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Indian Ocean Disability Network: l’union fait la force

7 août 2016, 15:35

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Indian Ocean Disability Network: l’union fait la force

Un Indian Ocean Disability Network est en gestation. Ce réseau recensera le nombre de personnes handicapées dans la région et leur fournira toutes les informations nécessaires à leur autonomie.

Ce sont justement de telles informations qui ont fait défaut à Curtis Malbrook juste après son ‘accident’ le 3 septembre 2013. Ce chauffeur d’ambulance d’une clinique privée, âgé de 39 ans, nettoyait ce matin-là une parcelle du champ familial à La Ferme, Bambous. Il actionnait une motobineuse lorsque sa botte s’est coincée dans les lames rotatives de l’engin agricole. Celles-ci lui ont broyé le pied. Il a eu beau se débattre, elles ont progressé jusqu’à son tibia. Il a lutté de toutes ses forces pour repousser l’engin loin de lui et ce faisant, il s’est blessé aux mains mais a réussi.

Bien qu’en sang, il a eu la présence d’esprit d’enlever sa ceinture et de la nouer très serrée autour de sa jambe pour comprimer l’hémorragie. Il n’y avait personne aux alentours pour entendre ses cris. Quarante-cinq minutes se sont écoulées avant qu’il ne soit découvert gisant dans une mare de sang par un agriculteur âgé qui lui a fait les poches et tendu son téléphone portable.

Curtis Malbrook ne pouvait téléphoner à sa femme qui était à ce moment-là à Rodrigues avec leur fils d’un an. De par sa profession, son répertoire comprenait les numéros de nombreux professionnels de santé. Il a téléphoné au premier nom qui lui est tombé sous la main et expliquant rapidement son cas, il a demandé d’envoyer le SAMU le secourir. Les hommes de cette unité l’ont localisé une heure plus tard et il a été transporté d’urgence à l’hôpital Victoria. Le médecin des urgences a fait tout pour sauver son pied. Le hic est que sa plaie a été infectée par une bactérie particulière et aucun hôpital de l’île, ni aucune clinique ne disposait à ce moment-là du sérum nécessaire.

«Ler monn get mo zanfan, monn rann mwa kont mo nepli kapav asir so lavenir ek sa finn demoraliz moi.»

Le praticien qui le suit a attendu quatre jours pour voir si les soins prodigués enrayaient l’infection mais la fièvre ne l’a plus quitté. Curtis Malbrook était secoué par des spasmes. Lorsqu’on lui a parlé d’amputation du pied jusqu’à six centimètres au-dessus du genou, ses parents s’y sont opposés. Lui a accepté car il savait qu’autrement, il mourait d’une septicémie. Il a donc été amputé et contrairement à ce qu’avait pensé le médecin, son hospitalisation a été d’un mois et demi au lieu de six mois.

Si à sa sortie d’hôpital, son moral était haut, c’est à la vue de son enfant en bas âge qu’il a pris conscience de sa vulnérabilité. «Ler monn get mo zanfan, monn rann mwa kont mo nepli kapav asir so lavenir ek sa finn demoraliz moi.»

Il ignorait quelles démarches entreprendre pour devenir un tant soit peu indépendant. «Mo pa ti koné ki laport pou tapé. Monn kit lopital zis avek enn sertifika medikal.» Il a végété dans la maison jusqu’au mois de décembre quand il a entendu une émission à la radio évoquant la venue à Maurice, à la demande de la Global Rainbow Foundation (GRF), du Jaipur Foot. Cet institut se proposait d’offrir des prothèses aux amputés. Il a repris confiance. Il s’est rendu à Pointe-aux-Sables mais a dû attendre cinq mois, jusqu’à ce que sa plaie soit bien cicatrisée, pour pouvoir bénéficier d’une prothèse. Une fois obtenue, il s’est senti libre. «Sa finn fer boukou sanzman dan mo lavi. Monn preské normal. Monn kapav fer tou mé an pli lant.» Il se remet au volant car il veut à tout prix reprendre le cours de sa vie, surtout pour son fils. «Monn met fort parski mo ena enn zanfan ki pe grandi ek bisin donn li enn bon ankadréman.»

Aujourd’hui, Curtis Malbrook et un autre amputé rodriguais nommé Benjamin conduisent à tour de rôle le van de la GRF. Ils ont même été envoyés en Inde où ils ont appris à fabriquer et à réparer les prothèses pour d’autres personnes amputées. Ce qui a permis à Curtis Malbrook d’ajuster la sienne. Il perçoit un salaire pour ce travail mais ce qu’il veut avant tout, c’est aider les autres amputés à regagner leur autonomie. Il ne peut certes plus planter mais il élève 2000 poules pondeuses à La Ferme et revend leurs oeufs. «Tou seki mo kapav fer, mo saye rode fer pou mo kapav avance», dit-il sous le regard admiratif du Dr Youven Naiken Gopalla, directeur général de la GRF et médecin de cette fondation.

«Cest en étant solidaires que nous pourrons faire davantage pour les personnes handicapées…»

Celui-ci explique d’où vient l’idée de constitution du Indian Ocean Disability Network. En mars 2014, le Decentralized Cooperation Programme (DCP) de l’Union européenne a organisé une réunion régionale avec des représentants de La Réunion, des Seychelles, des Comores, de Madagascar et de Maurice pour discuter de six thématiques dont du handicap. Tous les participants ont réalisé que les personnes en situation de handicap ignoraient quels étaient les services existants pour qu’elles retrouvent une forme d’autonomie. Il a été décidé qu’une des solutions à ce problème serait de faire du networking. Six organisations non gouvernementales locales, à savoir l’APEIM, l’APRIM, Friends in Hope, Alzheimer Mauritius, EDYCS et la GRF ont pris l’engagement de plancher sur la constitution d’un réseau pour l’océan Indien.

Ce faisant, ces ONG ont réalisé que les derniers relevés concernant le nombre de personnes en situation de handicap à Maurice dataient de 2010. Ces ONG ont eu une réunion de travail avec une quarantaine d’organisations et grâce au financement du DCP, il a été décidé qu’une recherche serait effectuée à Maurice comme à Rodrigues pour réactualiser ces données de Statistics Mauritius sur le nombre de personnes en situation de handicap.

Deux appels à candidature ont été lancés et une consultante en freelance a été choisie en la personne de Nadia Peerun, de même qu’un ancien statisticien à la retraite, Vydelingum Gooroonaden, qui analysera les données recueillies par la consultante. Pour pouvoir informer les personnes en situation de handicap, ces ONG ont pensé à un site internet vocal et interactif et à la suite d’un appel à candidatures, c’est la société Keep Moving Ltd qui a été sélectionnée pour créer ce site.

«Nous allons bientôt organiser un Focus Group avec les ministères de la Sécurité sociale, de la Santé, de l’Education, le Mauritius Research Council, le Mauritius Institute of Education, des représentants de Rodrigues, d’Agaléga et du bureau du Premier ministre, pour discuter de tous les problèmes rencontrés par les personnes en situation de handicap et les possibles solutions. Tout cela figurera dans un rapport qui sera présenté lors d’une conférence régionale qui aura lieu les 27 et 28 octobre. Chaque pays de l’océan Indien sera présent et alignera ses statistiques réactualisées du nombre de personnes en situation de handicap chez eux et au final, nous publierons un plan d’action commun pour les personnes en situation de handicap dans l’océan Indien. Ce Indian Ocean Disability Network sera lancé à cette occasion. Il y a énormément de services pour les personnes handicapées dans la région. Mais beaucoup d’entre elles l’ignorent. Il faut que nous rendions ces services visibles. Et c’est en étant solidaires que nous pourrons faire davantage pour elles…»