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Fièvre aphteuse: Rodrigues terrassée

21 août 2016, 11:30

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Fièvre aphteuse: Rodrigues terrassée

 

Évoquant les perspectives d’avenir, les éleveurs rodriguais broient du noir. La compensation obtenue du gouvernement ne durera pas éternellement. Et quid de l’activité économique de l’île qui s’appuie largement sur l’élevage ?

Ils ne se voilent pas la face: l’élevage, ils vont devoir y renoncer pour un bon moment. Le choc de l’exercice d’abattage de leur cheptel passé, les éleveurs de Rodrigues commencent à se poser des questions. «Et maintenant, il se passe quoi ?» Qu’adviendra-t-il d’eux dans les mois – et pire encore, dans les années – à venir ?  Pour la plupart d’entre eux, ces questions suscitent l’angoisse et l'inquétude.

Un plan de reconversion professionnel peut-il être envisagé ?  Nous sommes allés à la rencontre des éleveurs des régions de Mont-Lubin, Baie-Topaze et Cascade Jean-Louis. Ils s’accordent tous sur un point : hormis l’élevage, leur choix de carrière sont limité.

Pour Jockensen Carpenen, impossible de tout recommencer à zéro. Surtout quand on a, comme lui, perdu 35 bœufs et 62 moutons. Et surtout, impossible d’arriver à nouveau à élever un cheptel de cette taille. «Il me reste quelques moutons qui seront vaccinés, mais ce ne sera probablement pas possible de les faire s’accoupler pour agrandir le cheptel. De toute manière, on ne peut  plus exporter

Il se livre à un petit calcul. Et note que ces bêtes abattues auraient rapporté plus d’un million de roupies si elles avaient été vendues. Et c’est sans compter les jeunes animaux qui auraient rapporté davantage dans quelque temps. «Il y a un énorme décalage entre ce qu’on aurait obtenu de la vente de nos animaux et la compensation. Mais à Baie-Topaze, si on ne fait plus d’élevage on ne fait plus rien. Cette compensation est très bien, mais elle ne sera pas éternelle. Quand la compensation sera épuisée, on fera comment ? Cette interdiction d’exporter va durer trois ans. Ki nou pou manzé ? Kouma nou pou viv ?»

Pour ces familles qui dépendent depuis des années de l’élevage, l’avenir s'annonce sombre, les options sont minces. Se tourner vers la mer et la pêche ? À peine envisageable.  «On ne peut plus exploiter la mer. Il ne reste déjà plus grand-chose.» Et la culture de la terre ? «Je suis éleveur mais je vais devoir tenter ma chance de ce côté-là.» Le pari est risqué, dit Jockensen Carpenen. Baie-Topaze est après tout une région très sèche.

«Il n’y a même pas d’eau dans les robinets, on va planter quoi ?» s’insurge un autre éleveur, que nous rencontrons un peu plus loin. «Récemment, les plantations de haricots ont été abîmées à cause de la sécheresse», raconte cet homme qui a même envisagé de se lancer dans la pêche. Mauvais timing. La pêche à l’ourite est interdite jusqu’au mois d’octobre !

Jockensen Carpenen a même songé à quitter son île. «J’ai pensé à relancer un élevage à Maurice ,mais on ne pourrait pas utiliser des animaux d’ici. Qui plus est, acheter des animaux ailleurs nous reviendrait beaucoup trop cher. Sans compter qu’il est très difficile d’obtenir des terres à Maurice.» Sans compter, également, que la fièvre aphteuse a aussi frappé, à Maurice.

À Cascade Jean-Louis, où nous rencontrons Marie-Josée Félicité, Verlot Jolicoeur et Lioza Gontrand, on n’est pas plus optimiste. Marie- Josée a perdu dix cochons, ce qui représente environ Rs 50 000. «Nous avons eu une compensation mais elle ne va certainement pas durer trois ans. Il aurait fallu une allocation au moins deux ou trois fois l’an jusqu’à ce que nous puissions relancer notre élevage. Ils nous disent de ne pas dépenser notre argent mais on fait quoi de nos factures ? Nous sommes au chômage ; moi, je ne sais rien faire d’autre que l’élevage

«Nous sommes à Rodrigues. Là, il n’y a rien d’autre. La misère arrive, elle frappera fort», dit Marie-Josée Félicité. «Comment allons-nous assurer l’avenir de nos enfants ?» s’inquiète Lioza Gontrand. Verlot Jolicoeur, lui, se lamente face au manque d’alternatives.

Du côté des bouchers, même son de cloche. Ils sont aussi dans une situation délicate, puisqu’ils n’ont rien, ou presque, à vendre. «Quelle solution pour assurer notre survie ?» se demande Annaelle Peermamode, membre de l’association qui regroupe les bouchers. Ceux du marché opéraient les samedis uniquement. Leurs activités pouvaient rapporter jusqu’à Rs 40 000 par mois. Ils ont présenté deux demandes qui devraient être étudiées par l’Assemblée régionale : une compensation mensuelle d’au moins  Rs 35 000 ou une compensation qui leur permettra de lancer un autre business. Toujours est-il que cette année, ils n’auront pas à payer leur licence d’opération qui s’élève à Rs 35 000 par an.

C’est toute l’économie rodriguaise qui est affectée par l’interdiction d’exporter des animaux. Henri Agathe, conseiller en développement économique à  l’Assemblée de Rodrigues, soutient que l’impact économique se fera sentir, l’élevage étant une activité prédominante de l’île. «Cela représentera une baisse de revenus pour le pays, même si l’industrie touristique est aussi un secteur important. De plus, la question de relance se pose. Nous avons des pistes mais il y a plusieurs choses à considérer – l’aspect sanitaire et le timing, surtout. Il nous faut plus de temps pour une évaluation complète de la situation et une prévision économique.» Et surtout, il faudra aussi trouver l’expertise voulue pour mettre au point ce plan.

Montant des compensations revu

<p>L&rsquo;assemblée régionale de Rodrigues a décidé, vendredi, d&rsquo;aligner le montant des compensations reçues par les éleveurs rodriguais sur celles des éleveurs mauriciens. Une décision bien évidemment favorablement accueillie par les principaux intéressés. &laquo;<em>Je suis satisfait du changement</em>&raquo;, lâche Jean Daniel Raffin, le chef de file d&rsquo;un groupe d&rsquo;éleveurs qui avait dénoncé cette &laquo;discrimination&raquo;. &laquo;<em>Notre revendication a été prise en considération. J&rsquo;espère que le réajustement va se faire au plus vite</em>.&raquo;</p>

<p>D&rsquo;autre part, l&rsquo;abattage se fait désormais de manière plus sélective. &laquo;De ce côté, les autorités ont mal géré la situation, elles se sont précipitées. Elles auraient dû, dès le départ, chercher l&rsquo;avis des experts.&raquo;</p>

<p>Quid de l&rsquo;avenir ? La question reste en suspens. &laquo;<em>Vont-ils nous donner des bêtes pour qu&rsquo;on puisse relancer notre élevage après tout ça ? L&rsquo;allocation ne va pas durer éternellement</em>.&raquo;</p>

Plan de relance

<p>Une fois que la maladie sera éradiquée, l&rsquo;expertise de la <em>Food and Agriculture Organisation</em> sera sollicitée pour la préparation d&rsquo;un plan de relance pour l&rsquo;élevage. Une table ronde regroupant des représentants de la commission de l&rsquo;agriculture, les éleveurs et les bouchers sera organisée pour permettre un échange d&rsquo;idées.</p>

Piqueur d’ourites, éleveur et… désespéré

En cette période de l’année, où les ourites se reproduisent, il n’a pas le droit de les pêcher... Alors, pour nourrir sa famille, il s’est rabattu sur l’élevage. C’était  sans compter sur la fièvre aphteuse.  Depuis que la maladie est apparue, Jeanrio Félicité (photo), comme beaucoup de Rodriguais, d’ailleurs, est abattu. Il nous raconte son calvaire.

Jeanrio Félicité.

Vendredi matin. Direction Baie-Topaze, petit village agricole sis dans l’ouest de Rodrigues. Le ciel gris, le temps maussade, reflètent l’ambiance morose qui règne dans l’île. Depuis que la fièvre aphteuse y a fait son apparition.

En bordure de route, quelques rares bêtes, insouciantes, broutent tranquillement. Celles-là ont été épargnées – pour l’instant – par la maladie. Dans ce petit village, tout le monde connaît tout le monde. Le sujet qui monopolise l’attention, depuis plusieurs jours : lafiev-la…

Jeanrio Félicité nous accueille chez lui. Sa chemise entrouverte et son chapeau de paille lui confèrent un air nonchalant. Mais l’homme est inquiet. Il a perdu le sommeil. «Je ne sais plus où j’en suis», confie-t-il d’un air effaré.

Pour cause. Jeanrio est à la fois piqueur d’ourites et éleveur. Ainsi, alors que la pêche au poulpe est interdite (NdlR, depuis le 10 août et ce jusqu’au 10 octobre), la fièvre aphteuse est venue chambouler tous ses plans. «J’élève des bêtes depuis que je suis tout petit et à aucun moment, ma famille et moi n’avions envisagé qu’un jour nous ferions face a une telle situation», admet-il, désemparé.

En ces temps difficiles, Jeanrio pense surtout à son épouse et à ses trois enfants. Et se demande comment il fera, désormais, pour continuer à faire bouillir la marmite. «Avec la fermeture de la pêche à l’ourite, nous obtenons Rs 7 500 comme allocation, pour tenir durant les deux mois. Vous imaginez bien que c’est loin d’être suffisant quand on a trois enfants qu’il faut nourrir et envoyer à l’école.» Sans parler du fait que sa fille aînée, qui a 18 ans, devra bientôt aller compléter ses études.

Surtout que l’ourite se fait de plus en plus rare à Rodrigues. «Kan saison lapess ouver, pa sir ou pou gagné, pas sir ou gagn kass. Ena péser ki rant lakaz lamé vid.» Pour garder la tête hors de l’eau, Jeanrio dépendait de ses bêtes.  «J’ai huit bœufs, je n’ai pas le droit de les exporter ni de revendre la viande aux bouchers. Le vétérinaire a dit qu’il fallait les surveiller car plusieurs élevages ont été décimés dans le village.» Et d’ajouter : «Ma famille et moi sommes perdus. Il ne nous reste plus d’argent sauf pour subvenir aux dépenses urgentes, au  quotidien. Que puis-je faire, rester à la maison ? Nous ne sommes pas à Maurice ici, nous n’avons pas l’option d’aller travailler à l’usine ou autre. Il n’y a que l’élevage ou la pêche. Monn rétourn à zero

Une solution? L’agriculture peut-être? «Vous êtes à Baie-Topaze. Ici, l’eau, il y en a juste suffisamment pour boire ! Si on se lance dans l’agriculture, il faudra dépendre de la pluie !»

Dehors, la pluie se met à tomber de plus belle.  Mais ni le mauvais temps, ni la fièvre aphteuse ne décourageront Jeanrio, un battant. Qui ne perd pas espoir.  «Je ne peux pas abandonner, le moment venu je relancerai mon élevage, je n’ai pas le choix

En chiffres

<p><strong>2 149 bêtes abattues, Rs 15 millions aux éleveurs.</strong> Depuis juillet,&nbsp; 2 149 bêtes ont été abattues. Dont 689 bœufs, 219 porcs et 124 moutons et cabris. En ce qu&rsquo;il s&rsquo;agit des compensations, deux &laquo;tranches&raquo; ont été déboursées pour dédommager les éleveurs depuis le début de l&rsquo;abattage, à Terre-Rouge, Vangard et Anse-aux-Anglais, notamment. Jusqu&rsquo;ici, 180 éleveurs ont ainsi reçu de Rs 15 millions.</p>

<p><strong>10 000 doses, 30 mois.</strong> La campagne de vaccination devrait démarrer d&rsquo;ici cette semaine et devrait s&rsquo;étaler sur 30 mois. A savoir que 10 000 doses de vaccins sont attendues de Maurice. Rodrigues sera divisée en six zones et une dizaine d&rsquo;infirmiers seront sollicités pour limiter les risques de propagation, entre autres. En attendant, l&rsquo;exercice d&rsquo;enregistrement des éleveurs a démarré, vendredi dernier.</p>

<p><strong>173 fermes touchées. </strong>Jusqu&rsquo;ici, 173 fermes ont été touchées. Les endroits abritant des fosses communes, où sont enterrées les carcasses, seront délimités grâce à des GPS. Une mesure initiée par la commission de l&rsquo;agriculture. D&rsquo;autre part, les éleveurs ont eu pour consigne de ne pas laisser traîner les animaux. Les propriétaires seront&nbsp;verbalisés au cas contraire.</p>