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Désiré Pierre-Louis: «Ici, le talent est respecté et récompensé»

1 septembre 2016, 19:41

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Désiré Pierre-Louis: «Ici, le talent est respecté et récompensé»

Désiré Pierre-Louis, 43 ans, fait partie des athlètes mauriciens partis étudier à l’Oklahoma Baptist University aux États-Unis d’Amérique et qui ne sont jamais revenus à Maurice. Il a su tracer son sillon au pays de l’oncle Sam et il est toujours intéressant, en cette période de grands bouleversements, de confronter notre vision du monde et le regard distancié d’un Américain d’origine mauricienne.

Cela vous a-t-il fait plaisir de rencontrer le triple sauteur Jonathan Drack à Portland durant les Championnats du monde en salle (NdlR : 17-20 mars 2016) ?

Oui, c’était un grand bonheur pour moi. J’étais heureux de voir un athlète mauricien en action à ces Mondiaux.

Cela a dû vous faire revivre de bons moments en compagnie de quelqu’un qui, comme vous, a choisi de s’expatrier pour étudier et poursuivre sa carrière d’athlète de haut niveau…

Oui, c’est exact. Je dis toujours que pour un athlète, défendre les couleurs d’un pays n’est pas aussi important que s’assurer d’avoir une après-carrière. C’est la raison pour laquelle je suis retourné aux États-Unis pour terminer mes études en mathématiques.

Votre rire communicatif est resté le même, votre sourire aussi. Le passage du temps n’a pas eu raison de ce Désiré Pierre-Louis qu’une génération d’athlètes a côtoyé dans les années 90…

Le rire est important, sans le sourire, c’est le stress qui s’installe. La vie est courte. Je m’en tiens au Carpe Diem d’Horace… (NdlR : Cueille le jour présent).

Pensez-vous toujours à vos années de jeune athlète à Réduit ?  Les souvenirs sont-ils toujours vivaces ?

Réduit, c’est là que tout a commencé alors que j’étais benjamin. C’est là que tout s’est déroulé jusqu’à mes derniers Sony Games. De toutes les courses que j’ai courues, je crois que c’est le 800m des Sony Games et le 1000m benjamins qui sont restés inoubliables.

En quelle année foulez-vous pour la première fois le stade Maryse-Justin ?

En 1986. Je surprends tout le monde cette année-là en remportant le 1000m lors de la rencontre Maurice-Réunion benjamins.

Quelles étaient alors vos ambitions ?

Je voulais seulement être comme les autres, remporter une médaille.

Allez-vous trouver votre voie rapidement ? Vous saviez-vous doué pour le sprint long ?

J’étais en train d’apprendre alors par essais et erreurs avant de trouver la distance qui me convenait. Je me suis essayé au crosscountry Je l’ai emporté alors que j’étais minime ou cadet. Puis j’ai tenté le 1500m et le 3000m avant de réaliser que les autres étaient meilleurs et que je n’étais pas suffisamment endurant. Je suis passé ensuite au steeple-chase. J’ai même remporté cette épreuve lors de la rencontre Maurice-Réunion cadets mais en raison de problèmes techniques, la course fut ôtée du décompte final. J’ai doublé alors sur 800m et j’ai remporté l’or. C’est comme ça que j’ai opté pour le double tour de piste.

Quand vous révélez- vous comme un athlète prometteur, comme une valeur sûre ?

Quand j’ai atteint la catégorie junior. Il me semble que j’ai remporté le titre d’athlète le plus prometteur mais j’ai oublié l’année.

Dès lors le chemin semblait tout tracé en équipe nationale…

Il m’a fallu attendre pour cela d’intégrer la catégorie senior. Le reste appartient à l’Histoire.

Ce sont de superbes souvenirs aussi…

Oui, de superbes souvenirs! Mais sans le dévouement expert de mon entraîneur Josiane Boullé et l’entraînement dispensé par Ron Davis, je ne serais jamais devenu ce que je suis devenu.

Et puis le destin frappe à votre porte sous la forme d’une bourse vous permettant d’étudier aux USA ?

Oui, le défi qui m’avait été lancé était de remporter les Sony Games avec un chrono rapide à la clé. Cette combinaison devait me permettre d’être compétitif au niveau collège aux USA (NdlR : JUCO, Junior College). Ron Davis tint sa promesse et en 1992, Stephan Driver et moi mîmes le cap sur Blinn College au Texas où Judex Lefou et Gilbert Hashan nous avaient précédés. Le temps pour nous d’arriver à destination, Judex intégrait l’Oklahoma Baptist University et Gilbert Saint Augustine’s University.

Vous choisissez d’y étudier les mathématiques entre 1996 et 1998 tout en vous spécialisant dans le 400m et le 800m ?

Le défi était immense car j’étais éligible à courir aux USA pendant deux ans seulement en raison de restrictions au niveau universitaire. Je dus me forcer à accepter les maths car mon premier choix était la biologie. Mais le moment n’était pas propice car les classes supérieures ne m’étaient pas accessibles et je n’aurais pas pu obtenir mon diplôme.

Je me suis retrouvé face au même problème dans la filière maths mais j’ai pu compter sur la présence à mes côtés de mon conseiller qui a su me prendre en mains afin que j’atteigne le but fixé. Je lui suis reconnaissant pour cela.

Quelles sont les étapes que vous franchissez aux USA dans ces deux secteurs ?

J’ai été exact au rendez-vous dans les deux domaines. Les exploits se succédaient sur le plan sportif et avec mon diplôme de mathématiques en poche, j’ai pu postuler pour un emploi à la banque, domaine que je ne connaissais pas du tout. J’ai eu beaucoup de chance.

Qu’est-ce qui vous décide à ne pas rentrer à Maurice et à demeurer aux USA ? L’amour ?

C’est ce qui est arrivé en effet. L’amour nous fait faire des choses folles ! Mais ce n’est pas aussi simple à expliquer. Ici, le talent est respecté et récompensé. De mon point de vue, vous pouvez être sans le sou aux USA mais si vous travaillez dur, vous pouvez assurer une vie meilleure à votre famille. C’est pareil dans beaucoup de pays au monde mais la probabilité est plus grande aux USA d’y parvenir rapidement.

Était-ce un choix facile de commencer une nouvelle vie au pays de l’oncle Sam ?

Non, pas vraiment. Mais j’avais eu l’opportunité de vivre aux USA pendant plusieurs années, cela aide un peu. Le fait de connaître le jargon local, le comportement des gens et plus important, le fait de demeurer ici m’a permis de mieux me familiariser avec la manière de vivre américaine, la langue et tout le reste. Si vous travaillez dur aux USA, vous pouvez assurer une meilleure vie pour vous et votre famille.

Une fois votre famille fondée, le nouveau départ a-t-il été plus simple à prendre ?

Je suis quelqu’un de flexible, la nouvelle aventure s’en est trouvée facilitée.

L’équilibre vient aussi du monde professionnel. Assistant VP, Production Services Analyst 2, Lead, à Bank of Oklahoma, N.A. Que veulent dire ce titre et cette fonction ?

J’ai commencé comme employé de banque puis j’ai été promu vice-président adjoint. Cela veut dire que j’ai prouvé que je maîtrise mon sujet, que je suis en mesure de signer des documents qui vont être divulgués, de travailler sans ou sous très peu de supervision de mon chef hiérarchique. Cela veut dire aussi que j’ai les aptitudes pour prendre une décision si mon supérieur est absent. La prochaine étape pour moi est le titre de vice-président.

Je fais ce métier depuis dix ans. Je fais en sorte que les clients, les propriétaires d’entreprises et la Fed reçoivent les intérêts qui leur sont dus ou que l’argent soit déposé sur les comptes quand les papiers arrivent à maturité en maintenant toujours le rythme.

Certains jours, souvent trois fois par semaine, les transactions peuvent s’élever à $ 400 000 000 voire $ 500 000 000. La semaine dernière, j’étais en congé et mes collègues ont totalisé un milliard de dollars de transactions pour s’assurer que les comptes des clients soient crédités à la date échéance. Je fais aussi des prévisions précises sur une période de cinq jours pour les transactions en espèces.

À Tulsa où vous résidez, à 16 892 Kilomètres de Maurice, vous tenez-vous toujours informé de l’actualité en générale et de l’actualité sportive en particulier dans votre pays d’origine ?

Non, pas comme je le faisais avant. On aurait pu s’attendre à notre époque à des résultats mis en ligne, à avoir accès aux données concernant Maurice sur un site web, un Temple de la Renommée (NdlR : Hall of Fame) pour l’athlétisme  ou tous les sportifs… peut-être que ces infos sont en ligne mais je ne les ai jamais vues.

Avez-vous suivi la progression du sport mauricien depuis votre départ ?

Pas trop… mais je sais que mon record au 800m est vieux de 22 ans. C’est une bonne et une mauvaise nouvelle en même temps. C’est bien qu’il n’ait pas été amélioré mais cela veut dire aussi qu’il n’y a pas de relève.

Quel regard portez-vous sur son évolution ? Se poursuit-elle ? Stagne-t-elle ?

Ici et là, il y a un ou deux athlètes qui sortent la tête hors de l’eau mais je ne pense pas qu’ils obtiennent le soutien nécessaire. Mais c’est une toute autre discussion. Je sais que ce que je vais dire ne plaira pas à tout le monde mais regardons les choses en face : les sportifs se plaignent toujours des fédérations. Qu’ils se fassent représenter et se battent contre elles ! Les athlètes dépendent tellement du gouvernement ou des fédérations et puis se plaignent. Mais ça a toujours été ainsi. Nous, athlètes, devrions apprendre de ces leçons mais ce n’est pas le cas.

Aussi longtemps que nous ferons du sport en amateurs, nous n’irons nulle part. Aussi longtemps que nous comptons sur un petit stage ici ou là un mois avant une grande compétition pour nous améliorer, battre un record national ou remporter de grands Jeux, cela ne servira à rien. C’est la vérité !

Pour commencer, c’est notre mentalité qu’il faut changer. Il faut aller au-delà de notre individualité, penser global. Un exemple frappant : il y a un garçon qui a battu le record du 1500m avec à la clé un très bon temps. Mais on n’entend plus parler de lui. N’aurait-il pas été sage de le récompenser en l’envoyant à Rio ou à une compétition majeure où il aurait l’exposition nécessaire et peut-être taperait dans l’oeil de quelqu’un disposé à investir en lui ? Sans investissements, il n’y a pas de retour sur investissement !

En passant, je dis un grand merci à Grays qui m’a parrainé de 1991 à 1995. Le contrat était d’une durée de quatre ans mais il fut prolongé. Sans ce soutien, qui se traduisit en équipements, frais de transport et argent de poche, je ne pense pas que j’aurais atteint les objectifs fixés. Idem pour l’aide inestimable de Josiane Boullé.

Quelles sont les raisons de cette stagnation selon vous ?

Pour résumer, nul n’est prophète en son pays.

Vous intéressez-vous toujours aux «exploits» réalisés au 400m et au 800m, deux secteurs où vous avez balisé le chemin il y a de cela vingt ans maintenant ?

Oui, je suis toujours attentif à ces deux secteurs. 43.03 au couloir 8 (NdlR : le record du monde du Sud-Africain Wayde Van Niekerk) ! Wow ! Plus aucun coureur ne pourra dire désormais : «Coach, j’étais au couloir 8 et je n’ai pu courir ma meilleure course.» Le 800m est aussi une course folle à suivre.

Faits-vous partie de ceux, comme Ricky Wai Choon, qui pensent que l’axe USA-Maurice devrait  être rouvert ? Les meilleurs sportifs mauriciens peuvent-ils toujours prétendre étudier et s’entraîner aux USA ?

Je dirai oui… Ecoutez, peu importe où vous voulez étudier et vous entraîner. Plusieurs pays sont de potentielles terres d’accueil à ce niveau. Maurice peut aussi réussir dans ce domaine. On peut imaginer une académie. Quand nous arrivons aux USA, nous représentons notre pays, notre famille et nous-mêmes. Nous devons être de bons ambassadeurs sachant que si nous nous rendons à l’Oklahoma Baptist University en sport-études, nous devons être prêts à nous sacrifier dans ces deux domaines. Nous essayons de conserver cette puissante relation Oklahoma Baptist University- Maurice et de faire en sorte qu’elle demeure agréable, qu’elle soit grande, sincère et produise de bons citoyens autant que de bons athlètes. Il n’y a qu’à voir ceux qui ont été diplômés à l’Oklahoma Baptist University, il n’y a qu’à voir leur parcours…

Sinon, faites-vous toujours du sport ?

Oui, pour garder la forme bien sûr mais pas en compétition. Je joue aussi au foot en salle.

En famille ?

Non, je ne fais pas encore de sport en famille. Mon fils Coen devrait être prêt à faire du sport dans trois ans.

Le sport, c’est aussi l’héritage que vous souhaitez léguer à vos enfants ?

Oui, pour sûr ! C’est maintenant que ma fille découvre l’athlétisme alors qu’elle est au secondaire. Elle s’essaie au 100m et au 200m et à la hauteur également mais juste pour garder la forme. Je pense que Coen pourrait reprendre le flambeau.

 Désiré Pierre-Louis disputant le 4x400 m aux JO de 1996 à Atlanta.
Désiré Pierre-Louis disputant le 4x400 m aux JO de 1996 à Atlanta.

Portrait : De la piste aux finances

Désiré Pierre-Louis, 43 ans, est marié à sa «jolie Jennifer». Ils sont les parents du petit Coen, 15 mois. Il est aussi père d’une fille de 17 ans (Zoë) et d’un fils de 12 ans (Aidan). Désiré Pierre-Louis est depuis peu «Assistant President, Production Services Analyst II, Lead» à la «Bank of Oklahoma». Il fait partie depuis quatre mois maintenant du  «Wealth Production Group» après avoir été «Derivatives Operations Officer» au sein de la même banque dans le «Compliance, Accounting, Reporting Group».

Les grandes lignes du Palmarès de Désiré Pierre-Louis

Admis au Hall of Fame de l’Oklahoma Baptist University en 2008 Détenteur de l’ancien record NAIA (National Association of Intercollegiate Athletics) du 600m indoor (1997 and 1998). Champion National NAIA 600m indoor en 1997 et 1998. Toujours détenteur du record national de Maurice du 800m (1’48’’24) et de celui du 4x400m (3’06).

1er au 400m au Championnat de France Espoir (1995)

2 courses avec la sélection nationale au relais 4x400m aux JO de 1996