutée. Le sens du détail et de la finition, elle le doit à un de ses anciens superviseurs «ki ti kapav vir enn biro anbalao ek ler ou fini netoyé, li remet tou parey kouma li ti été». Là-dessus est venue se greffer sa curiosité naturelle. «Kuma dir mo enn ti ‘mouna’ moi, enn ti zako ki kontan get tou, gété kouma fer ek poz kestion.»

Réna n’avait pas envisagé que sa vie prendrait cette tournure. Lorsque ses grands-parents s’installent à Henrietta à leur arrivée à Maurice, elle fréquente l’école primaire de la localité jusqu’en standard VI. Elle réussit sa School Scholarship – l’équivalent du Certificate of Primary Education – avec deux B et deux C. «Sertifika-la ankor lamem. Monn ramas li bien.» A l’époque, l’école est payante. Réna sait que sa grand-mère tiendra parole et lui paiera ses études secondaires. Sauf que celle-ci, fortement asthmatique et souffrant d’autres complications de santé, décède peu après la fin de sa scolarité primaire.

«Si zamé pa ti bon, ti bizin réfer ankor. Mé kan fer enn zafer bien, mo rekompansé.»

Son grand-père, charbonnier puis maçon, n’a pas les moyens de l’envoyer à l’école. Elle fait donc une croix sur ses ambitions et à 11 ans, elle s’affaire d’abord à l’arrachage de pistaches qui rapporte Rs 30 par semaine. Lorsque son grand-père refait sa vie avec une Mauricienne, une femme d’intérieur accomplie, ils vont s’installer à Cité-La-Cure. Et c’est là que Réna apprend à «fer louvraz. Si zamé pa ti bon, ti bizin réfer ankor. Mé kan fer enn zafer bien, mo rekompansé». A 19 ans, elle prend de l’emploi dans une usine de tricot de Plaine- Lauzun. Estimant qu’elle dépense trop sur le transport pour des gains peu conséquents, elle opte pour le métier de bonne et de baby-sitter à Pointe-aux-Sables. Elle gagne Rs 300 par mois.

C’est un salaire plus attrayant – soit Rs 800 par mois – offert par Alpha Cleaning, qui démarre des opérations de détachage de literie, de nappes et de serviettes d’hôtels préalablement lavés par une société de nettoyage à sec, qui lui fait intégrer Alpha Cleaning. Le petit atelier baptisé Special Service est à Pointe-aux-Sables. En semaine, elle s’y active et lorsque sa société décroche un important contrat de nettoyage dans un bureau à Astor Court, elle y est affectée le week-end.

Alpha Cleaning, pionnière dans ce concept de nettoyage, décroche de nombreux contrats et s’installe dans des locaux à Pailles. Le Special Service suit. Lorsque la société décroche le contrat de nettoyage de la SICOM, Réna est détachée du Special Service et envoyée au département de nettoyage. Sa curiosité naturelle et son désir de bien faire font qu’elle grimpe les échelons et que de cleaner, elle passe superviseur. Lorsque la société lui offre une promotion comme Contract Manager, dont la responsabilité est de planifier le travail des équipes avec les superviseurs et le Sales Manager, Réna refuse sous prétexte qu’elle n’a pas fait d’études secondaires. Qu’à cela ne tienne, la compagnie lui offre des cours d’anglais, de français et de mathématiques qu’elle suit avec grand plaisir. Elle finit par accepter le poste.

«Sé enn loner, enn rékompans. Sa dépenn ki monn doné, linn raport so frwi.»

La direction, satisfaite de son engagement envers la compagnie, lui propose alors de siéger sur le conseil d’administration du groupe. Difficile de refuser une telle offre. «Pou mwa, sé enn gran zafer. Sé enn loner, enn rékompans. Sa dépenn ki monn doné, linn raport so frwi.» Cette responsabilité additionnelle ne lui est certainement pas montée à la tête. «Nou gagn réinion dé fwa lan ek mo konn tou bann desizyon. Mo pa zis la pou asizé. Ler mo éna pou kozé mo fer li. Ek zot ékouté. Monn res touzour simp me mo gran lagel selman. Mo ti timid ler mo rantré mé telma ena travayer inn kraz mo lipyé ki aster mo dinozor sorti», dit-elle, riant cette fois aux éclats.

Réna avoue toujours dire ce qu’elle a sur le coeur. «Démin enn lot zour pou mwa. Kan gagn enn problem dan travay, sé zis travay sa. Mo pa boudé ou gard laenn.» Elle est tellement à son affaire qu’Alpha Cleaning lui a fait suivre un cours pour devenir formatrice. Et depuis l’an dernier, elle agit comme Quality Coordinator. Elle et son collègue (NdlR, malheureusement décédé en début de semaine) ont cinq sites dans le Nord et cinq autres dans le Sud à faire nettoyer. Ils assignent des tâches, vont sur le terrain avec les superviseurs et les équipes pour passer en revue la main-d’oeuvre, les produits à être utilisés, les choses à accomplir, les problèmes possibles qui pourraient surgir en vue de trouver des solutions. Ils vérifient que le travail est effectivement bien fait après deux semaines.

Réna aime ce métier qui n’est pas monotone et tous ceux qui ont essayé de la débaucher ont été éconduits. «Monn gagn boukou proposisyon mé kifer mo pou perdi tou isi? Si mo kité pou al dans enn lot landrwa, pa tigit zi zot pou tiré ar mwa!» Surtout, dit-elle, que son travail lui a ouvert des portes insoupçonnées comme le cadre de l’hôtel Saint Géran, la maison du directeur de la State Bank of Mauritius, l’ambassade des États-Unis avec ses soldats armés qu’elle a trouvés «impressionnants», la maison du haut-commissaire britannique, pour ne citer que ceux-là. Sa plus grande fierté est qu’un client ait dit à ses employeurs que s’il avait une employée comme elle, il aurait immédiatement ouvert une société de nettoyage.

À ceux qui n’ont pas de grands diplômes, Réna a un message spécial: «Lavi pa aret ar enn sertifika. Zot bisin krwar dan zot. Sak dimounn éna enn kalité, enn lafors. Pa krwar ki zot pa kapav monté. Sak dimounn inik. Nou tou zanfan béni mé nou pa krwar dan nou. Bizin krwar dan zot ek lé aprann…»