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Michaëlla Seblin: «La 2e génération n’a eu d’autre choix que l’exil en Angleterre»

8 juillet 2016, 13:55

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Michaëlla Seblin: «La 2e génération n’a eu d’autre choix que l’exil en Angleterre»

 

Votre mère est une Chagossienne, ainsi que votre grand-mère… Racontez-nous votre histoire.

Ma mère est née sur l’île de Diego Garcia. Ainsi que ma grand-mère et plusieurs de mes grands-oncles et grandes-tantes. Si ma mère est revenue à Maurice quand elle était encore petite, parce qu’entre-temps l’île avait été «vendue», en revanche, j’ai beaucoup appris de ma grand-mère sur l’histoire des Chagos.

Ma grand-mère fait partie de cette génération de femmes des îles fortes, courageuses qui n’ont pas froid aux yeux et qui ont toujours crié «rann nou Diego» à chaque fois qu’elles en avaient l’occasion. L’histoire des Chagos, c’est aussi l’histoire de la lutte de ces femmes venant de Diego, de Peros Banhos et de Salomon, qui n’avaient pas peur. Et comme ses camarades de lutte, ma grand-mère faisait partie de celles qui n’hésitaient pas à dormir devant l’ambassade britannique pour faire entendre la voix des Chagossiens.

Toute sa vie, elle a rêvé du retour dans les îles. Pendant les dernières années de sa vie (ma grand-mère Annette Ally, qui souffrait de la maladie d’Alzheimer, est décédée en décembre 2007), s’était réfugiée dans les îles. En raison de sa maladie, elle oubliait où elle se trouvait, se croyant toujours dans les îles.

Elle en parlait, elle revivait sa jeunesse. Elle parlait des grandes cases, de l’ambiance de là-bas. Elle me voyait, elle me confondait avec ses jeunes amies des Chagos. C’était très triste. Et je n’oublierai jamais cela.

Vous êtes Mauricienne. Comment vivez-vous ce combat pour le retour?

Mon père est mauricien, je suis née à Maurice et je suis très attachée au quadricolore. Mais comme ma mère et une partie de sa famille viennent de cette terre que je chéris tant également, je vis dans mon cœur des émotions multiples. Par exemple, chaque 12 mars, c’est délicat. Difficile. Comment célébrer le pays de mon père qui a eu son indépendance en vendant le pays de ma mère?

C’est complexe, tortueux. C’est pour cette raison que je suis très touchée par cette histoire. Parce que je fais aussi partie de ce peuple-là. Parce qu’on n’a pas le droit d’enlever une population de ses terres. C’est une déchirure terrible que les Chagossiens ont vécue. Et je les soutiens dans cette lutte. Qui aurait aimé apprendre un jour qu’il doit dire adieu à sa terre natale? En plus, cela me révolte quand je pense dans quelles conditions ils ont atterri ici.

Vous avez un parcours plutôt intéressant pour une descendante de Chagossiens…

Et je ne suis pas la seule, heureusement. C’est vrai que j’ai eu la chance et l’opportunité de pratiquer un métier que j’aime, de mener tant bien que mal une vie à laquelle j’aspirais. Je n’entre pas dans les détails, mais il n’y a pas eu de baguette magique. Ma volonté, mon envie d’aller loin, mon apprentissage permanent et le courage laissé en héritage par ma grand-mère m’ont aidée.

Mais je sais que ce n’est pas le cas pour tous les enfants chagossiens. Et je les connais, je connais leur vie parce que, moi aussi, je viens de la même cité qu’eux. Parce que moi aussi j’ai été traitée de «zanfan ilois» pendant longtemps.

C’est pour cette raison que je comprends pourquoi une partie de la deuxième génération, dont fait partie une large partie de ma famille, a choisi de partir en Angleterre. J’ai eu l’occasion de leur rendre visite à Crawley et quelques-uns sont revenus en vacances au pays. La plupart de ceux que j’ai rencontrés préfèrent vivre en Angleterre pour assurer un meilleur avenir à leurs enfants.

Je sais qu’ils n’avaient d’autre choix que cet exil. Il y a eu un premier exil imposé aux parents, puis celui-là que beaucoup de la deuxième génération ont accepté parce qu’au départ, il n’y avait pas une égalité des chances, qui aurait pu leur assurer un autre avenir.

Quel regard jetez-vous sur la souveraineté réclamée par Maurice?

En tant que rédactrice en chef, mon émotion personnelle ne prend jamais le dessus sur quoi que ce soit. Et j’ai toujours pris la distance qu’il faut quand il s’agit des Chagos. D’ailleurs, si vous ne m’aviez pas sollicitée, on n’aurait peut-être pas su que je fais partie de la deuxième génération de Chagossiens. Donc, mon regard sur la souveraineté est clair et je l’ai écrit: Maurice doit continuer à se battre et ne pas se laisser dicter par ses supposés amis qui ne le sont pas. C’est, pour moi, une question d’intérêt national.