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Chagos: «Ki pou al fer laba?»

3 juillet 2016, 20:01

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Chagos: «Ki pou al fer laba?»

«Je pense qu’il est trop tard pour retourner en arrière. Il fallait faire pression dès le début.» Voilà le sentiment qui anime Annick Mandarin, 28 ans, qui n’est autre que la petite-fille de Fernand Mandarin, figure connue pour sa lutte en faveur du retour des Chagossiens. Pour le chef de cuisine qu’elle est, il serait impossible de s’adapter aux conditions de vie là-bas après tant d’années passées à Maurice. «Ici, j’ai ma famille, mes amis, mes habitudes…»

S’installer sur l’archipel pratiquement vierge, s’atteler à la reconstruction pour arriver à un niveau de vie auquel sa génération est habituée prendra du temps, trop de temps. Ce n’est pas pour autant que le combat des «anciens» ne lui tienne pas à coeur. Pour elle, c’est une question de fierté. Et puis, il y a en beaucoup qui souhaitent y retourner. «Je veux avoir le choix de dire non», martèle Annick.

Étonnamment, comme elle, son grand-père est assez sceptique en ce qui concerne le retour dans l’archipel. Et pourtant, il fait partie de cette première génération qui a été forcée, du jour au lendemain, de tout quitter pour aller ailleurs. «Le droit au retour devra être accordé par l’Angleterre. Aucune cour ne pourra nous rendre ce droit si le pays ne le veut pas», souligne d’emblée Fernand Mandarin. En ce qui concerne la reconstruction, il est catégorique. «Cela devra se faire selon l’étude réalisée par KPMG en 2014. Aujourd’hui, il n’y a pas de route, pas d’école, pas d’hôpital, rien…»

«La terre est une mère. Ses enfants lui ont été pris et depuis, elle n’a rien. Un retour brusque risque de la choquer.»

Y retourner, dans de telles conditions, n’est définitivement pas une bonne idée, selon lui. De ce fait, l’étude en question représente la seule chance pour les Chagossiens d’aspirer à une vie «normale» si jamais ils retrouvent leurs îles. D’autre part, Fernand Mandarin se dit conscient de la position de la jeune génération sur cette question…

Tout comme Louis Alexis Bertrand, 74 ans. Mais, argue ce dernier, «la terre est une mère. Ses enfants lui ont été pris et depuis, elle n’a rien. Un retour brusque risque de la choquer». Pour Diego, poursuit Louis, cela ne devrait pas poser de problème car l’île «a une présence humaine. Mais les autres îles sont désertes et il faut les réhabituer à notre présence avant de s’y installer pour de bon». C’est bien beau tout ça, mais concrètement, qu’en est-il? La vérité c’est que l’absence d’infrastructures, d’électricité et de modernité auxquels ses petits-enfants sont tellement habitués posera définitivement problème.

Elvira Valère, elle, habite à Rose-Hill. «Y retourner, pour faire quoi? Mo bien dans Moris la», lâche celle qui est maman d’une petite fille. Les Chagos, pour elle, ce sont surtout les histoires que sa grand-mère lui contait. «Il faut se rendre à l’évidence. Ici, nous sommes bien.» Malgré la pollution et les problèmes quotidiens, la vie est nettement plus agréable. Un retour, pour elle, équivaudrait à perdre 25 ans de cette vie qu’elle a construite ici.

Même si, comme tous les autres jeunes Chagossiens, elle voudrait y aller, histoire de visiter la terre de ses ancêtres, s’imprégner de l’atmosphère où ils ont grandi. Mais son attachement s’arrête là.

«Nou déza éna tou isi»

C’est également le cas de Brice Russie, 28 ans. «Ki pou al fer laba? Nou déza éna tou isi. Mo ena travay, mo fami ek tou seki nou bizin.» Et s’il ne souhaite pas retourner vivre aux Chagos, une visite ne serait pas de refus.

L’état d’esprit des descendants des Chagossiens, vivant en Angleterre, n’est toutefois pas le même. Alvis Nourrice, 30 ans, fait partie de la génération dont les parents ont choisi d’élire domicile en Grande-Bretagne. Aujourd’hui, la flamme qui l’anime, en ce qui concerne le droit au retour, est intacte. «Il est dur de voir son père pleurer car il ne peut pas rentrer chez lui. Ce sont les larmes de mes parents qui me poussent à me battre», souligne ce jeune habitant de Crawley. Serait-il prêt à renoncer à son passeport britannique? Cela ne lui poserait aucun problème, affirme-t-il. «J’ai toujours été considéré comme un immigré dans mon pays d’adoption et avec les événements récents, le Brexit, l’envie de rentrer dans mon île est plus grande que jamais.» Et d’ajouter: «Il ne faut pas croire que je suis ici par choix. Bien au contraire, j’y suis par absence de choix!»

Marie Jean, elle, va plus loin. «Nous devons y retourner et le gouvernement anglais doit nous dédommager. C’est à cause de lui que l’archipel est à l’abandon.» Pour faire entendre sa voix, elle a rejoint le Chagos Refugees Group, dont elle est une des responsables, en Angleterre. Issue de la deuxième génération, elle a eu la chance de visiter l’île en 2011; ce qui lui a donné la force et l’envie de vouloir mener ce combat jusqu’au bout.

Pour elle, les Chagossiens étaient «bien établis» avant d’être «mis à la porte» par les Anglais. «Nous avions des maisons, il y avait des infrastructures. Ils ont tout détruit. Il est normal, donc, que non seulement, ils nous rendent nos terres, mais qu’ils fassent en sorte de tout reconstruire!» Sondage à l’appui, elle stipule que 98% des Chagossiens vivant en Angleterre, y compris les jeunes, veulent rentrer chez eux…